Les monnaies locales boostées par la crise

Les monnaies locales boostées par la crise En France, plus de 20 devises complémentaires sont aujourd'hui disponibles. On peut payer en sardines, en muses, en sols-violette...

Jouer à la marchande avec des billets de Monopoly, une activité de petite fille ? Pas pour certains Toulousains, qui ont troqué en mai 2011 l'euro contre une monnaie locale : le sol-violette. Les coupons papier et les sols numériques permettent aujourd'hui d'acheter des fruits et légumes, des places de cinéma dans 123 commerces de la ville rose.

Pourquoi les consommateurs font le choix du sol-violette? Parce qu'il leur permet d'augmenter leur pouvoir d'achat : en échange de 20 euros, ils obtiennent 21 sols. Dans les magasins, en revanche, un sol équivaut à un euro.

Plusieurs monnaies locales ont vu le jour pendant la crise de 29 en Allemagne et en Autriche

Pour obtenir cette devise complémentaire, il suffit de devenir adhérant en ligne sur le site Internet de l'association "Sol-violette" chargée d'émettre la monnaie. Il faut ensuite de se rendre dans un comptoir de change, il en existe une dizaine dans la ville. Impliquée dans ce projet, la Mairie entend doubler le nombre de participants d'ici la fin de l'année 2013. Car le sol-violette est censé donner à l'économie locale, et en particulier aux petits commerçants, le coup de fouet dont elle a besoin, en plein marasme économique.

Comment ? Les billets toulousains sont de simples morceaux de papier imprimés. Leurs utilisateurs n'ont donc aucun intérêt à les entasser sous leur matelas et ils ne peuvent les dépenser que dans les boutiques proches. Pour stimuler davantage ces transactions, certaines monnaies locales perdent périodiquement de la valeur (-2% par trimestre pour le Sol-Violette). Dans le jargon des économistes, on dit qu'elles sont "fondantes".

Plus de 30 projets sont actuellement en gestation dans l'Hexagone. Ce phénomène prend aussi de l'ampleur en Espagne, en Grèce... La crise de l'euro a placé les devises complémentaires sous le feu des projecteurs : pour résoudre le problème de la dette publique, de nombreux Etats ont mis en place des politiques de rigueur. "La monnaie se raréfie alors et ne vient plus alimenter l'économie réelle. Une partie de la population est touchée par une diminution de ses revenus. Elle doit pourtant vivre : utiliser les devises complémentaires est une option facile à mettre en place pour continuer à échanger les biens et les services dont elle a besoin", explique Philippe Derudder, auteur du livre "Les Monnaies locales complémentaires : pourquoi, comment ?" chez Yves Michel.

Par ailleurs, de nombreux citoyens ont découvert le monde de la finance pendant la débâcle de 2008. "Cet univers dont ils ignoraient l'existence a soudain pesé fortement sur leur vie quotidienne. Ils se sont posé des questions sur les devises, la spéculation... Et certains ont découvert les monnaies locales", poursuit ce spécialiste de l'économie alternative.

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Le lancement de Sol-Violette a fait du bruit. © Patrice Nin Ville de Toulouse

Mais attention : les monnaies complémentaires ne sont pas neuves. Les Etats (ou groupes d'Etats) n'ont une seule devise en circulation sur leur territoire que depuis le 17e siècle. Avant cette époque, chaque ville, chaque prince, chaque couvent en France battait sa monnaie et l'utilisait pour échanger avec les commerçants de sa région. Elles cohabitaient avec la monnaie royale. Et même au 20e siècle, plusieurs devises locales ont vu le jour. Pendant la crise de 29 par exemple, la Wära est née à Schwanenkirschen (Allemagne). A l'époque, depuis la fermeture de la mine locale, le chômage sévit dans ce village bavarois. En 1930, un ingénieur rachète le réseau de galeries souterraines. Faute de soutien bancaire, il redémarre l'activité et paye les mineurs avec sa monnaie locale. Les commerçants de la région n'ont pas le choix, ils acceptent tous d'utiliser cette devise complémentaire. Les échanges reprennent. En quelques mois, l'inactivité n'est plus qu'un lointain souvenir.

Plusieurs villes allemandes et autrichiennes ont suivi cet exemple avec succès. Mais malgré le retour de la croissance, ces expériences n'ont jamais duré plus de deux ou trois ans. Les Etats, qui détiennent le monopole de l'émission monétaire, ont placé leurs organisateurs devant la justice. Les autorités ont mis fin à ces initiatives de force. Une seule exception à cette règle : le WIR, une monnaie suisse échangée uniquement entre les entreprises. Créée en 1934, elle est toujours en circulation. Plus de 60 000 PME l'utilisent actuellement !

Aujourd'hui, la plupart des Etats sont bienveillants face à ces expériences. Ils les considèrent comme des projets citoyens positifs, qui tonifient l'économie locale. Comme à Toulouse, les maires s'impliquent souvent dans leur mise en place.

60 000 PME utilisent le WIR, une monnaie complémentaire suisse.

Mais si les tribunaux laissent la vie sauve aux monnaies complémentaires, d'autres menaces subsistent, notamment la perte de confiance. Les consommateurs utilisent le sol-violette parce que le boucher en face de chez eux accepte qu'ils payent leur rôti de veau avec. Ledit boucher l'accepte parce qu'il est certain que l'éleveur de veau, auquel il achète sa viande est d'accord pour un règlement dans cette devise. Si l'un des acteurs de cette chaine n'a plus confiance dans la monnaie, le système s'effondre.

C'est ce qui s'est produit avec le Crédito argentin en 2001. Créée en 1995, cette monnaie complémentaire était devenue un moyen d'échange courant. Même des opérations immobilières importantes étaient payées dans cette devise. Mais elle était très facile à imiter. Beaucoup de faux billets ont commencé à circuler et les Argentins n'ont plus fait confiance au Crédito. Fin de la partie.