Mieux payées, plus risquées : les navettes autonomes à l'heure des appels d'offres

Mieux payées, plus risquées : les navettes autonomes à l'heure des appels d'offres Keolis, RATP et Transdev commencent à passer de petites expérimentations à des services commerciaux de navettes autonomes. Plus rémunérateurs, ces contrats sont aussi plus exigeants.

Pour les navettes autonomes, l'heure d'enlever les petites roues s'approche. Une modification de la convention automobile de Vienne attendue en 2022 va autoriser les déploiements commerciaux de ces services de transport, tandis que la loi française le permet déjà depuis l'année dernière. Il ne restera donc plus qu'à attendre que la technologie soit assez mature pour permettre de retirer les opérateurs de sécurité encore présents dans les véhicules en les remplaçant par des systèmes de supervision à distance, via lesquels des opérateurs surveilleront plusieurs véhicules à la fois et pourront leur donner des instructions en cas de problème. Cette dernière étape n'arrivera probablement pas avant 2023.  

Mais en attendant de pouvoir retirer les opérateurs de sécurité, le cadre commercial de ces services est en train de passer aux choses sérieuses. Alors que jusqu'ici, les navettes étaient déployées dans le cadre d'expérimentations entre une collectivité et un navettiste ou un opérateur de transport, le marché est en train de se structurer avec l'organisation d'appels d'offres qui mettent en concurrence les opérateurs et apportent de nouvelles exigences. Keolis, RATP et Transdev se préparent donc à faire des navettes autonomes un véritable business. 

Un premier contrat à 2,4 millions d'euros

Le premier véritable appel d'offres du genre en France a été remporté par Keolis et inauguré fin mars à Saint-Quentin-en-Yvelines (Yvelines). D'une durée de deux ans et d'un montant de 2,4 millions d'euros, il permet le lancement d'une nouvelle ligne pleinement intégrée au réseau, la 490, qui relie la gare de Saint-Quentin à un parc d'activités sur un parcours de 1,6 km, de 7h30 à 20 heures en semaine, et avec une fréquence de passage de huit minutes aux heures de pointe. "Huit autres appels d'offres pour des services de navettes autonomes ont déjà été organisés en France, mais trois ont été déclarés infructueux, et les cinq autres portaient sur des durées d'opération beaucoup plus courtes", affirme Patricia Villoslada, vice-présidente de la division Systèmes de transports autonomes de Transdev. "C'est en tout cas vers ce genre de pilotes de services à grande échelle que se dirige le marché", confirme Côme Berbain directeur de l'innovation du groupe RATP.  

Le passage à des appels d'offres au lieu d'expérimentation implique de nombreux changements pour les opérateurs de transport. D'abord, le changement d'échelle devrait apporter son lot de surprises. "La gestion des incidents doit être testée avec une importante masse de trajets et de voyageurs. On ne se rend pas forcément compte de tous les problèmes dans une expérimentation avec une petite flotte et peu de voyageurs", explique Côme Berbain. "C'est aussi l'occasion de commencer à intégrer ces services au réseau de transport en les branchant aux systèmes de billettique et d'information voyageurs", ajoute-t-il. 

Risques de pénalités financières

Du côté des clients (les collectivités), la fin des expérimentations fait naître de nouvelles exigences pour les opérateurs, plus proches de celles auxquelles ils sont astreints sur leurs réseaux de transport traditionnels. Et ce, alors que les technologies de conduite autonome demeurent expérimentales. Ainsi, l'appel d'offres remporté par Keolis inclut des exigences de disponibilité et de ponctualité du service, assorties de pénalités financières en cas de manquements. "C'est un risque financier", reconnaît Scheherazade Zekri, directrice des nouveaux services de mobilité chez Keolis.  

Ces exigences supplémentaires vont se répercuter sur toute la chaîne de valeur du véhicule autonome, ajoute Patricia Villoslada. "En tant qu'intégrateur des véhicules, de l'infrastructure et des systèmes de supervision, nous devons modifier toute la cascade contractuelle pour prendre en compte ces exigences. Certains fournisseurs de technologies dans le véhicule autonome ne connaissent pas les contrats de transport public, nous devons leur imposer ces exigences élevées de disponibilité de leurs technologies." 

L'arrivée d'appels d'offres se traduit aussi par des contrats bien plus élevés que sous le régime des marché publics d'innovation, dont le seuil est fixé à 100 000 euros hors taxes sans mise en concurrence. De quoi permettre aux opérateurs de commencer à gagner de l'argent sur cette activité ? "Ce serait déjà bien de ne plus en perdre", ironise Scheherazade Zekri. Elle estime que ces nouveaux contrats apportent tout de même "des logiques d'économie d'échelle plus intéressantes" qui permettent de couvrir les dépenses opérationnelles... si l'opérateur ne se voit pas infliger de pénalités financières. Mais il faudra encore plusieurs années et de nombreux contrats avant que cette activité ne devienne rentable, car les opérateurs de transport doivent notamment amortir l'achat des navettes autonomes encore commercialisées à plus de 250 000 euros l'unité. Des revenus, mais pas encore de profits : les navettes autonomes passent en mode start-up