Apps de transport et monétisation : attention virage dangereux
En quête de rentabilité, les géants du calcul d'itinéraires Apple Plans, Coyote, Moovit, Google Maps et Waze explorent de nouveaux leviers.
Gagner de l'argent avec un service que peu d'utilisateurs sont désormais prêts à payer. Voilà le grand écart aussi périlleux qu'indispensable qui attend les apps de transport. Si les calculateurs d'itinéraires multimodaux Citymapper et Moovit en ont récemment fait leur priorité, leur homologue dédié à la circulation routière Waze a pris un train d'avance, suivi de près par le service de sa maison-mère, Google Maps.
De la publicité embarquée sur-mesure
La filiale française de Waze, application de navigation communautaire rachetée par Google en 2013 plus d'un milliard de dollars, a été l'une des pionnières de la monétisation en internalisant sa régie publicitaire à la mi-2015 : "La régie d'Orange s'occupait jusqu'alors de nous mais nous avons réalisé que notre format unique, non compatible avec les standards du marché, nous obligeait à inventer une nouvelle forme de publicité moins intrusive et adaptée à un usage dans la voiture, pour ne pas distraire le conducteur", explique le directeur France Jérôme Marty.
Bannières, fenêtres pop-up et autres annonces promotionnelles sonores sont bannies au profit de nouveaux formats propres : "Nous proposons une offre que l'on appelle Zero-Speed Takeover, c'est-à-dire un affichage qui se déclenche quand le véhicule est à l'arrêt pour indiquer la proximité de tel ou tel supermarché ou station d'essence", précise-t-il. Waze propose aussi aux marques d'apposer leur logo sur la carte pour mettre en avant leurs points de vente auprès des automobilistes qui passent à proximité. Cette technique dite de POI, pour "Points Of Interest", est aussi utilisée par Google Maps, notamment.
Si Waze ne communique pas sur ses résultats, le directeur France assure avoir attiré plusieurs milliers d'annonceurs dans l'Hexagone grâce au portail Waze Local. En quelques clics, les marques peuvent s'y offrir une campagne publicitaire locale ou nationale clés en mains sur Waze et ainsi toucher une partie des 65 millions d'automobilistes qui utilisent chaque mois l'application dans le monde. "La visibilité sur la carte est facturée 2 euros par tranche de mille impressions, méthode de facturation qui est très classique dans l'industrie. L'annonceur décide ensuite du montant qu'il est prêt à investir selon ses objectifs."
Des assureurs comme la GMF ont été séduits. La marque a récemment lancé une campagne publicitaire sur Waze, qui affichait des appels à la prudence en cas d'intempérie quand l'automobiliste était à l'arrêt. Danone a aussi profité des zones d'embouteillage pour mettre en avant les vertus anti-stress de son Actimel, par exemple.
Le directeur France de l'application affirme que toutes les publicités sont soigneusement contrôlées : "Nous nous sommes fixés des règles comme un maximum de trois logos qui apparaissent simultanément à l'écran. Nous refusons aussi la promotion des jeux d'argent et de l'alcool."
Des services complémentaires
Autre filon pour gagner de l'argent : l'affiliation. "Les utilisateurs ont appris à accepter la publicité en contrepartie d'un service gratuit. Mais comme le fait Google Maps en intégrant l'offre de VTC d'Uber en natif et en proposant un code réduction à ses utilisateurs, il est possible de nouer des partenariats pour proposer des services complémentaires de conciergerie sur lesquels se rémunérer en récupérant un petit pourcentage", avance Paul Amsellem, président fondateur de Madvertise. Seul bémol, selon lui : "Cela ne se développe pas aussi vite que la publicité mobile. Cette méthode fonctionne surtout auprès des utilisateurs qui sont déjà clients de la marque. Or Uber ne rémunère Google Maps que pour les nouveaux clients que l'app lui a apportés."
Ce genre de collaboration pourrait toutefois se multiplier selon Renaud Ménérat, co-fondateur du spécialiste du marketing mobile userADgents et président de la Mobile Marketing Association France : "Au-delà de la géolocalisation, il y a un gros travail à faire sur l'intelligence artificielle car ces apps connaissent nos horaires et nos déplacements, ce qui permet de proposer des services sur-mesure. Par exemple, si une appli sait que je vais rentrer chez moi à 19 heures, elle pourrait me proposer de me livrer un repas à cette heure exacte devant ma porte via Deliveroo, ou n'importe quel autre service à la demande."
Le calculateur d'itinéraires multimodal israélien Moovit, qui a aussi signé avec Uber, va quant à lui encore plus loin et propose depuis quelques mois des services de covoiturage urbain et de mobile ticketing pour les transports en commun pour accélérer sa diversification.
De son côté, le spécialiste français de la navigation Coyote mise tout sur l'information routière via une offre freemium, c'est-à-dire une carte de base gratuite auxquelles peuvent s'ajouter des informations mises à jour en temps réel et détaillées via un abonnement mensuel. Mais Renaud Ménérat est dubitatif : "Comme pour les chaînes à péage à la télévision, les gens ne payent que si le contenu est exclusif et à forte valeur ajoutée, d'où le succès de Netflix, qui a une vraie profondeur de catalogue. Or ici le service gratuit de Waze est au moins aussi pertinent que celui de Coyote, alors les utilisateurs se demandent pourquoi ils paieraient."
Les données de mobilité, or noir des apps de transport ?
Une autre piste est aussi à explorer à en croire Paul Amsellem : "Ce n'est pour l'instant qu'un revenu additionnel mais des instituts comme Kantar rachètent les données anonymisées collectées par ces applications pour en tirer des statistiques." Une tendance également observée par son confrère Renaud Ménérat : "Les professionnels de la route ne mesurent quasiment plus la fréquentation des axes routiers avec le bon vieux fil de cuivre intégré à la chaussée mais préfèrent acheter les données collectées par Apple Plans ou Google Maps, par exemple." Coyote a aussi signé un partenariat avec l'assureur Amaguiz pour proposer des offres ultra-personnalisées aux automobilistes à partir de leurs données de conduite.
Des instituts de statistique et des professionnels de la route rachètent les données anonymisées des apps de transport
Ces opportunités, Waze refuse de son côté de les saisir : "On nous a à moult reprises approchés pour récupérer nos data, mais nous n'en avons ni l'envie ni le besoin", assure Jérôme Marty. Mais selon Renaud Ménérat, ses concurrents ne s'en priveront pas : "Apple Plans, notamment avec sa fonctionnalité Lieux fréquents qui indique aux utilisateurs combien de temps ils mettraient pour rentrer chez eux à partir de leur position, montre qu'il est capable de comprendre nos habitudes. Cet usage monte en puissance et se monétisera très rapidement."