Grâce aux nouvelles technologies, distanciation spatiale ne rime pas avec distanciation sociale

Enfermés chez eux, les Français éprouvent un besoin vital de maintenir le lien social. L'explosion des usages d'Internet témoigne de cet engouement, surtout chez les plus jeunes. Cette inédite période signe également le retour en grâce du site Internet, plus simple d'utilisation que les applications pour smartphone.

"L'homme est un animal social" : jamais sans doute la célèbre maxime d'Aristote n'a-t-elle résonné si paradoxalement qu'en cet épisode de pandémie. Confinés chez eux pour juguler la propagation de l'épidémie de coronavirus et la saturation des systèmes de santé, des milliards d'êtres humains ont été sommés de limiter, du jour au lendemain, les contacts interpersonnels. Inconnue du grand public, impensée, car impensable jusqu'alors, l'expression "distanciation sociale" s'est brutalement imposée dans notre quotidien, régissant tous ses aspects, du travail aux courses alimentaires, en passant par les loisirs ou les plus élémentaires formes de manifestations d'affection.

Ne pas rompre le lien social

S'il nous est désormais, et sans doute pour de nombreux mois encore, interdit d'embrasser ou de serrer des mains hors de notre cercle relationnel le plus intime, il nous faut, avec autant de force et de résolution que nous appliquons les mesures barrières, refuser la "distanciation sociale" au sens propre. C'est bien la distance physique, spatiale, qui nous protège les uns les autres ; mais en rien, la rupture de tout lien social. Au contraire, pour faire face au virus et à ses terribles conséquences, nous devons, plus que jamais, collectivement renforcer ce lien, cultiver des élans de solidarité, coordonner nos efforts, entretenir cet irrépressible besoin de convivialité qui nous définit en tant qu'êtres humains.

Car la solitude tue, plus sûrement encore que la maladie. Nos aînés, qu'ils soient comme nous confinés chez eux ou résidents en EHPAD, savent mieux que quiconque à quel point ce lien social est nécessaire à l'équilibre psychologique et à la stimulation cognitive. Sans lui, c'est le repli sur soi, la détresse psychologique, voire le "syndrome de glissement", c'est-à-dire la détérioration générale. Les adolescents ont, eux aussi, et encore plus en période de confinement, besoin du contact avec leurs camarades et amis. À cet âge, "tous les repères émotionnels et cognitifs se trouvent (…) à l'extérieur de la famille", ce pour quoi les ados"ont besoin de s'identifier à d'autres personnes, notamment à des pairs", explique la pédopsychiatre Hélène Denis.

Les nouvelles technologies, massivement plébiscitées pour rompre l'isolement

"Loin des yeux, proche du cœur" : sans surprise, le confinement généralisé a fait littéralement exploser le temps d'utilisation de nos téléphones et écrans. Des écrans parfois décriés parce que faisant supposément "écrans" entre les individus, mais qui représentent, avec la crise du Covid-19, souvent le seul et unique moyen de maintenir un minimum d'interactions et d'entretenir ce fameux lien social. Ainsi, selon une étude réalisée par l'Ifop à la fin du mois de mars, près d'un Français sur deux (45%) passe désormais plus de trois heures par jour sur son téléphone mobile – une proportion qui atteint 72% chez les Millennials, ces 15-34 ans qui sont même un sur deux à reconnaître y passer plus de quatre heures quotidiennement.

Appels téléphoniques (pour 88% des Français), textos (65%), réseaux sociaux (59%, et même 70% chez les Millennials), visioconférence (41%), mails (38%)... : tous les moyens sont bons pour pallier la solitude et entretenir le lien social, surtout quand il s'agit de nouvelles technologies. Une véritable ruée vers Internet, qui a même remis un temps au cœur de l'actualité la notion de neutralité du Web, contraignant les opérateurs à appeler les citoyens, par la voix du président de la Fédération française des télécoms, Arthur Dreyfuss, à la "responsabilité numérique" et à la "discipline sociale".

Pendant le confinement, le site Internet retrouve ses lettres de noblesse

Et si, à la faveur de nouvelles technologies pleinement prises en main par leurs utilisateurs, nous assistions à l'émergence d'une sociabilité nouvelle ? La diversité et l'inventivité des usages redécouverts à l'occasion du confinement plaident en ce sens : télétravail ; jeux en ligne ; plateformes d'apprentissage en ligne et cours virtuels ; "Skypéro", "WhatsAperos" ou "visio-apéros", ces happy hours réunissant familles et amis par visioconférence ; services religieux ou méditations de groupe en ligne ; visites virtuelles de grands musées ; concerts ou pièces de théâtre retransmis en live ; "Netflix party", cette extension pour navigateur Internet permettant de suivre ses séries à plusieurs à distance ; etc. : que ce soit pour le travail, l'éducation, les courses ou les loisirs, de nouvelles sociabilités virtuelles prennent, au pied levé, le relai d'une "vraie vie" momentanément entre parenthèses.

Si les applications pour smartphones – Zoom, Instagram, Whatsapp, etc. – fleurissent chaque jour et connaissent un regain de popularité, le site Internet retrouve lui aussi ses lettres de noblesse. Il n'est, en effet, pas encore donné à tout un chacun de savoir manier des applications imaginées par et pour les plus jeunes et connectés d'entre nous. Dans une société où la fracture numérique persiste, les sites Internet demeurent plus faciles d'accès et d'utilisation, permettant en cette période inédite de s'exprimer et de partager son expérience du confinement : là, un site recense des témoignages sur l’épidémie ou permet d’accéder à la culture malgré le confinement, ici un autre accompagne les personnes éloignées du numérique à se familiariser, là encore un site recense les offres d’emplois des secteurs essentiels à notre économie ou encore des volontaires pour aider les associations en cette période difficile. Autant d’initiatives solidaires et inspirantes qui voient le jour grâce à Internet et aux nouvelles technologies, plus intégrées que jamais à notre quotidien.