Face au numérique, la radio tente difficilement de réinventer son modèle

Face au numérique, la radio tente difficilement de réinventer son modèle Face à la perte progressive de ses audiences et de ses revenus, le secteur mise sur la puissance de ses marques, la valorisation de ses inventaires offline et le succès des offres numériques.

Les radios font face à un dilemme : financer leurs contenus et offres numériques tout en dépendant de l'offline dont les niveaux des recettes restent ceux d'avant la crise sanitaire et dont les audiences sont en baisse. Comment faire face à cette équation ?

En septembre et octobre 2022, selon Médiamétrie, 39,3 millions de Français de 13 ans et plus écoutaient chaque jour la radio, soit 3,7 millions de moins qu'en 2018. De ce total de 39,3 millions, 8,8 millions de personnes (22,5%) se sont servies des supports numériques, soit un record : quatre ans plus tôt, ils étaient 6,7 millions à le faire (ou 15,5% des 43 millions à écouter la radio chaque jour à ce moment-là). Mais ces très bonnes performances sur le digital (cette mesure de référence tient compte du live, du replay et des podcasts natifs des chaînes) ne suffisent pas pour l'instant à endiguer la progressive baisse des audiences.

Face à cette tendance, les chaînes refusent d'y voir une quelconque menace pour l'avenir de la radio. "Le média radio baisse, en effet, mais les possibilités d'écoute se sont multipliées avec le digital. Prenons After Foot : le podcast de l'émission cumule déjà 18 millions d'écoutes et nous captons des audiences supplémentaires en direct sur Twitch. La marque média reste le navire amiral", explique Karim Nedjari, directeur général de RMC et de RMC Sport.

Les chaînes redoublent en effet d'efforts pour rester dans la course et préserver la puissance de leur média. Elles misent notamment sur la variété des contenus, des formats (live, replay, podcast natif, web radio, stream, vidéo, jeux interactifs…) et des canaux de distribution (flux ouvert aux agrégateurs, plateformes d'écoute et de streaming même vidéo, réseaux sociaux, enceintes connectées, etc.). Certaines vont jusqu'à limiter les publicités sur l'offline pour favoriser la qualité de l'écoute (et, au passage, valoriser le prix de leur inventaire).

Comme ces efforts demandent beaucoup d'investissements, la consolidation de ce secteur devrait se poursuivre, selon Joy Sioufi, partner France chez GP Bullhound : "Le changement des usages ne modifie pas le besoin essentiel pour du contenu et de l'information professionnelle. Même si la transition des chaînes sur le numérique est progressive, elle se traduit déjà par des revenus publicitaires complémentaires. De plus, l'offline continuera d'exister. Mais comme la compétition est bien plus forte désormais sur le numérique avec plus d'acteurs présents sur le paysage audio, la consolidation dans l'univers des médias va se poursuivre afin d'optimiser les nombreux investissements sur le digital et la monétisation de ces actifs."

Yield management sur l'offline, data sur l'online

Même si les chaînes traditionnelles réussissent leur transformation digitale, leurs recettes restent toujours dépendantes d'un offline en progressive perte de vitesse qui assure entre 93 et 95% des recettes. Ces dernières (offline + online), de 699 millions d'euros en 2022 (+1,9% comparé à 2021), n'ont pas encore retrouvé les niveaux de 2019 malgré la forte hausse (+20%) des recettes sur le numérique, mais dont le poids reste marginal, comme l'indiquent le Baromètre unifié du marché publicitaire (Bump) et l'Observatoire de l'ePub pour 2022. "La radio live reste la seule source de puissance. Si je veux être sûr de toucher une majorité de Français il me faut aller dans le prime", rappelle Raphaël Porte, directeur général d'Altice Media Ads & Connect. "La baisse de la radio offline, notamment due à la crise covid, est totalement maîtrisée", pondère Hortense Thomine-Desmazures, directrice générale adjointe chargée du digital, du marketing et de l'innovation chez M6 Publicité. "La radio est un média très économique pour les annonceurs et reconnu pour la génération  de trafic. Notre objectif est même de remonter nos prix dans les prochaines années", ajoute-t-elle.

Car la valeur de l'offline est très dépréciée comparée au digital : "Ces dix dernières années le coût GRP de la radio a été dégradé de près de 30% alors que le temps de la publicité sur les ondes a explosé de 32%", déclare Cécile Chambaudrie, présidente de NRJ Global. Pour combattre cette tendance, la régie limite depuis près de trois ans ses tunnels publicitaires à 9 minutes par heure (contre jusqu'à 14 minutes par heure auparavant). Résultat, des parts d'audience en hausse de 0,7 point en une année et des inventaires valorisés "de manière très significative" : "Nous avons quitté la logique du premier arrivé premier servi pour celle du yield management", explique-t-elle.

Sur le numérique, souvent nourri de data, qu'il s'agisse du replay, des web radios ou du pre-roll d'émissions live, on facture au CPM à des tarifs bien plus avantageux que sur l'offline (de l'ordre de 3 à 4 fois plus cher). "Nous monétisons beaucoup mieux nos inventaires numériques grâce à la data.  De plus, une même émission crée de la valeur additionnelle quand elle est monétisée en replay, sans compter la production de podcasts de marque, ce qui n'était pas possible en broadcast", explique Raphaël Porte. "Nous continuerons de déployer des efforts en data pour mieux qualifier nos audiences sur l'audio digital ce qui nécessitera sans doute un plus grand contrôle de notre diffusion . Nous ne couperons pas l'accès des agrégateurs, mais nous mettrons en place des mécanismes pour inciter les audiences à venir consommer nos contenus sur nos propriétés", précise Hortense Thomine-Desmazures. Une mesure jugée nécessaire vu que 80% des audiences numériques écoutent les contenus des chaînes de la régie en dehors de ses propriétés, chez les agrégateurs de contenus et les plateformes de streaming, coupant les chaînes de leur plus précieux atout de monétisation : la data.