Emploi tech : le Web3 français ne connaît pas la crise... mais la pénurie, si

Emploi tech : le Web3 français ne connaît pas la crise... mais la pénurie, si Les besoins en main d'œuvre sont conséquents dans le secteur du Web3, d'autant que la demande provient désormais aussi d'entreprises non crypto.

Le Web3 français recrute ! Secteur encore jeune et à défricher, il se structure cependant chaque année dans le sillage des licornes Ledger et Sorare, au point d'amener le ministre de la Transition numérique Jean-Noël Barrot à insister lors de la Binance Blockchain Week en septembre 2022 sur la volonté gouvernementale et présidentielle de "soutenir l'écosystème Web3". C'est d'ailleurs à ses côtés que le CEO de Binance, Changpeng Zao, a annoncé "la création de 200 emplois chez Binance en France d'ici à la fin de l'année 2022", en supplément des 150 déjà en place actuellement à Paris.

D'après une étude publiée par KPMG en janvier 2022, l'écosystème crypto français devrait employer plus de 2 400 personnes en 2023, soit une hausse de 340% depuis 2021. Qu'importe que le marché crypto soit baissier, l'heure est à la croissance du côté des effectifs du Web3.

À titre d'exemple, l'entreprise lyonnaise iExec a déjà recruté "une trentaine de collaborateurs depuis 2020 pour atteindre une quarantaine de personnes en 2022", selon son CEO et cofondateur Gilles Fedak. La firme française de crypto-paiements Request Finance"a triplé en 2022 pour s'établir à un effectif d'environ 30 collaborateurs, principalement répartis entre Paris, Singapour et Lisbonne", explique le CEO Christophe Lassuyt. Sur la seule année 2022, "la taille des équipes d'Arianee a doublé, passant de 25 à 50 personnes", détaille de son côté Antoine Rémy, directeur financier de la plateforme NFT dédiée à l'industrie du luxe.

Parmi les entreprises que le JDN a interrogées, Sorare affiche l'une des croissances les plus importantes, "avec 109 personnes recrutées en 2022", selon la directrice du personnel, Kiana Davari. En 2021, la startup française présentait un effectif de 33 employés. Fleuron du jeu et du métaverse, The Sandbox présentait un effectif de cinq salariés en 2020 contre 60 salariés cette année, sans oublier "ses 350 collaborateurs externes, partout dans le monde", selon son attaché de presse Arnaud Kamphuis. Enfin, lorsque Marie Piqot est arrivée en tant que responsable du recrutement chez Coinhouse en octobre 2021, "l'entreprise comptait 40 salariés". Un an plus tard, les collaborateurs de la banque crypto française sont "plus d'une centaine".

La conjoncture macro-économique n'affaiblit pas leur appétence. "On le ressent à notre niveau", confie au JDN Thibault de Grandi, fondateur du site consacré à l'emploi du secteur OnChain Jobs, lui-même constitué de cinq personnes. "Sur les pays francophones, on n'a jamais autant eu de demandes. Le marché est en baisse et nous travaillons plus qu'avant." Le 5 octobre, le site recensait plus de 390 emplois temps plein à pourvoir.

"Le marché est en baisse mais nous n'avons jamais autant eu de demandes"

Le marché est en effet baissier (valeur-étalon du marché crypto, le prix du bitcoin s'établissait à 20 500 euros le 5 octobre dernier, contre 58 300 le 8 novembre 2021). Pour autant, les acteurs du secteur jugent la période opportune pour compléter leur effectif. "Nous tirons parti des périodes haussières et si à l'heure actuelle, le marché est à la baisse, celui-ci n'impacte heureusement pas notre ambition de recrutement. Une dizaine de postes sont actuellement à pourvoir, et d'ici 2024, nous prévoyons de recruter encore plusieurs dizaines de collaborateurs. iExec est en plein développement !", assure Gilles Fedak, CEO et cofondateur de l'entreprise lyonnaise.

Arianee se montre "prudent, du fait du contexte" mais prévoit "encore quelques recrutements d'ici à la fin de l'année". Christophe Lassuyt de Request Finance assume sa volonté de grandir : "Dans un contexte où beaucoup d'entreprises ont arrêté d'embaucher, nous devons le faire afin d'assurer la croissance. À la fin de l'année 2022, Request devrait présenter un effectif d'environ 40 personnes", soit une dizaine de plus qu'actuellement. Coinhouse prévoit une quarantaine de recrutements supplémentaires d'ici la fin de l'année 2022 tandis que 50 postes sont toujours à pourvoir chez Sorare, en France comme aux Etats-Unis. Chez Sandbox, l'effectif devrait "encore doubler dans un an", voire plus puisque l'entreprise prévoit "le recrutement de plus de 100 postes dans le monde sur les 18 prochains mois".

Quels sont les profils les plus demandés ?

Les profils les plus recherchés restent les développeurs et ingénieurs, notamment en langage Solidity (celui de la blockchain Ethereum et ses réseaux compatibles, nommés EVM) et C++. Le Graal restant le developpeur full stack, que Request Finance cherche toujours, selon Christophe Lassuyt. "Les profils techniques sont les plus demandés car il faut construire les socles technologiques des entreprises", confirme Thibault de Grandi du site OnChain Jobs.

Néanmoins, avec la maturation du secteur, les besoins des entreprises évoluent, avec une hausse des offres des métiers de gestion, vente, relation clientèle, marketing, data ou d'équipe produit. "Le département produit est celui qui a le plus grossi en 2022 chez Coinhouse", confie d'ailleurs Marie Piqot, qui souligne cependant qu'il y a toujours des besoins en scrum master et DevOps. Pour développer l'adoption de son produit finance, "Request recrute beaucoup en sales et customer service", à l'image d'Arianee ou encore d'iExec, en demande de "responsables marketing, chefs de projets, chefs de produits, growth hackers et business developers". "On constate aujourd'hui des besoins de plus en plus variés", développe Thibault de Grandi. "La création de contenu, le support, la comptabilité… Toutes les verticales métier sont représentées, au fur et à mesure que les entreprises se développent".

Concurrence avec les entreprises traditionnelles

Un constat d'autant plus vrai que ces besoins ne concernent pas uniquement les entreprises crypto et Web3-natives mais aussi "celles qui s'initient au Web3, soit pour des développements technologiques, soit pour du marketing", lance le fondateur d'Onchain Jobs. Des sociétés comme Lacoste, Sony, L'Oréal, les cabinets Pwc ou Deloitte sont autant d'exemples d'entreprises qui recrutent dans le secteur, malgré des ADN différents. Une concurrence loin de faciliter la tâche des start-up. "Recruter dans le secteur technique est difficile. Lorsqu'on y ajoute une expertise blockchain et Web3, encore assez rares, cela l'est encore plus !", glisse Gilles Fedak, CEO d'iExec. Pour remédier à cette pénurie, la société lyonnaise travaille sur un parcours de formation interne à destination de ses collaborateurs, afin de les accompagner dans leur montée en compétences sur le Web3 "Nous avons mis en place un programme de cooptation pour tenter de dénicher des talents au-delà des process de recrutement classiques. Celui-ci permet à chaque membre de l'équipe de recommander des profils issus de son réseau et d'être rémunéré si l'embauche est concrétisée", explique-t-il.

La formation sera l'une des clefs pour combler les besoins du secteur : ce n'est d'ailleurs pas anodin si Binance et l'école Simplon ont annoncé en septembre 2022 le lancement d'une académie Web3 et blockchain avec l'objectif de "former 10 000 personnes" à ces applications.