Neuf conseils pour manager des indépendants

Neuf conseils pour manager des indépendants Les entreprises recourent de plus en plus à des travailleurs indépendants, y compris pour des missions longues, où ils sont intégrés au sein des équipes. Comment gérer au mieux les relations ?

Si les freelances ne sont pas "managés" comme des salariés, puisqu'il n'y a pas de lien hiérarchique et qu'ils n'appartiennent pas à l'entreprise, il faut tout de même les motiver. Attention, des travailleurs indépendants ne sont pas rattachés à une société externe. Ils ont surtout une réelle indépendance vis-à-vis de l'entreprise cliente : il ne doit pas s'agir d'une relation de salariat déguisé.

Définir la mission très précisément

Le premier point capital est de "définir la mission le plus précisément possible, assure Catherine Brennan, directrice des opérations de People4Impact, cabinet de mise en relation de travailleurs indépendants en développement durable, avec un plan d'action, une attention au résultat final, les étapes intermédiaires et les livrables, être au clair sur le calendrier, les périodes où il travaille sur le projet".

Gaëlle Fréchant, directrice Offre et pédagogie de la plateforme de formation Unow, qui gère 150 experts en majorité indépendants, chargés d'élaborer et mener des formations, ajoute qu'il faut "expliquer clairement sur quoi leur travail va être évalué, ce qu'ils peuvent gagner à travailler avec nous : rayonnement de leur activité, gain d'autres contrats, apprentissage".

Soigner l'intégration

Primordiale, l'intégration permet de présenter, outre la mission, l'entreprise, sa culture et ses valeurs, son activité. "La personne comprend mieux les attentes si on lui explique le positionnement sur le marché", assure Gaëlle Fréchant, qui conseille de montrer les méthodes de travail. Elle explique que Unow présente à ses indépendants "toutes les personnes à qui ils peuvent demander de l'aide, référents projet et personnes supports. "C'est aussi important de détailler la chaîne de production et faire comprendre à quel niveau ils se situent, ce que cela bloque s'ils ont du retard", souligne-t-elle.

Il faut aussi s'assurer qu'ils ont l'équipement nécessaire, qu'ils ont accès aux outils, à leur adresse mail. Pour Catherine Brennan, "quand c'est possible, c'est bien de les faire venir en début de mission, rencontrer les équipes. Et les faire revenir en milieu et fin de mission".

Equilibrer autonomie et communication

Il est important que les relations avec les salariés se passent bien. Pour les intervenants, c'est rarement un sujet, tant que les salariés sont informés de la mission et de l'expertise des indépendants, mais aussi des interactions qu'ils peuvent être amenés à avoir. En revanche, il faut réagir rapidement s'il y a un problème.

Si les travailleurs indépendants ont besoin d'autonomie, la communication est primordiale. Gaëlle Fréchant explique qu'à Unow, un canal Slack permet aux indépendants "d'interpeller très vite la personne dont ils ont besoin". "Il faut donner du feedback, insiste Catherine Brennan : savoir comment se passe la mission, si elle va dans la bonne direction avec un dialogue assez nourri". Elle fait ainsi un point d'un quart d'heure toutes les semaines avec sa freelance en administration des ventes.

Les équipes projets d'Unow ont des réunions toutes les semaines où chacun partage, sur un pied d'égalité, en plus de points individuels avec les chefs d'équipe et leurs freelances comme leurs salariés. "Il y a un système de confiance et de contrôle de tous les livrables". Mais "il y a aussi besoin d'entendre leurs contraintes, leurs souhaits, leurs idées aussi, même si vous tranchez".

Catherine Brennan estime qu'il faut "se dire que le freelance est un collaborateur à part entière, mieux on l'intègre, plus grande sera la réussite". Elle raconte que l'indépendante dans son cabinet est invitée aux événements de l'entreprise.

Pour Gaëlle Fréchant, "il faut une relation respectueuse des deux côtés. Si on donne à un freelance un planning bien précis, qu'il demande une validation rapide et que l'entreprise met trois semaines, ce n'est pas respectueux de son travail".

Anticiper les difficultés

Un problème peut se poser en cas de gros changements internes durant la mission : stratégie, gouvernance, équipes... "Il faut penser à informer les freelances. Et si le manager en charge est amené à partir, c'est quelque chose qui se prépare", selon Catherine Brennan.

Carole Pourchet directrice générale de Majorian, qui propose des services aux entrepreneurs de l'hospitalité et la restauration, identifie quelques difficultés : "savoir exprimer le besoin, laisser le temps faire le travail, ne pas trop mettre de pression sur les échéances". Pour Gaëlle Fréchant, la plus grande est "d'asseoir sa légitimité sans levier hiérarchique. On n'achète pas un produit, mais on construit une relation".

S'adapter selon le type de relation

Evidemment, la relation est différente selon le type de mission. Carole Pourchet recourt à des indépendants en Italie à mi-temps pour développer et gérer le réseau commercial : "on les considère comme une équipe à nous, ils sont intégrés à la vie de l'entreprise, aux célébrations. La construction du budget se fait ensemble, il y a une relation managériale, presque salariale". Inversement, d'autres indépendants plus ponctuels sont traités comme des prestataires "avec plus de distance".

Jean-Yves Ottmann, chercheur en sociologie des organisations, confirme que pour les relations de court terme ou très ponctuelles, le pilotage a intérêt à être le plus limité possible, avec un cadrage très fort en amont. A l'inverse de relations plus longues ou denses, où il faut vraiment créer de la confiance. "Cela peut être paradoxalement de passer par des procédures, où tout le monde sait ce qui va se passer. La construction d'une relation interpersonnelle poussée est aussi une façon de créer de la confiance. Et il y a plein d'autres dispositifs entre ces deux extrêmes".

Une relation avec un travailleur indépendant n'est pas une simple relation client / prestataire, et selon le chercheur, il convient de prendre en compte les contraintes professionnelles et personnelles de l'indépendant. Pour autant, cette relation peut se rapprocher des partenariats clients / fournisseurs. "Par exemple, ça va être d'avoir des discussions très transparente sur la répartition de la valeur", qu'il s'agisse de la répercussion de l'inflation entre les parties prenantes, ou au contraire des bénéfices plus forts qu'attendus.

Animer les indépendants

Chez Unow, une personne anime la communauté d'experts "pour embarquer dans le projet d'entreprise. C'est une spécialiste de la pédagogie capable de leur parler de leur métier, c'est important de construire cette légitimité". Et l'entreprise organise des événements, notamment des webinaires, entre indépendants et responsables de l'entreprise. Chez SoLocal, société de marketing numérique, les responsables des équipes, formées le temps d'un projet, animent les freelances, intégrés dans les équipes de la même façon que les salariés.

Dans un rapport à paraître pour l'Anact, l'association nationale pour l'amélioration des conditions de travail, sur le recours aux indépendants dans les TPE et PME, Jean-Yves Ottmann identifie deux types de management qui fonctionnent bien : un management par l'écrit, avec des procédures formalisées et au contraire un management par la qualification et l'autonomie, avec des mécanismes de responsabilisation.

Impliquer la DRH

Pour Jean-Yves Ottmann, la gestion des ressources humaines est encore trop peu présente. "Ça crée un manque à gagner. Un freelance qui travaille très bien dans un secteur de l'entreprise pourrait être une ressource précieuse ailleurs. Si les RH ne sont pas associées, peut-être qu'ils vont engager du temps et des ressources pour recruter quelqu'un d'autre". D'où l'intérêt pour lui de revoir les procédures internes et associer la direction des ressources humaines au recrutement et à la gestion des indépendants.

Fidéliser…

La fidélisation des freelances est un enjeu et peut passer par de la formation, du télétravail… Stéphanie Zappa, la directrice technique (CTO), assure qu'à SoLocal "l'idée est de s'inscrire sur toute la durée du projet, apporter de la variété dans les missions, avoir de bonnes conditions de travail". L'entreprise propose ainsi un "marché des profils en interne", pour faire passer une personne d'une équipe à l'autre, ainsi que des formations, et la participation à "la montée en compétences avec l'ensemble de collaborateurs, à travers des petits-déjeuners thématiques auxquels les freelances peuvent participer, pitcher".

Selon Jean-Yves Ottmann, l'une des mécaniques qui fait que les indépendants restent ou partent est aussi "le ratio rémunération / problème : si vous n'êtes pas capables de les manager correctement, il faut les payer très au-dessus du marché".

… Mais savoir recadrer

Dans certains cas, il faut savoir recadrer, "parler franchement, rappeler les attendus, en demandant pourquoi cela ne fonctionne pas", assure Gaëlle Fréchant. Stéphanie Zappa estime que cela "demande beaucoup de diplomatie. Il faut garder la motivation, beaucoup communiquer, être à l'écoute, remettre l'objectif au cœur et à certains moments dire stop", explique-t-elle. La directrice technique observe ainsi que "certains freelances ne veulent pas revenir au bureau", ce qui peut être gênant dans les équipes sont rassemblées au même endroit. "On a pris le risque d'un départ, qui n'a pas eu lieu", témoigne-t-elle.

Dans certains cas extrêmes, "si c'est une erreur de casting, il vaut mieux arrêter la collaboration quand cela se passe très mal et chercher un règlement amiable parce que cela ne va aller qu'en empirant", considère Gaëlle Fréchant.

Faire un retour d'expérience est très important pour toutes les parties, pour améliorer les relations, l'organisation future, expliquer ce qui était bien et comment améliorer ce qui n'allait pas. "A la fin, l'entreprise doit avoir impression d'avoir obtenu ce dont elle avait besoin. Et le freelance doit être satisfait de ce qu'il a apporté", conclut Catherine Brennan.