Véhicule autonome : après Google, les autres Gafam entrent dans la course
Longtemps restés en retrait ou en périphérie de ce marché, Apple, Amazon et Microsoft tentent de rattraper leur retard pour ne plus laisser Google dominer.
Les grands noms de la Silicon Valley ne peuvent plus ignorer le véhicule autonome. Les Gafam ont longtemps semblé laisser Google s'aventurer seul sur le sujet, se tenant à l'écart ou proposant simplement des produits et services cloud à cette nouvelle industrie, comme Microsoft et Amazon. Les autres géants de la tech s'impliquent à présent davantage. Sans cesse à la recherche de nouveaux marchés à optimiser ou automatiser, ils ne peuvent plus passer à côté de cette technologie, dont le potentiel est énorme si elle tient toutes ses promesses. A présent, les Gafam (à l'exception de Facebook) cherchent à se positionner sur le véhicule autonome pour ne plus laisser un boulevard à Google. Tour d'horizon des stratégies, forces et faiblesses de chacun.
Google et Waymo , un boulevard d'avance
Par des investissements massifs et précoces dans la conduite autonome, Google est crédité même par ses concurrents d'avoir propulsé et crédibilisé l'industrie du véhicule autonome, née d'un concours entre universités organisé par l'armée américaine en 2004. Waymo, le nom de sa filiale dédiée à cette technologie, a été couvée pendant près de 10 ans par Google X, le labo de R&D de Google autorisé à brûler plusieurs milliards de dollars par an dans des projets à l'avenir incertain. Ses véhicules autonomes ont déjà roulé plus de 32 millions de kilomètres sur routes ouvertes.
A présent, Waymo se rapproche de plus en plus d'une technologie viable et d'un véritable business. Dans un quartier de la banlieue de Phoenix (Arizona), où l'entreprise expérimente son service depuis des années à petite échelle, Waymo a décidé fin 2020 d'ouvrir à tous l'accès à ses véhicules autonomes et de commencer à facturer les courses. Par ailleurs, Waymo est l'un des rares acteurs du secteur qui commence à retirer les opérateurs de sécurité de ses véhicules, présents aujourd'hui dans la plupart des tests pour parer aux erreurs du système de conduite autonome. L'entreprise affirme que 5 à 10% de ses courses en 2020 étaient pleinement autonomes (auprès d'un public-test restreint) et promet de passer prochainement à 100%. Waymo fait également parti des cinq sociétés autorisées fin 2020 en Californie à tester des véhicules autonomes sans opérateur de sécurité.
Pour maintenir son avance et alléger son coût pour sa maison-mère, Waymo a fini par se rendre à l'évidence : après une décennie de développement en solitaire, il lui fallait des alliés, alors que tous les grands noms du capitalisme automobile et technologique ont mis en place des partenariats pour partager les coûts exorbitants de cette course à l'innovation. L'année dernière, Waymo a pour la première fois ouvert son capital à des investisseurs extérieurs, avec une levée de fonds de 2,25 milliards de dollars. Mais pas question de partager sa technologie de conduite avec d'autres acteurs du secteur : les nouveaux investisseurs sont principalement des fonds de pension et d'investissement, ainsi qu'un équipementier automobile (Magna) qui devra l'aider à industrialiser sa production de véhicules.
Microsoft propulse le numéro deux
Microsoft dispose d'une solide division automobile fournissant au secteur des services cloud, des briques d'intelligence artificielle et la puissance informatique pour les faire tourner, ou encore des systèmes de simulation pour véhicules autonomes. L'entreprise a décidé de mettre tout ce savoir-faire au service de Cruise, la filiale de véhicule autonome de General Motors, issue d'un rachat d'une start-up éponyme en 2016. Microsoft a participé en janvier 2021 à une levée de fonds de deux milliards d'euros de Cruise, aux côtés de GM et Honda, et est entré dans un partenariat de long terme avec Cruise pour devenir la colonne vertébrale numérique de son service de transport par véhicules autonomes.
Cruise est le principal concurrent de Waymo, souvent présenté comme le numéro deux du secteur en termes de R&D. Les deux entreprises représentent 70% des kilomètres de tests de véhicules autonomes parcourus en Californie, La Mecque des expérimentations pour le secteur. Selon les rapports de désengagements (le nombre de fois où l'opérateur de sécurité reprend le contrôle sur le véhicule autonome) livrés aux autorités Californienne, les performances des deux entreprises sont similaires. Elles ont toutes deux enregistré 0,033 désengagement pour 1000 miles (1 600 kilomètres) en 2020, là où Waymo avait encore une légère avance sur Cruise les années précédentes. Mais surtout, Cruise et Waymo sont largement devant la plupart des autres testeurs de véhicules autonomes en Californie en termes de désengagement, bien que cette mesure a ses limites et est contestée par certains acteurs de l'industrie.
Amazon, des technos et un puissant réseau
Chez Amazon, les technologies de véhicule autonome sont issues de l'acquisition en juin 2020 d'une autre start-up du secteur, Zoox, pour 1,3 milliard de dollars. Zoox a présenté fin 2020 son prototype de véhicule autonome, issu de six ans de R&D. Il ne s'agit pas d'une voiture, mais plutôt d'une sorte de navette électrique de quatre places, capable de rouler aussi bien en avant qu'en arrière. Même si on pense immédiatement aux livraisons autonomes lorsqu'il s'agit d'Amazon, la direction prise par Zoox, et confirmée depuis l'acquisition, est bien celle d'un service de transport autonome concurrent des Waymo et Cruise. Tous comme ces deux derniers, Zoox fait partie des cinq entreprises autorisées à retirer leurs opérateurs de sécurité en Californie, ce qui indique une certaine maturité, alors que plus de 60 autres sociétés qui y testent des véhicules autonomes n'ont pas demandé ou obtenu ce sésame.
Si Google est probablement en avance sur Amazon en termes de R&D et pourrait arriver en premier sur le marché, le géant du e-commerce est imbattable sur un autre point crucial : le réseau de clients. Avec plus de 125 millions abonnés d'Amazon Prime rien qu'aux Etats-Unis, et au moins 150 millions au total dans le monde, l'entreprise trouvera rapidement des débouchés commerciaux à son service de transport, qui pourrait tout à fait venir s'ajouter au panier d'avantages offerts par Prime (livraisons gratuites, réductions, séries et livres gratuits...). Amazon ne perd toutefois pas de vue la livraison autonome : l'entreprise est investisseur minoritaire dans Aurora, une start-up qui se concentre davantage sur ce segment, et a racheté les technologies de conduite autonome d'Uber fin 2020.
A la traîne, Apple se cherche
Le véhicule autonome chez Apple, ce sont des années d'errements stratégiques. Après avoir tenté puis renoncé à construire son propre véhicule autonome, le groupe a déclaré en 2017 se concentrer sur les systèmes de conduite autonome. L'entreprise teste depuis 2018 des véhicules autonomes en Californie, mais à une bien plus petite échelle que Waymo ou Cruise, et avec une certaine irrégularité : ses véhicules autonomes ont conduit 128 000 kilomètres en Californie en 2018, puis seulement 12 000 en 2019, avant de plus que doubler ce chiffre en 2020, avec 28 000 kilomètres parcourus. Sa technologie progresse régulièrement, avec une baisse du nombre de désengagements enregistrés chaque année, mais qui demeure en 2020 largement supérieur aux performances de la plupart des acteurs de l'industrie. La comparaison avec le leader Google est particulièrement désagréable : un humain doit reprendre la conduite en main 210 fois plus souvent chez Apple (6,91 désengagements pour 1 000 miles, contre 0,033 chez Waymo).
Mais la tentation de concevoir son propre hardware au design original capable de révolutionner l'industrie auto comme celle du mobile avec l'iPhone, n'a manifestement pas disparu. Apple a annoncé début 2021 être entré en négociations avec le constructeur Hyundai pour utiliser sa plateforme de développement de véhicules électriques et l'aider à concevoir son Apple Car, mais les négociations ont échoué en février.
Alors que l'industrie se dirige vers un monde plus serviciel, et qu'Apple lui-même cherche à générer davantage de revenus depuis les services pour être moins dépendant des ventes d'iPhone, le retour à une stratégie hardware dans le véhicule autonome a de quoi étonner. Surtout lorsqu'on prend en compte la complexité des cycles de conception et production des véhicules (qui peuvent durer jusqu'à cinq ans), et les marges très faibles de l'industrie auto, qui semblent peu attrayantes pour une entreprise technologique. D'autant que si Apple allait jusqu'au bout pour construire une voiture de luxe, électrique, autonome, bourrée de technologies et au design audacieux, elle trouverait sur sa route une entreprise bien plus avancée à ce jeu-là : Tesla. Difficile de voir comment Apple, qui a plutôt l'habitude de faire cavalier seul, pourrait rattraper son retard actuel sans l'acquisition d'un acteur majeur du secteur ou un partenariat d'envergure. Peut-être Tim Cook aurait-il dû accepter la proposition de rachat de Tesla formulée par Elon Musk, alors que Tesla était en grandes difficultés il y a quelques années. Tesla valait alors dix fois moins qu'aujourd'hui.