Rémunérations des salariés : explication de texte de la faiblesse de l’innovation ?

Certaines conventions collectives limitent la rémunération des inventeurs salariés. Les tribunaux modifient la donne.

Comment expliquer les différences de rémunération des inventeurs salariés entre celles fixées par les employeurs et les montants alloués par les tribunaux ? Tentative d’explication de texte à partir de celui de la convention collective de la métallurgie. (Suite de la tribune du 12 mars : « Comment l’industrie récompense-t-elle les inventeurs ?)

Bien que l'innovation soit devenue depuis quelques années le maître mot dans la plupart des entreprises ou comme l'enseigne les économistes, ce qui prépare l'avenir c'est la reconnaissance des talents, bien peu d'entreprises ont organisé, en interne, des règles propres pour fixer les rémunérations de leurs salariés pour leur invention. À défaut d'accord d'entreprise, ce sont les dispositions de la convention collective qui fixent les règles applicables aux relations au sein de l'entreprise. Hélas, en ce qui concerne la rémunération de l'inventeur salarié, le constat est affligeant.
Prenons le texte de la Convention Collective Nationale des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie. En son article 26, cette convention collective limite l'existence d'une telle rémunération aux seules inventions présentant un intérêt exceptionnel.
En effet, cet article pose, tout d'abord, le principe général que cette rémunération pour les inventions de mission est incluse dans le salaire : «  La rétribution de l'ingénieur au cadre tient compte de cette mission, de ces études ou recherches et rémunère forfaitairement les résultats de son travail » pour ne reconnaître qu'ensuite un versement supplémentaire mais dans un cas très particulier « Toutefois, si une invention dont le salarié serait l'auteur dans le cadre de cette tâche, présentait pour l'entreprise un intérêt exceptionnel dont l'importance serait sans commune mesure avec le salaire de l'inventeur, celui-ci se verrait attribuer, après la délivrance du brevet, une rémunération supplémentaire pouvant prendre la forme d'une prime globale versée en une ou plusieurs fois ». L'exceptionnel étant plutôt rare, comment s'étonner que l'innovation soit si peu encouragée dans la réalité ?
Selon ce texte, la plupart des salariés qui ont une mission inventive verraient leur rémunération pour leurs inventions incluses dans leurs salaires. Comment apprécier l'intérêt exceptionnel que présenterait l'invention pour l'entreprise ? S'agirait-il de d'évaluer comment l'invention peut être exploitée au sein de la production de l'entreprise au jour de l'invention ou de mesurer la réussite de cette exploitation par l'entreprise après un certain délai ? Ou faudrait-il encore pour quantifier « l'intérêt pour l'entreprise » de cette invention et vérifier si celui-ci est exceptionnel, tenir compte d'éventuels accords de licence que l'entreprise a pu accorder à d'autres entreprises sur cette invention, quand l'entreprise ne veut pas se lancer dans la production de cette invention ? Qui sait combien de salariés inventeurs se sont vu opposer les dispositions de cette convention collective pour écarter, à tort, leur droit à rémunération ?
En effet, une telle condition, le caractère exceptionnel de l'invention, n'est pas prévue par la loi qui organise dans le cas de l'invention de mission le principe du transfert de sa propriété à l'employeur, l'article L611-7 ne distinguant pas entre les inventions selon leur intérêt pour qu'une rémunération bénéficie aux salariés.
En 2005, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi contre un arrêt de la Cour d'appel de Lyon qui avait jugé que l'article 26 de la convention collective était contraire à la loi désormais applicable, laquelle est d'ordre public, et devait être réputé non écrit. Depuis les juridictions parisiennes ont écarté également l'application de cet article 26.
On sait également que certaines entreprises ont entendu fixer la rémunération de leurs salariés inventeurs en fonction uniquement du salaire. Ci-dessus l'extrait cité de l'article 26 de la Convention Collective Nationale des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie retient que cette rémunération serait incluse dans le salaire, ce qui est encore plus restrictif. Or la Cour de Cassation par un arrêt de 2000 a déjà dit que la rémunération supplémentaire due au salarié ne pouvait pas être fixée en fonction de son salaire.
Pourrions-nous conclure que plus de 15 ans de rémunération pour les salariés inventeurs ont été perdus ? Cela serait sans doute trop rapide. En effet, toutes les actions des inventeurs salariés ne sont pas prescrites. Le plus souvent d'ailleurs, le salarié n'apprend le développement de son invention, qu'après son départ de l'entreprise, s'il n'a pas d'ailleurs été licencié parce que justement il demandait à se voir reconnaître la qualité d'inventeur, moment où il découvre que son invention est devenue une source importante de profits, indiscutablement une source de valeur pour son entreprise, pour les actionnaires et pour les managers.