Le travail est un élément clé de notre épanouissement

A l'heure de l'entreprise libérée, des "Chiefs Happiness Officer", des "managers coaches" qui voient le jour au sein de nos organisations, quel est le sens du travail aujourd'hui ? Ces nouveaux concepts et fonctions ne nous font-ils pas perdre de vue la nature profonde du travail ?

C’est comme ça : les humains aiment les modes. Pourtant, en matière d’analyse et de courant de pensée, rien n’est pire que la mode. Elle bride l’originalité, amène tout le monde à penser la même chose et de la même façon.

Quand elle s’applique au travail collectif, à la vie des collaborateurs et des dirigeants, à la composante humaine de l’entreprise, il faut se méfier plus que tout des modes et des tendances car elles confinent rapidement à la caricature.

Cela fait très longtemps que nombre de penseurs, d’intellectuels, d’économistes, de philosophes même, se sont interrogés sur le sens du travail et sa dynamique humaine. Initialement, nombreux étaient ceux qui pensaient que la productivité allait libérer l’homme et permettrait ainsi l’avènement d’une société de loisirs.

Pourtant, Marx, qui décortique notre rapport au travail à l’entreprise dès le milieu du XIXe siècle dans des ouvrages tel que Le Capital, explique comment l’arrivée des machines dans les chaînes de production a dégradé les conditions de travail des hommes. Charlie Chaplin dénoncera d’ailleurs ce partiel asservissement des travailleurs dans "Les Temps Modernes", film dans lequel il parodie le fordisme, synonyme de travail à la chaine et de production de masse.

Ce courant de pensée est encore présent aujourd’hui. C’est celui qui lie le travail à la souffrance – notamment en France qui a utilisé le nom latin d’un instrument de torture, "tripalium" pour aboutir à "travail" ou qui associe volontiers l’adjectif "dur" au mot original labor / labeur. Aujourd’hui, on parle de stress, de souffrance au travail. Des observatoires voient le jour sur ces sujets. Et certaines crises – Renault, France Télécom / Orange – sont encore dans toutes les mémoires avec leurs composantes dramatiques allant jusqu’à des suicides.

En face, il existe une autre tendance, venue notamment des Etats-Unis – culture protestante contre-culture judéo-chrétienne ? – où l’on tend au contraire à faire du travail un instrument d’épanouissement, de réalisation personnelle, à tout le moins un lieu et un espace où l’entreprise laisse au collaborateur des plages pour s’adonner à ses passions (les Gafa ont poussé le concept jusqu’à l’extrême) et mieux équilibrer le diptyque vie pro / vie perso.

Dans cette veine ont vu le jour ces dernières années de nouvelles fonctions chargées de veiller au bien-être des collaborateurs : "Chief Happiness Officer", "manager coach", etc. En parallèle, de nouveaux concepts ont émergé : la marque employeur, les congés illimités, l’entreprise libérée…  Le baby-foot, la corbeille de fruits à l’accueil sont devenus des marqueurs, la salle de sieste, le moment de massage ou la chorale un bon "nice to have", éclipsant un peu les stages de survie, les sauts à l’élastique ou en parachute et les cours de boxe, un peu trop agressifs par rapport au yoga ou au Tai-Chi. Toutes ces nouvelles fonctions, activités et autres concepts à la mode créés une confusion des genres, donnant l’illusion à chacun de travailler dans un centre de loisirs. Or, l’entreprise n’est pas un Club Med et le manager n’est pas un GO.

De ces deux visions, la sombre et l’angélique, qui a raison, qui a tort ? Les deux ont un défaut majeur : elles nous font oublier la nature profonde du travail et de son rôle dans nos vies. On ne travaille ni pour souffrir ni pour être heureux : on travaille bien sûr pour "gagner sa vie" - expression étrange quand on y songe - mais aussi et surtout pour apprendre, progresser, se construire, se transformer. Parallèlement, on travaille avec autrui donc on échange, on collabore, on interagit. Le travail est constitutif de notre nature humaine, par ses enjeux à la fois individuels et collectifs, économiques, sociaux, sociétaux. On ne peut prétendre être heureux lorsqu’on est malheureux dans son travail. Et pour autant, si le travail contribue à l’épanouissement de chacun, son but n’est pas de rendre heureux comme peut l’être la vie amoureuse, familiale ou amicale.

De même, sur le long terme, il n’y a pas de travail sans création de valeur, sans entreprise performante, sans contribution de chaque collaborateur à la réussite collective. La seule réussite individuelle ne suffit pas. 

Finalement, ce qu’on demande au travail c’est aussi voire surtout de contribuer à donner un sens à notre existence fidèle à cette expression populaire qui a fait flores en soirée : "tu fais quoi dans la vie ?" à laquelle personne n’a jamais répondu par un "je respire", "je mange" ou "je suis amoureux" qui auraient pourtant été plus logique.

A l’heure de la 4ème révolution industrielle et alors que beaucoup émettent des craintes vis-à-vis des intelligences artificielles qui remplaceraient les humains, le travail demeure plus que jamais une nécessité, car il apporte du sens à nos vies.