L’entreprise libérée : une bonne ou mauvaise nouvelle ?

Les pratiques de management favorisant l'innovation via la diffusion d'une culture de l'autonomie et de la prise d'initiatives se multiplient. La libération d'entreprise constitue l'une d'elles.

Depuis la parution d’un ouvrage choc d’Isaac Getz « Freedom & cie » et un documentaire « L’entreprise libérée » diffusé sur le Web, on observe un petit raz-de-marée auprès de certains dirigeants et entrepreneurs remettant ainsi au gout du jour les idées plus anciennes de quelques grands noms du management tels que McGregor et Herzberg sur la motivation au travail. Au diable le contrôle donc, libérons nos salariés pour plus d’innovation, de bien-être et de performance ! Tous les secteurs sont concernés. L’ingrédient principal : un leader charismatique capable de convaincre ses salariés de la logique du laisser-faire en entreprise se traduisant, dans le discours, par une abolition du rôle de manager et des fonctions support.

Si le concept d’entreprise libérée est loin d’être récent (voire notamment l'ouvrage de T. Peters "Libération Management" publié en 1992 et les travaux de l'école des relations humaines dans les années 1960), la crise économique conjuguée et la remise en cause croissante de la légitimité de la hiérarchie par les salariés l’ont (re)mis au goût du jour. Au cœur du sujet, une idée simple : toutes les ressources humaines sont importantes et susceptibles de participer à la création de richesses, et en particulier celles à un niveau directement opérationnel. L’Homme au travail est ainsi considéré comme profondément bon.

Transformation radicale, cette redéfinition des rôles n’est pas toujours bien vécue. En effet, la libération d’entreprise implique de laisser faire tout un chacun sans s’interroger sur les compétences, qualités ou talents nécessaires pour innover en termes de pratiques, de processus, de produits ou encore de marchés. Un danger ? Le risque central serait une descente vers une forme d’anarchie où les salariés se retrouvent sans repère. Dans ces cas, la ‘libération’  créerait plutôt les conditions d’une souffrance réelle au travail en plus de difficultés économiques certaines pour l’entreprise.

La vraie question, une fois avoir répondu au « pourquoi ? », s’avère alors « comment ? ». Comment redéfinir un cadre pour l’action individuelle et collective radicalement différent pour que chaque salarié soit libre de se libérer (ou non) afin de contribuer à la performance de son entreprise ? Paradoxalement, c’est sur ce « comment » que les mêmes fonctions support et autres managers de proximité parfois stigmatisés dans les discours de la libération doivent jouer un rôle. L’enjeu est ainsi de développer un management plus inductif consistant à renvoyer à son collègue toutes questions initialement adressées aux managers : « Et toi, tu ferais comment ? »

Les fonctions supports comme les services qualité peuvent, eux aussi, accompagner les salariés en les formant au travail en mode projet qui se diffuse alors dans l’entreprise. Il faut que le service financier diffuse une culture des chiffres non pas pour contrôler mais bien pour assurer que les groupes innovations prennent en compte la dimension économique, seul garant de la pérennité de l’entreprise et de ses emplois. La fonction RH n’est pas en reste. Elle doit accompagner la démarche de libération en animant une réflexion sur l’évolution de la relation d’emploi. Cette réflexion doit tenir compte de la transformation effective de la relation de travail des employés concernés qui se voient confier davantage d’autonomie et de responsabilités créant de nouvelles attentes (statuts, carrières, salaires, etc.).

Ainsi, loin d'un total laisser-faire, la libération d’entreprise ne peut en pratique qu’être accompagnée, ce qui ne veut pas dire qu’on ne croit pas en l’Homme. Au contraire,  cela signifie que le management y a toute sa place! Et ça, c'est une bonne nouvelle!