Wash trading : quand les manipulations de marché touchent les NFT

Wash trading : quand les manipulations de marché touchent les NFT Marketplaces aux volumes de transaction faussés, collections aux prix gonflés, le marché des NFT doit encore composer avec des pratiques douteuses.

Dans le secteur de la finance traditionnelle, la manipulation de marché consiste à réaliser des opérations dont les conséquences fausseront les informations destinées aux acteurs de l'écosystème. Dans un secteur régulé, ce type de pratiques est réprimandé.

Encore émergent et surtout en grande partie décentralisé, le marché NFT n'est, lui, pas sous la tutelle d'une autorité, du moins pour le moment. Une absence de régulation synonyme de risque accru de manipulation.

Celle-ci intervient de différentes manières, soit par les marketplaces elles-mêmes, soit par les créateurs ou même, par les utilisateurs.

Les marketplaces NFT, victimes ou responsables ?

Dominée depuis plusieurs années par la plateforme OpenSea, née en 2017, l'activité de marketplace NFT a été animée par l'apparition de nombreux acteurs, notamment lors de ces deux dernières années avec les arrivées de Rarible (2020), Magic Eden (2021), LooksRare et X2Y2 (2022).

Dans ce secteur concurrentiel, certaines passent donc par des procédés suspects pour se démarquer, notamment l'utilisation de wash trading, c'est-à-dire la création artificielle de transactions afin de gonfler le volume d'échange et donc l'activité.

Capture du site X2Y2.io. © JDN

"On a tout d'abord eu le cas avec Rarible, c'était le premier exemple", nous confie Gauthier Zuppinger, cofondateur du site analytique NonFungible.com et auteur d'une conférence intitulée "La vérité au sujet de la manipulation de marché" au NFT. London. "Par la suite, nous avons vu LooksRare, X2Y2 s'y prêter. Ce dernier est l'un des plus gros exemples avec plus de 500 millions de dollars par mois de wash trading. En 2022, nous avons constaté que 12% des transactions sur le marché correspond à du wash trading. C'est suffisamment significatif pour brouiller la lecture d'un marché."

Il est important de préciser que le wash trading des marketplaces NFT est un secret de polichinelle, les présentations d'un autre site d'agglomération de données Dune.xyz corrobore d'ailleurs les propos du patron de NonFungible et présentent même des bilans de marketplace en excluant les transactions suspectes.

Parmi les principaux intéressés, le responsable du développement de X2Y2 ne nie pas la présence de washtrading mais conteste la responsabilité de la plateforme. "Ce n'est pas quelque chose que l'on soutient", nous répond Derek Caussin. Nous-mêmes, lorsque l'on établit nos statistiques mensuelles en interne, nous publions les chiffres sans wash trading. Simplement, notre protocole a été dessiné pour récompenser les plus actifs et les traders en abusent."

C'est en effet un autre facteur explicatif de wash trading : certaines plateformes comme Rarible, LooksRare et X2Y2 ont créé leur propre jeton, le plus souvent utilisé comme récompense pour inciter les transactions sur les plateformes. De fait, certains utilisateurs génèrent des jetons en réalisant des transactions autour des mêmes actifs.

"Payer pour trader encourage le wash trading" 

"C'est le cas le plus fréquent", estime Gauthier Zuppinger. "Ça paye très, très bien. Cette mécanique de récompense, payer pour trader, encourage le wash trading."

D'après l'analyste, l'un des schémas les plus évidents est celui de transactions répétées entre deux portefeuilles, généralement possédés par un détenteur unique. Néanmoins, les modèles actuels seraient de plus en plus complexes avec des dizaines de portefeuilles et d'actifs impliqués, rendant la tâche des observateurs particulièrement difficile, voire impossible pour un néophyte.

" Il faut regarder l'historique des ventes. Si l'on observe une activité trop récurrente, une valeur de transaction toujours similaire ou des adresses de wallets qui reviennent trop souvent, il y a sans doute quelque chose d'étrange. Néanmoins, c'est de plus en plus complexe pour un utilisateur non aguerri d'arriver sur une marketplace et d'essayer, par soi-même, de comprendre ce qu'il se passe. Cela demande énormément de temps et il faut manipuler une énorme quantité de data", glisse Gauthier Zuppinger, dont l'équipe ne s'appuie d'ailleurs pas sur les API des marketplaces, potentiellement faussées, mais bien sur l'analyse directe de l'activité des blockchains.

Les créateurs d'œuvre NFT parfois responsables

Les NFT se comptent aujourd'hui en millions, sur un nombre de réseaux croissant comme Ethereum, Polygon, Flow, Tezos, Immutable X, Wax, etc… Une jungle dans laquelle les créateurs doivent eux-aussi se démarquer. De fait, certains adoptent une stratégie semblable à celle des marketplaces, en gonflant artificiellement le prix de leur collection. Il suffit pour cela de créer des transactions de plus en plus importantes autour du même actif, ou d'une collection entière. "En résumé, un utilisateur va s'échanger lui-même un NFT au prix de plusieurs ethers (un ether vaut environ 1160 euros au 16 novembre 2022, ndlr) afin de gonfler son prix et de lui donner de la visibilité".

Et ainsi profiter des liquidités d'un collectionneur peu aguerri.

 En 2020, NonFungible.com évoquait déjà des cas patents, de Cryptokitties à certains actifs du métaverse Decentraland.

Même si le risque zéro n'existe pas, des signes existent pour se prémunir au mieux de tomber dans le piège des NFT à la valeur artificiellement stimulée :

  • Dans ce secteur en maturation, les créateurs de NFT sont de moins en moins anonymes. Sans que ce ne soit une règle, un créateur non identifié constitue un risque supplémentaire.
  • Dans la mesure du possible, il faut vérifier que le smart contract à l'origine du NFT a été auditée. Même si ce n'est pas infaillible, des badges de vérification existent sur certaines marketplaces et des explorateurs comme Etherscan (pour le réseau Ethereum) l'ont également mis en place pour certains types d'actifs.
  • Dans le cas des collectibles, il est important de vérifier à quel point la collection est distribuée. La plateforme OpenSea indique désormais le nombre de détenteurs uniques au sein d'une même collection. Une concentration trop importante dans les mains d'un seul collectionneur est généralement mauvais signe.

Enfin, le bon sens doit prévaloir. Même si la méthode n'est une fois de plus pas parfaite, la vérification en ligne de l'historique d'un artiste ou d'une équipe est importante et il faut toujours garder à l'esprit que les NFT susceptibles d'atteindre une grande valorisation ne sont pas les plus fréquents : selon la firme Nansen, sur les 29 000 collections déployées sur Ethereum entre le 1er janvier et le 30 juin 2022, les deux tiers ont levé moins de 5 ethers.