Navettes autonomes : la revanche d'EasyMile sur Navya

Navettes autonomes : la revanche d'EasyMile sur Navya Après avoir produit ses propres navettes autonomes, Navya suit les traces d'Easymile et se concentre sur les technologies de conduite autonome. Mais leur avenir reste incertain.

C'était il y a seulement deux ans. Le 7 novembre 2017, le fondateur de Navya Christophe Sapet réunit une foule enthousiaste pour une keynote digne d'Apple. D'une scène plongée dans la pénombre débarque un véhicule jamais vu. Ni bus, ni navette, ni voiture autonome, mais un peu tout ça à la fois. L'Autonom Cab est dévoilé, avec l'ambition pour Navya de se diversifier au-delà des navettes autonomes, via un véhicule de 6 places qui doit permettre d'opérer des services de robo-taxis autonomes dans des environnements urbains denses. Trois expérimentations en centre-ville sont annoncées. Aucune ne verra le jour.

Profitant de la vague d'enthousiasme qui suit, et à défaut d'avoir réussi à lever des fonds auprès du capital-risque, Navya décide d'entrer en Bourse en juillet 2018. Elle lève 37 millions d'euros, au lieu des 51 espérés. Le scepticisme des investisseurs sur les perspectives de l'entreprise s'avérera justifié. Après avoir visé un chiffre d'affaires prévisionnel de 30 millions d'euros en 2018, la société ne réalise que 19 millions. L'action, introduite autour de 7 euros, passe sous les 2 euros mi-décembre.

Après six mois en Bourse, le fondateur de Navya Christophe Sapet est débarqué par son conseil de surveillance. En 2019, Navya annonce un changement de stratégie : elle se recentre sur les technologies de conduite autonome. 

Compétences technologiques 

Un pivot qui semble aujourd'hui donner raison à l'autre Français de la navette autonome, le toulousain EasyMile, qui a toujours évolué dans l'ombre de Navya, avec une stratégie industrielle, sur laquelle Navya s'aligne aujourd'hui. Si Navya était encore nettement devant son concurrent en 2018, avec un chiffre d'affaires de 19 millions d'euros contre 15 millions pour EasyMile, la tendance pourrait s'inverser en 2019. Le chiffre d'affaires de Navya a chuté de 32% au premier semestre, et l'entreprise n'a publié aucun résultat prévisionnel pour l'année. Tandis qu'EasyMile assure que ses revenus devraient croître par rapport à 2018.

"Nous nous sommes toujours concentrés sur les technos et avons préféré investir notre argent dans la R&D plutôt que dans la communication", résume Benoit Perrin, directeur général d'EasyMile. La société toulousaine développe le logiciel embarqué de ses navettes, ses systèmes de navigation, de détection et de compréhension de l'environnement ainsi que les déclencheurs de commandes et les systèmes de contrôle à distance du véhicule. Elle a également investi sur la gestion de flotte, mais uniquement le temps que des systèmes tiers se développent, notamment chez les opérateurs de transport.

"Nous préférons pousser les navettes autonome car c'est un modèle plus différenciant "

De son côté, Navya a développé les mêmes compétences technologiques qu'EasyMile, mais y a ajouté deux autres métiers : la conception du hardware (les navettes) ainsi que la gestion des opérations. "Navya voulait s'occuper de tout, sans partager son API ni ses données", révèle la responsable de plusieurs expérimentations de navettes autonomes dans une capitale européenne. Le remplaçant de Christophe Sapet, Etienne Hermite, nommé président du directoire de la société en mars 2019, ne voit dans ce recentrage sur les technologies qu'une "évolution parfaitement normale du métier". "Evidemment, cela converge avec des attentes des clients", concède-t-il. "Mais ces derniers étaient bien contents dans les premiers temps des navettes autonomes de nous voir arriver avec une solution clé en main qui permettait d'aller vite". Etienne Hermite confirme également l'abandon de l'Autonom Cab, qui ne dépassera pas le stade de prototype. "Nous préférons pousser les applications de navette autonome, car c'est un modèle plus différenciant, qui n'existe pas sur le marché, alors que l'Autonom Cab se rapproche d'une voiture."

Autre différence stratégique majeure : les choix financiers. Navya est allé en Bourse très tôt. qu'elle ne génère pas de bénéfices et que la demande pour ses produits est encore incertaine. La voilà donc astreinte à une transparence financière de grand groupe alors qu'elle traîne le bilan peu flatteur d'une start-up en pleine R&D. De son côté, EasyMile reste à l'abri des humeurs des marchés. Avec le soutien d'investisseurs patients, comme les industriels Alstom et Continental qui l'aident respectivement dans la connaissance du monde des transports publics et la fourniture de capteurs, mais aussi Bpifrance. Navya compte bien à son capital Keolis et Valeo, mais ces derniers sont trop minoritaires pour influencer le destin de l'entreprise, alors que le fonds 360 Capital Management, qui a cofondé l'entreprise avec Christophe Sapet, possède presque 40% de son capital.

Demande incertaine

L'ancrage industriel d'EasyMile a d'ailleurs rapidement diversifié l'entreprise vers des applications sur sites privés. Ces derniers présentent l'avantage de ne pas être soumis au code de la route, ni à des autorisations spéciales des autorités comme sur routes ouvertes, et permettent de trouver des clients qui pourront commander d'importants volumes. Ses tracteurs de bagages et de marchandises sont utilisés depuis plus d'un an par l'usine PSA de Sochaux, ainsi que dans deux aéroports au Japon et en Grande-Bretagne. "Ce n'est pas une diversification, mais simplement un nouveau cas d'usage", corrige Benoit Perrin. "90% des technologies sont les mêmes. Notre but est de développer une brique technologique agnostique que l'on peut porter sur différents véhicules en fonction des besoins." Une direction également prise par Navya, qui a créé en octobre 2018 une joint-venture (à 51-49%) avec la société familiale française Charlatte Manutention pour automatiser les véhicules industriels qu'elle produit déjà avec chauffeurs. Leurs tests en conditions réelles doivent démarrer prochainement.

Mais peu importent leurs échecs ou succès passés, les deux entreprises font face au même contexte compliqué. D'abord, une demande décevante du côté des opérateurs de transport. Les navettes sont toujours dans une phase expérimentale, sur des parcours le plus souvent protégés, sur quelques kilomètres tout au plus, avec une poignée d'appareils, et dans une vision assez restrictive de complément aux transports en commun. Par ailleurs, les réglementations actuelles dans la plupart de leurs marchés ne permettent pas de passer à des déploiements commerciaux massifs. Cela suffira-t-il pour créer un business rentable dans les années à venir ? Navya et EasyMile s'accordent sur ce point : c'est le retrait des opérateurs de sécurité, encore présents dans tous leurs tests, qui permettra de rentabiliser leur activité et de déclencher des commandes massives de leurs clients. Elles espèrent toutes deux que leurs technologies et les législateurs seront prêts à se passer d'humains à bord à l'horizon 2020-2021.