Chris Messina (créateur du hashtag) "Pour créer le hashtag, je me suis inspiré de FlickR et IRC"

Twitter, Instagram, Youtube, Facebook... Le hashtag est partout, utilisé chaque jour par des millions de personnes. Son inventeur, Chris Messina, revient sur l'origine de sa création et évoque son avenir.

JDN. Vous êtes connu pour avoir inventé le hashtag en 2007 alors que vous étiez un simple utilisateur de Twitter. Comment est née cette idée ?

Chris Messina est le créateur du hashtag. © C. Messina

Chris Messina. A l'époque, lorsque vous suiviez quelqu'un sur Twitter, vous receviez toutes ses publications par sms. Si cette personne publiait beaucoup de contenus, cela pouvait vite devenir ennuyeux. Par exemple, lors de la conférence SXSW en 2007, beaucoup ont utilisé Twitter pour partager leur expérience sur place. Si ce contenu était pertinent pour les autres participants, ça l'était beaucoup moins pour tous ceux qui n'avaient aucune idée du contexte et du sujet de ces tweets. Il fallait donc trouver une solution pour filtrer le contenu et rassembler des personnes autour d'un même sujet.

Avant les réseaux sociaux, ce problème avait été résolu grâce aux forums et groupes de discussion qui permettaient à des internautes d'échanger sur un sujet précis. Mais cette solution ne s'adaptait pas à des messages de 140 caractères. J'ai donc réfléchi à plusieurs solutions et celle du hashtag m'est apparue comme la meilleure.

De quoi vous êtes-vous inspiré ?

De FlickR. La plateforme permettait à cette époque d'ajouter des tags pour permettre à d'autres de découvrir ses photos. Je me suis également inspiré de la plateforme IRC (Internet Relay Chat) qui permettait de créer des channels en ajoutant un symbole "#" devant un mot, un mécanisme dont Slack s'est également inspiré. J'ai alors rédigé un billet de blog pour décrire le futur fonctionnement du hashtag et j'ai également créé une maquette pour montrer à quoi pourrait ressembler la catégorie "tendances". J'ai ensuite écrit à des amis entrepreneurs pour leur demander ce qu'ils pensaient de mon idée. Mais beaucoup pensaient qu'il serait difficile de convaincre toute la communauté d'utiliser ce symbole. J'ai donc décidé de me rendre au siège social de Twitter pour proposer mon idée aux fondateurs.

Et quelle a été leur réaction ?

J'ai rencontré Biz Stone, l'un des cofondateurs, dans leurs locaux de San Francisco. Twitter était à cette époque une petite start-up qui venait de pivoter d'un site de podcast appelé Odeo vers une plateforme de microbloging. La société était en pleine croissance et devait gérer la montée en charge de ses serveurs. Des services comme AWS n'existaient pas encore. Lorsque je suis venu leur présenter mon idée, ils avaient d'autres priorités... Ils m'ont conseillé de revenir lorsqu'ils auraient réussi à stabiliser leur infrastructure. Je pense aussi qu'ils n'étaient pas réellement emballés par cette idée. Ils pensaient probablement que des algorithmes permettraient de mieux filtrer les tweets en analysant leur contenu.

Face au manque d'enthousiasme des fondateurs, quelle a été votre stratégie pour faire adopter votre idée, malgré tout ?

J'ai décidé d'aller parler aux développeurs qui créaient des applications pour Twitter afin qu'ils soutiennent l'idée du hashtag et l'intègrent dans leur software. A cette époque, Twitter pouvait compter sur une importante communauté de développeurs tiers. C'était un levier intéressant, car plutôt que de convaincre les utilisateurs de changer leur comportement, il me fallait changer les outils. Puis est arrivé un moment clé dans l'adoption du hashtag lorsque des feux de forêts se sont mis à ravager la région de San Diego. L'un de mes amis résidant sur place, Nate Ridder, a alors utilisé Twitter pour partager les informations collectées en temps réel de plusieurs sources telles que la police, les pompiers, les radios, etc. Je l'ai contacté pour lui suggérer de commencer ses tweets par #SandiegoFire afin de permettre à d'autres de suivre l'évolution de l'événement. Puis d'autres ont commencé à l'imiter.

Comment les utilisateurs pouvaient-ils suivre ce hashtag si la fonctionnalité n'était pas encore intégrée par Twitter ?

Twitter avait développé à cette époque une fonctionnalité appelée Track qui permettait de vous abonner à des mots clés. Le problème était que vous ne pouviez suivre qu'un seul mot. Le système n'était donc pas pratique si vous vouliez suivre un événement comportant plusieurs mots comme par exemple la "coupe du monde". Le hashtag répondait à ce problème tout en permettant aux autres utilisateurs d'identifier les mots clés qui permettaient de rejoindre une conversation. Cet exemple de San Diego a été utile car il a permis de démontrer deux choses : Twitter était un outil précieux pour suivre des informations en temps réel et le concept du hashtag était utile pour organiser et rejoindre des conversations.

D'où vient le nom hashtag ?

Au départ, j'avais baptisé mon idée le "tag channel" en référence aux tags de FlickR et aux channels d'IRC. C'est un ami à moi du nom de Stow Boyd qui a eu l'idée de le nommer hashtag. J'ai immédiatement réalisé que c'était un bien meilleur nom.

Pourquoi ne pas avoir breveté votre idée ?

Dans la Silicon Valley beaucoup rêvent de devenir riche en créant une entreprise mais cela n'a jamais été mon cas. Mon objectif était de créer un Web plus social. Je voulais que les hashtags permettent aux internautes de mieux communiquer sans avoir à se soucier de la plateforme qu'ils utiliseraient. C'est pour cette raison que je ne souhaitais pas qu'une entreprise puisse se l'approprier. Aujourd'hui les hashtags sont très utilisés sur des plateformes comme Twitter ou Instagram sans qu'aucune entreprise ou organisation ne puisse revendiquer sa création. Il s'agit là d'une idée née sur le Web.

Quelles fonctionnalités manquent-elles encore sur Twitter selon vous ?

Je pense que Twitter pourrait booster sa croissance en s'appuyant sur les hashtags. Par exemple, sur Instagram il est possible de s'abonner à des hashtags ce qui n'est pas encore le cas sur Twitter, même si j'ai cru comprendre que ses dirigeants allaient bientôt intégrer cette fonctionnalité. Twitter et d'autres plateformes devraient également s'attaquer au problème des trolls et des commentaires négatifs. Car il suffit qu'un idiot vous laisse un commentaire négatif pour que cela affecte toute votre expérience sur la plateforme. Il faudrait ainsi créer de meilleurs outils pour dissocier les comportements positifs et critiques constructives des commentaires abusifs.

Beaucoup d'utilisateurs et de marques utilisent des hashtags à des fins marketing. Comment préconisez-vous de les utiliser ?

La question à se poser est : que va apporter un hashtag à mon message ? Beaucoup de personnes et de marques utilisent des hashtags pour essayer d'être vues, même si leur sujet n'a rien à voir avec le hashtag en question. Ces messages qui surfent sur l'actualité sont une forme de virus de l'information. Il s'agit là d'utilisations frauduleuses comme on peut en trouver sur toutes les plateformes. Ce que je conseillerais à l'inverse est de respecter son audience en créant du contenu pertinent et intéressant, puis d'utiliser un hashtag seulement si celui-ci apporte de la valeur et rend le contenu plus vivant.

Chris Messina est un product designer résidant à San Francisco. Il est connu pour être avoir inventé le hashtag en 2007. Il a également travaillé plusieurs années pour Google et Uber. Il est le cofondateur de Molly, une start-up à l'origine d'une IA conversationnelle qui intègre le Y Combinator en 2018. Il intervient également en tant que speaker dans des événements tels que TEDx, SXSW ou encore Google I/O.