Le patron ajoute une employée à un groupe WhatsApp pendant ses congés, la justice le condamne à lui verser un montant record
Si votre employeur a du mal à respecter vos congés, ce jugement devrait le faire réfléchir. Et il devra aussi se souvenir que les congés sont non seulement faits pour prendre du bon temps et voir sa famille mais aussi pour se déconnecter de ses tâches habituelles au travail. Car votre patron doit bel et bien respecter votre droit à la déconnexion, prévu dans le Code du travail. Au risque de le payer cher devant la justice.
La preuve avec ce responsable de magasin travaillant en Espagne dans un magasin détenu par LVMH Iberia, l'entité espagnole de LVMH, le géant du luxe français. Nous sommes en mai 2023 et en prévision de ses congés à venir, la salariée concernée écrit un mail à son patron. Dans ce courriel, elle fait part à son supérieur de son souhait de ne plus utiliser son téléphone personnel pour des usages professionnels. Elle annonce à la fin de son message qu'elle quittera les différents groupes WhatsApp du travail à la fin de sa journée de vendredi. Une promesse de vacances sans notification des collègues, on peut la comprendre.
Quelques jours plus tard, elle part en vacances, conformément à ce qui était prévu. Mais le calme auquel elle aspirait est perturbé le 5 juin lorsqu'elle reçoit une notification WhatsApp. La responsable de magasin vient d'être ajoutée dans un groupe nommé "GRUPO.1". Cet ajout n'a pas été prévu, son patron ne l'a pas prévenu qu'il comptait le faire. Quoi qu'il en soit, cette notification gâche un peu les vacances de la responsable qui est retirée du groupe quelques semaines plus tard, le 28 juin.

Début juillet, l'employée saisit l'Agence Espagnole de Protection des Données (AEPD), équivalent de la Cnil en France. Elle dénonce son employeur qui l'a forcée à utiliser son téléphone mobile personnel à des fins professionnelles pendant ses vacances. En face, l'entreprise affirme avoir respecté le droit de retrait de sa salariée, invoquant le fait qu'elle n'a pas demandé à être exclue des groupes de manière permanente. Une tentative de jouer sur les mots qui va coûter cher.
Dans son jugement l'AEPD estime que l'employeur n'a aucune base légale pour justifier l'ajout de la salariée en vacances dans le groupe WhatsApp. Elle estime que la salariée avait émis très clairement son souhait de ne plus lier son numéro personnel à des fins privées, et que l'employeur n'a pas respecté sa volonté. Elle relève donc une infraction au Règlement général sur la protection des données (RGPD), également en application en France.
LVMH Ibéria est initialement condamné à payer 70 000 euros d'amende à sa salariée, conformément aux critères de l'article 83,2 du RGPD. L'entreprise débute le paiement de la somme avant la fin de la procédure, ce qui lui permet d'obtenir une réduction de 20% sur le montant de l'amende. Elle reconnaît sa culpabilité, ce qui réduit de nouveau de 20% la somme à payer à la salariée. Au final, la salariée reçoit 42 000 euros de LVMH Ibéria. De quoi réfléchir plusieurs fois avant d'ajouter à une messagerie un collaborateur en vacances.
Mais un tel jugement pourrait-il avoir lieu en France ? Pour Jonathan Hervé, avocat en protection des données au cabinet Eidos, c'est oui. "Sur le principe, ça pourrait se passer de la même manière. Le RGPD est un texte réglementaire qui s'applique en France et dans d'autres pays d'Europe. Les décisions des cours européennes autour du RGPD sont des aperçus de ce que pourrait dire la Cnil pour des affaires similaires en France." Par conséquent, surveillez-bien vos messages WhatsApp pendant vos congés. Enfin, pas trop quand même, l'objectif est de se reposer.