Voisinage et entraide : n'oublions jamais cette solidarité !

Dans la crise historique et dramatique que traverse le monde entier, chaque individu, chaque famille confinée cherche du réconfort ou plus simplement à se réjouir un peu. Si un évènement de cette ampleur fait ressortir ce qu'il y a de plus profond en chacun de nous, n'oublions jamais à l'avenir les formidables élans de fraternité qui ont germé ci et là et l'importance nouvelle qu'a revêtu l'échelle locale dans notre compréhension des enjeux sanitaires, économiques et sociétaux.

De part et d’autre de l’Hexagone, la presse quotidienne et les réseaux sociaux ont relayé des initiatives d’entraide entre voisins toutes plus inventives et généreuses les unes que les autres. Cette communication positive relève presque d’une obligation sanitaire, tout comme les gestes barrières, car elle contribue à nous fortifier tous. En cette période sombre où le réseau informationnel est souvent saturé d’annonces tristes, de mauvaises nouvelles voire de discours catastrophistes, ces initiatives ont pu déclencher chez beaucoup un sourire ému, un grand soulagement et un sentiment d’humanité.

  1.             La fraternité spontanée : le plus beau visage du civisme

            N’oublions jamais ces applaudissements ritualisés, ces concerts improvisés, ces chants et ces discussions de balcon, qui sont autant de béquilles morales pour traverser la tempête. Chacun a entendu ces histoires magnifiques : qui dépose un repas préparé pour sa voisine infirmière, qui se propose pour garder les enfants de ceux qui, courageux, maintiennent le service minimal d’urgence nécessaire à la vie commune. Que ce soit par réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp) ou directement chez l’habitant, comme cette habitante de Valenciennes qui fait les courses pour par moins de 7 personnes de son voisinage, partout l’entraide s’organise de façon responsable et citoyenne.

            N’oublions jamais tous ces petits commerces et autres PME qui, pourtant durement touchés, distribuent gratuitement des repas ou des fleurs, et convertissent leurs chaînes de production pour faire face à la demande de produits de première nécessité. N’oublions pas non plus que les pouvoirs publics municipaux ne sont pas en reste, comme cette initiative de la ville de Brest qui met en place des affichettes pour proposer des services entre voisins à l’intérieur des immeubles. Partout un constat s’impose : dans un moment aussi difficile, nous nous serrons les coudes avec ceux qui nous entourent, littéralement.

            N’oublions jamais qu’à une autre échelle, ce sont aussi nos voisins allemands des länder frontaliers, ainsi que le Luxembourg et la Suisse, qui ont accueilli les malades graves des hôpitaux du Grand Est les plus durement touchés. Nous ne pouvons qu’instinctivement leur exprimer une immense gratitude, quel que soit d’ailleurs notre point de vue sur l’Europe, en espérant leur rendre la pareille un jour.

            Le local comme nouvelle échelle de référence territoriale ?

            Toutes ces initiatives audacieuses, dans l’urgence, d’une situation que personne ne pensait possible, font entrer l’échelon local par la grande porte. Qui aurait pu ainsi imaginer un ministre de l’agriculture faisant appel aux volontaires pour travailler dans les champs environnant ? Mieux : qui aurait pu se douter que certains économistes, pourtant libéraux, remettent en question les chaînes d’approvisionnement en flux tendu et mondialisées qui font malheureusement craindre aujourd’hui certaines pénuries par manque de production locale ?

            Si les dernières décennies ont été l’occasion d’essai et d’erreur, de réflexions théoriques amenant à toute sorte de projets que ce soit dans l’économie sociale, dans les plateformes et startups collaboratives ou au niveau associatif, nous sommes aujourd’hui mis en situation concrète de remettre les citoyens et les utilisateurs au centre, dans une perspective locale et autonome. Peut-on aller jusqu’à dire que nous allons assister à l’aboutissement du principe de subsidiarité, selon lequel la responsabilité d’une action publique revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action ? Parions peut-être plus sur un élargissement de ce principe au-delà du cadre et maillage institutionnel public, vers certaines sphères de l’économie. Quoi qu’il en soit, la solidarité en cours nous montre que les citoyens n’ont pas attendu les consignes du gouvernement pour se remonter les manches et mettre en place des dispositifs efficaces d’entraide.

            Ces changements ont inspiré au philosophe des sciences Bruno Latour une tribune au titre incisif : « Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise ». C’est en effet le temps de ne pas simplement faire en sorte que tout « revienne à la normale », mais bien de remettre à plat certains dogmes économiques, notamment notre conception trop péjorative de l’économie locale. Mais c’est paradoxalement à l’échelle de la société toute entière qu’il faudra répondre à ces questions. Pour l’heure et à notre échelle, mon geste sera de ne jamais oublier le souffle fraternel qui anime nos voisinages comme tant d’autres à travers le monde.