Contrôler Lime, affaiblir ses concurrents : l'investissement coup double d'Uber

Contrôler Lime, affaiblir ses concurrents : l'investissement coup double d'Uber Uber a mené une levée de fonds à 170 millions d'euros dans Lime et accepté de lui céder Jump, sa filiale de trottinettes et vélos électriques. Chaque entreprise intégrera davantage l'autre à son appli.

Uber et Lime se déconfinent dans le flou. Alors que les deux entreprises sont très durement frappées par la chute de la demande pour leurs services, elles ont annoncé un rapprochement en fin de semaine dernière. Déjà investisseur, Uber a mené une nouvelle levée de fonds 170 millions d'euros dans l'opérateur de trottinettes en libre-service Lime. En échange de ces fonds, Lime acquiert les opérations de Jump, la filiale d'Uber dédiée aux vélos et trottinettes électriques, et "étendra davantage son intégration à l'application mobile d'Uber", précise Lime dans un communiqué. "Dans presque tous les marchés où Lime et Uber opèrent, les utilisateurs pourront se tourner vers Lime et Uber" pour accéder à leurs produits, ajoute Lime. Ce qui suggère, sans être clairement précisé, que les vélos de Jump pourraient se retrouver intégrés à l'application Lime, tandis que les trottinettes vertes de la start-up sont déjà intégrées à l'app d'Uber dans de nombreux pays.

Selon nos informations, Lime a contacté la mairie de Paris pour l'informer qu'elle absorbait l'activité de Jump

Cependant, en France, Jump et Uber avaient tenté une stratégie différente. Lime n'est pas intégré à l'appli Uber et Jump le concurrence même avec ses propres trottinettes, en plus des vélos. Contactés, Lime et Uber n'ont pas souhaité répondre à nos questions sur l'avenir de leur relation en France. Lime a précisé que de nouveaux détails seraient donnés dans un mois, car les contours de l'accord n'étaient pas encore finalisés pour l'Europe. Impossible pour l'instant de savoir si Lime reprendra les opérations de Jump sans ses salariés, ou bien si les équipes de Jump poursuivront leur travail eu sein de Lime. Quant au devenir de leurs marques respectives, le nouveau CEO de Lime Wayne Ting a expliqué qu'elles persisteraient pour le moment, mais qu'il envisageait à terme une consolidation sous la bannière Lime

Concurrent de Lime en France, Jump avait aussi candidaté à l'appel d'offres de la Mairie de Paris - qui souhaite n'autoriser que trois entreprises à opérer des trottinettes dans la capitale - et dont le dénouement est attendu en juin. Uber et Lime vont-ils maintenir leurs deux candidatures, alors qu'ils constituent de plus en plus un même ensemble, et ainsi augmenter leurs chances ? Il existe en tout cas des précédents à ce genre de tractations. A San Francisco, Bird avait racheté la start-up Scoot, l'un des gagnants d'un appel d'offres qu'elle avait perdu. A Marseille, Bird a gagné l'appel d'offres organisé l'année dernière, puis a racheté l'un des deux autres gagnants, l'allemand Circ, s'octroyant ainsi les deux tiers du marché. Selon nos informations, Lime a contacté la mairie de Paris pour l'informer qu'elle absorbait l'activité de Jump, mais que les deux entreprises n'étaient pas en mesure de collaborer durant les 30 prochains jours. 

Concurrents complémentaires

Cette alliance renforcée permet en tout cas aux deux entreprises de se compléter. Lime n'opère pas de vélos, la force de Jump, et a besoin de se diversifier pour continuer à croître. Il lui faudrait des années pour développer son propre appareil et elle ne peut plus se permettre des investissements aussi massifs qu'avant, alors qu'elle cherche à atteindre la rentabilité. De son côté, Jump est largement distancié par Lime sur les trottinettes. Surtout, la grande nouveauté pour Uber lors de son rachat de Jump était que l'entreprise devenait pour la première fois un opérateur de services de transport, avec des flottes à déployer et entretenir ainsi que des entrepôts à louer.

En se séparant de Jump, Uber revient à sa recette originelle, celle d'une entreprise technologique qui laisse des partenaires se charger d'investir dans les capitaux physiques et leur trouve des clients contre une commission. Ainsi, comme dans le VTC ou la livraison de repas, l'appli Uber se contentera de mettre en relation des clients avec un service tiers de vélo, désormais opéré par Lime. C'est aussi pour Uber une manière de continuer à réduire ses coûts en externalisant ces opérations, qui occupent 500 salariés, alors que l'entreprise a déjà annoncé le licenciement de 14% de ses employés, soit 3 500 personnes, le 7 mai.

Valorisations en chute

"Ils ont mis 200 millions de dollars il y a deux ans pour acquérir Jump et avaient déjà investi dans Lime. Ils se sont dit qu'il fallait mettre tous leurs œufs dans le même panier, celui avec la plus grande échelle et qui était le plus proche de la rentabilité, à savoir Lime", analyse un acteur du secteur. "D'autant que Lime n'avait plus de cash et devait absolument lever des fonds en pleine crise, c'était l'occasion rêvée pour les ramasser à la petite cuillère", poursuit-il. En effet, selon The Information, qui avait révélé le deal quelques jours avant son annonce officielle, Lime a accepté une baisse de 80% de sa valorisation dans le cadre de cet investissement : 510 millions de dollars, contre 2,4 milliards lors de son précédent tour de table en 2019. Le site d'information précise d'ailleurs que l'accord offre à Uber l'option d'acquérir Lime à un prix fixe entre 2022 et 2024. Le délestage actuel pourrait donc n'être que temporaire.

Avec cette opération, Uber réalise un coup double : renforcer son contrôle sur le leader du secteur à bon prix, tout en affaiblissant ses concurrents. Car la valorisation rabaissée de 80% consentie par Lime aura des retombées sur le reste du secteur. "Cela réduit notre valorisation potentielle car quand nous irons voir un fonds d'investissement en demandant une certaine valorisation, ils nous diront 'pourtant Lime vaut beaucoup moins qu'avant aujourd'hui,' explique-t-on chez un concurrent. Déjà amorcée avant la crise et renforcée par celle-ci, la concentration du secteur pourrait profiter à Uber, qui a les moyens d'y participer, avec des réserves de cash de 9 milliards de dollars au premier trimestre 2020. Ça tombe bien : avec le coronavirus, les start-up sont en soldes.