Pourquoi les médias français succombent à Facebook Live

Pourquoi les médias français succombent à Facebook Live L'outil de diffusion de vidéos en direct de Facebook permet à des titres comme 20 minutes, Europe 1 et RTL de réaliser de belles audiences numériques et de toucher un public plus jeune.

Invité de la matinale d'Europe 1, le 17 mai dernier, le président François Hollande était simultanément audible sur Facebook, son interview étant diffusée en direct et en replay sur Facebook Live. Un beau succès d'audience, avec une vidéo vue plus d'1,4 million de fois et un hashtag #E1Hollande placé en tête des trending topics France toute la matinée.

Une initiative qui risque également de conforter dans leur décision les nombreux médias qui se sont jetés sur l'outil de diffusion de vidéos live de Facebook. Manifestations contre la loi Travail, concerts exclusifs ou simples interviews avec un invité de marque… Les événements Facebook Live inondent lentement mais sûrement les fils d'actualités depuis le début de l'année.

François Hollande vu par 1,4 million d'utilisateurs de Facebook

Un engouement qui s'explique d'abord par les fortes audiences obtenues grâce à l'omniprésence de Facebook. Europe 1 et François Hollande sont encore loin des 10 millions de vues réalisé par le Live de Buzzfeed et son duo d'employés filmés en train d'enrouler des élastiques autour d'une pastèque jusqu'à ce qu'elle explose. Mais la performance est excellente pour un univers online où les interviews politiques dépassent rarement la dizaine de milliers de vues.

Il faut dire que Facebook Live est surtout l'opportunité, pour beaucoup, d'aller s'adresser à une audience plus jeune, pas toujours assidue des sites média. "Cette opération avec François Hollande nous a permis de toucher un public qui n'aurait sans doute pas suivi sa prestation autrement", confirme le directeur digital du pôle Radios/TV de Lagardère Active, Thomas Doduik.

Pas de cannibalisation de l'audience de la radio, sur les ondes ou sur le site donc. Bien au contraire : "Nous utilisons fréquemment la fonctionnalité en amont de nos émissions radio, pour en montrer les coulisses et inciter l'internaute à suivre la suite au sein de notre application", explique de son côté, Antoine Daccord, directeur de la rédaction numérique et du développement de RTL.

Pas de monétisation... pour l'instant

Qu'importe alors, si ces opérations ne génèrent pas un centime d'euro, Facebook n'y ayant pour l'instant pas associé de modèle économique. "La logique reste pour le moment de faire découvrir nos contenus là où se trouve l'audience et d'aller chercher de nouveaux visiteurs", justifie Thomas Doduik. Des nouveaux auditeurs qui, sur mobile, passent le plus clair de leur temps sur Facebook en faisant un carrefour d'antenne obligé. 

Même son de cloche chez 20 minutes où la puissance de la page Facebook et de ses 1,4 million de fans ont fait du concert de Chico & The Gypsies dans ses locaux un beau succès d'audience avec plus de 227 000 vidéos vues. "L'opération est d'autant plus bénéfique que ce format natif est vraiment mis en avant par Facebook", se félicite Anne Kerloc'h, la rédactrice en chef adjointe participatif, réseaux sociaux, partenariats et vidéo du quotidien.

Un format natif boosté par l'algorithme de Facebook

Tous les médias interrogés ont suivi à la lettre les conseils dispensés par Facebook dans une note, incitant à annoncer le live en amont, à lui accoler une description attractive et à s'assurer de la bonne connexion au réseau. Et bien évidemment à demander aux fans de "follower" le média pour être notifié des prochains Live.

Alors que Facebook vient de faire sauter le verrou initial de 90 minutes (un stream peut durer jusqu'à 24 heures), beaucoup s'en tiennent aujourd'hui à des durées de diffusion comprises entre quelques minutes et 1 heure. Qu'il s'agisse du concert de Chico & The Gypsies chez 20 minutes ou des billets d'humeurs quotidiens de Pascal Praud pour RTL en prévision de l'Euro 2016.

Un seul léger point de divergence : le moyen de captation vidéo. Alors que RTL et 20 minutes optent aujourd'hui pour le smartphone, Europe 1 n'a pas hésité à utiliser ses caméras full HD. RTL préfère de son côté en réserver l'exclusivité à ses plateformes propriétaires "tant qu'il n'y a pas d'accord de partage de revenu ou d'attribution d'audience", nous explique Antoine Daccord. Les trois premières chansons d'un concert de Ben Harper ont été ainsi difusées sur Live depuis un smartphone. L'internaute qui voulait vivre l'expérience en intégralité et qualité HD devait lui se rendre sur le site de RTL 2.

Facebook permet depuis peu d'uploader des vidéos pré-enregistrées et de les diffuser via Facebook Live. De quoi faire rayonner online le faux-direct popularisé par le prime TV des années 90 ? Aux Etats-Unis, certains médias s'y essaient. Leurs homologues français interrogés semblent plus sceptiques, évoquant à l'unisson un "usage contre-nature". Même si, comme le concède dans un sourire Anne Kerloc'h, "il est malin d'utiliser le système de notification de Live pour booster le reach des vidéos uploadées".

La fin de Periscope ? Pas forcément

Dans tout ça, un perdant certain : Periscope, l'outil racheté par Twitter courant 2015, qui après avoir éteint Meerkat pourrait subir le même sort avec l'arrivée de Facebook Live. Antoine Daccord tempère, évoquant des usages différents : "Periscope pour le personal branding de nos animateurs et Facebook Live pour faire rayonner la marque média." Une certitude, les audiences ne sont absolument pas comparables, selon nos interlocuteurs. Autre écueil de taille chez Periscope : des commentaires visibles en surimpression. "Pas idéal pour la rediffusion", selon Anne Kerloch.

Alors que l'arrivée de Facebook Live marque une étape de plus dans la plateformisation des médias, le patron de RTL Net, Thomas Karolak, joue les pragmatiques et estime que "la stratégie full site-centric est aujourd'hui désuète". Héberger les contenus chez Facebook ou Snapchat pour plus d'audience (mais moins d'indépendance) est un pari que beaucoup de ses confrères semblent d'ailleurs prêts à prendre.

De là à lancer des contenus et émissions dédiées à Facebook Live ? "Pourquoi pas, si toutefois la monétisation est au rendez-vous", conditionne Thomas Karolak. "La curiosité et les audiences diminueront à mesure que l'outil se popularisera, nous obligeant à être plus créatifs et exigeants sur les formats que nous diffusons", prévoit aussi Anne Kerloch.