Sans chauffeur ni peur dans la Nissan autonome à Londres
Le constructeur automobile japonais teste depuis peu ses voitures sans pilote dans les rues de la capitale britannique. Le JDN a pu y embarquer et se laisser conduire. Sans trembler.
Quasi-invisibles. C'est le premier détail qui frappe à la vue de la Nissan autonome qui s'apprête à nous emmener dans les rues londoniennes : pas de trous grossièrement découpés dans la calandre pour y placer les radars, ni de larges capteurs posés sur le toit du véhicule. Pour trouver les 12 caméras, 5 radars et 4 lasers scanners qui équipent le carrosse qui nous promènera dans la capitale du Royaume-Uni, il faut suivre les indications de Tetsuya Iijima, responsable de la stratégie véhicule autonome de la marque et "pilote" le temps d'une journée.
Sous les rétroviseurs, sur les arrêtes du toit, dans la poignée du coffre, ou derrière une petite vitre noire dans le bas des portes de cette Nissan Leaf futuriste, ils sont à la fois partout et nulle part aux yeux d'un non-initié. "Le design est l'un des challenges les plus importants pour la voiture autonome. C'est là un aperçu du véhicule sans chauffeur tel que nous voulons le commercialiser en 2020 (l'Alliance Renault-Nissan en proposera 10 d'ici trois ans, ndlr), mais à l'avenir ce sera encore mieux intégré et tout sera caché", promet-il. Les capteurs sont de plus en plus petits mais seront aussi, selon lui, de moins en moins nombreux : "Les caméras, par exemple, ont pour l'instant une résolution de 1,3 mégapixel, mais elles en auront sûrement 7 ou 8 d'ici 2020. Au lieu d'en avoir quatre sur le toit il n'en faudrait plus que deux pour faire fonctionner le pilote automatique."
Cet attirail technologique, nommé ProPILOT par le constructeur nippon, permet au véhicule de se mouvoir sans intervention humaine dans la plupart des situations normales de conduite, comme une sortie d'autoroute, un dépassement de véhicules plus lents ou arrêtés ou l'arrêt à un feu.
Une voix féminine prévient de chaque manœuvre et annonce à l'avance les directions empruntées
Si ce jeudi 2 mars, jour des tests destinés à la presse, la pluie n'est pas au rendez-vous, le ciel british peut vite se couvrir et les averses débarquer sans prévenir. "Nous n'avons aucun souci avec la pluie", assure Tetsuya Iijima. C'est en revanche bien plus compliqué quand il s'agit de neige ou de poussière, notamment : "Pour l'instant la seule solution, c'est le coup de chiffon. Mais nous travaillons depuis 2013 à un système qui permet aux capteurs de se nettoyer automatiquement grâce à de l'air pulsé", affirme-t-il.
Rassuré par ces explications, l'équipage embarque pour une boucle d'une dizaine de kilomètres sur les routes de l'Est londonien. Une pression sur un bouton placé près du volant et le tour est joué : le conducteur devient passager. Une voix féminine prévient de chaque manœuvre et annonce à l'avance les directions empruntées : "Nous travaillons beaucoup sur l'interface homme-machine car il est selon nous indispensable que l'utilisateur se détende", précise le responsable de la stratégie véhicule autonome de Nissan. Détendu, le spécialiste de Nissan l'est : il n'hésite pas à se retourner pour discuter au beau milieu d'un rond-point pour vanter les mérites de ProPILOT.
S'il est responsable en cas d'accident, Tetsuya Iijima se montre très confiant vis-à-vis du système. Egalement testé à Tokyo depuis 2015 et dans la Silicon Valley depuis 2016, il repère par exemple automatiquement un feu de signalisation et reconnaît s'il est rouge, orange ou vert en fonction de la position de l'ampoule allumée. Nous approchons justement d'un feu vert. A la place du traditionnel compteur de vitesse, un écran signale le feu tricolore. A quelques dizaines de mètres de l'intersection, le feu passe à l'orange et l'ordinateur de bord décide de ralentir jusqu'à s'arrêter à son niveau. "Les algorithmes ont su déterminer en fonction de la distance qu'il était trop tard pour ne pas passer au rouge", se réjouit-il.
Un autre écran, placé près du levier de vitesse, affiche la carte haute-définition qu'utilise le véhicule pour calculer l'itinéraire. Elle est fournie par un géant du secteur que Tetsuya Iijima se garde bien de révéler. La cartographie permet par exemple d'anticiper les passages cloutés. Les capteurs font ensuite le reste, pour détecter les piétons qui traversent. C'est justement le cas, devant nous, et là encore, aucun freinage brusque : la Nissan Leaf les indique sur son écran de bord et laisse passer les trois adolescents jusqu'à ce qu'ils aient atteint le trottoir pour repartir.
Peu après, un bus ralentit, et nous aussi, jusqu'à se stopper complètement. Tetsuya hésite à reprendre la main pour le dépasser et continuer notre route, mais il se ravise jusqu'au départ du car : "A l'avenir nous souhaitons que la voiture repère s'il s'agit d'un arrêt pour déposer des passagers, et à ce moment-là nous pourrions éventuellement dépasser, ou d'un embouteillage, par exemple. Nous voulons que le système soit à terme capable de détecter les clignotants des autres."
"Nous voulons que le système soit à terme capable de détecter les clignotants des autres voitures"
Une vingtaine de minutes après notre départ, nous voilà à destination. Au total, Tetsuya Iijima n'aura dû reprendre le contrôle - simplement en touchant le volant - qu'à deux reprises : une fois par précaution, pour dépasser une voiture qui s'est subitement arrêtée en double file, et une autre pour nous garer à l'arrivée. Le seul bémol est à aller chercher dans le coffre : la malle de la petite Leaf électrique est remplie de puissants ordinateurs, encombrants, bruyants et sources d'une forte chaleur.
Plusieurs modules, dont les marques sont dissimulées par de l'adhésif noir, sont empilés. Le logo de Mobileye, la start-up israélienne qui a déjà séduit de nombreux constructeurs, apparaît à travers l'un d'entre eux. Il ne faut pas y voir le signe d'un quelconque partenariat nous indique à notre arrivée Takao Asami, vice-président de l'Alliance Renault-Nissan en charge de la recherche et de l'ingénierie avancée : "Nous essayons toutes les technologies du marché mais aujourd'hui aucune ne nous satisfait. Les prix sont trop élevés or nous voulons rendre la voiture autonome accessible, c'est d'ailleurs pour cela que nous la présentons avec une petite citadine comme la Leaf. Nous ne voulons pas que la technologie double ou triple le prix du véhicule et notre stratégie est d'attendre que les capteurs soient moins chers pour faire notre choix."
Pour éviter un surcoût majeur et soudain, et par la même occasion faire accepter en douceur la voiture sans chauffeur auprès du grand public, Nissan intègre petit à petit des fonctions semi-autonomes dans ses modèles. La marque commercialise au Japon depuis août dernier son nouveau monospace Serena doté, via une option facturée environ 1 000 euros, de la première version semi-autonome de ProPILOT. Elle le rend capable d'évoluer seul sur autoroute, en gérant automatiquement la distance vis-à-vis du véhicule qui le précède et la vitesse, jusqu'à 100km/h. Elle sera disponible cette année en Europe sur les nouveaux Qashqai et la prochaine Micra et cette technologie évoluera avec le changement autonome d'une voie à l'autre en 2018.
En 2020, Nissan commercialisera au moins un modèle équipé de toutes les fonctions autonomes testées à Londres. Lire son journal ou dormir au volant n'est cependant pas pour demain, même si Ali Mortazavi, chercheur au Nissan Research Center de la Silicon Valley, se montre confiant : "Il faudra peut-être attendre dix ans, mais sûrement pas plusieurs décennies."