Covid-19 : le revenu universel, une solution imminente ?

La crise sanitaire mondiale induite par l'épidémie du Covid-19 fait resurgir le débat sur le revenu universel. Longtemps inaudible, cette alternative est maintenant défendue par des personnalités venant de tous pays, mais aussi de tous horizons économiques et politiques, de la droite à la gauche, de l'ultralibéralisme au souverainisme. Sur ce sujet, les débats philosophiques ont laissé place à des groupes d'action concrets.

En Espagne, le gouvernement accélère la procédure pour accorder cette aide aux personnes les plus durement touchées par la crise du coronavirus. Le Royaume-Uni se saisit également de cette solution, 170 parlementaires ayant épistolairement demandé au gouvernement la mise en place d’un "revenu universel d’urgence". Pour finir, en Allemagne et aux Etats-Unis, la classe politique réunit des fonds de relance et discute toujours, avec l’appui de la presse, d’un potentiel revenu avoisinant les 1 000 euros/dollars. Les échos se font également entendre en France, où plusieurs présidents de département ont signé une tribune en faveur d’un revenu universel dans le Journal du Dimanche du 11 avril 2019. 

Aide ponctuelle aux Etats-Unis, revenu sur 6 mois proposé par le ministre des Finances allemand, accordé uniquement aux plus démunis en Espagne, les types de propositions sont variés. Cela étant, la question n’est plus uniquement soulevée lors des campagnes présidentielles mais pour de réelles questions de politiques publiques. A défaut de lister toutes les formes que peut prendre ce concept, il nous faut identifier les contextes qui font émerger cette solution et les problématiques que le revenu universel se propose de résoudre. 

1) Le revenu universel comme réponse à la crise du Covid-19

A la mi-avril, ce sont les chiffres de l’emploi et de la croissance qui inquiètent : plus de 10 millions de Français sont au chômage partiel, soit plus d’un salarié du privé sur deux, ainsi que des prévisions de croissance du PIB bien floues et davantage pessimistes : selon Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, nous serions en deçà des -2,9% de croissance ayant suivi la Seconde Guerre mondiale . Il est aujourd’hui question d’une perte de six points de PIB au premier trimestre 2020 selon la Banque de France. La France est bel et bien entrée en récession. 

C’est donc par crainte d’un creusement des inégalités en cette période de crise que 19 présidents de département (PS) ont plaidé pour l’instauration d’un revenu universel : "Alors que la crise sanitaire du Covid-19 évolue chaque jour un peu plus en une crise économique mondiale, poussant nos systèmes de solidarité dans leurs retranchements, le revenu de base apparaît (...) comme une solution pour amortir le choc social qui risque de faire basculer nombre de nos concitoyens dans la précarité".

En Espagne, les arguments sont similaires : faire office de cordon de sécurité face à la pauvreté. Pablo Iglesias, ministre des droits sociaux espagnol, souligne que le revenu universel "était déjà une nécessité avant la crise, avec dix millions de citoyens en situation de risque de pauvreté". Cette solution était d’ailleurs l’une des promesses électorales de son parti politique, Podemos, qui projette de le maintenir au-delà de la crise actuelle. 

Ces mesures exceptionnelles semblent être étudiées par les gouvernements qui semblaient les plus sceptiques face à l’ampleur de la pandémie mondiale. Outre-Atlantique, le président Jair Bolsonaro a réuni un fonds pour accorder un revenu exceptionnel pendant trois mois aux 60 millions de travailleurs brésiliens les plus précaires. Donald Trump revalorise également les dépenses publiques des Etats-Unis, sans aller jusqu’à un revenu universel, mais en augmentant les prestations perçues par les chômeurs sur quatre mois. Au total, 2 200 milliards USD ont été débloqués par Washington, berceau du libéralisme économique. 

Finalement, la carte du revenu universel en cette période de confinement s’affiche comme une solution à la crise en cours. Elle s’inscrit dans la croyance en laquelle, une fois instauré, le revenu universel permettrait d’amoindrir les effets économiques néfastes et l’accroissement des inégalités qui font généralement suite aux crises. Toutefois, toutes les réflexions portant sur le revenu universel n’ont pas vocation à répondre à une période de crise mais relèvent d’une analyse économique et sociétale plus long-termiste. 

2) Doper une économie décadente ? 

De manière globale, depuis des décennies, l’Europe et les Etats-Unis peinent à retrouver les taux de croissance du PIB qu’ils ont connus lors des Trente Glorieuses (de la fin de la Seconde Guerre Mondiale au milieu des années 1970). En effet, la tendance de la croissance du PIB est à la baisse depuis 70 ans (voir ci-dessous).

A cela s’ajoute un chômage de masse de 9% en moyenne qui pèse sur l’économie française depuis ces trente dernières années. Il serait logique de penser que la cause de ce chômage se trouve du côté des diverses crises économiques traversées depuis les années 70 (chocs pétroliers, crise des nouvelles technologies en 2001, crise des subprimes en 2008 et crise des dettes souveraines en 2011). Toutefois, les économistes s’accordent à dire que, malgré ces convulsions économiques, c’est le chômage structurel qui a augmenté au fil du temps. Ce dernier ne dépend pas des fluctuations de l’activité économique, donc des crises, mais dépend de caractéristiques propres à la société et à la période considérée*. Il n’est donc pas signe d’un essoufflement de l’activité économique. 

A la suite de ces constatations de faible croissance et fort taux de chômage structurel malgré une économie dynamique, des économistes ont posé la théorie selon laquelle les niveaux de croissance et d’emploi ne seraient plus jamais ce qu’ils ont été. Selon eux, une solution pour stimuler la consommation, la production et donc l’économie entière pourrait résider dans l’instauration d’un revenu universel. Ils comptent, via cette solution, pallier la problématique du manque de débouchés solvables : en effet, le chômage de masse affectant le pouvoir d’achat des français, le pourcentage de la population en capacité de consommer s’amoindrit avec pour conséquences, d’une part, de gonfler le nombre de précaires et, d’autre part, de freiner la production, qui a vocation à être vendue. D’un point de vue keynésien, la flamme de ce couple consommation/production se verrait ravivée par une perfusion de pouvoir d’achat telle que le revenu universel.

Un autre argument se base sur l’idée que, pour consommer, les individus ont besoin d’avoir confiance en leur prospérité économique future. Ainsi, l’assurance de recevoir un revenu chaque mois, d’un montant fixe, rassurerait les agents et les inciterait à consommer davantage plutôt qu’à épargner dans la crainte du lendemain. 

Sous ce prisme, l'essoufflement global d’un modèle est donc le principal argument avancé. Des bouleversements technologiques et sociaux peuvent également faire émerger la même alternative. 

3) Des changements sociétaux qui questionnent sur la nature du travail

En effet, depuis les années 1990 et l’essor des nouvelles technologies de l’information, notre monde a changé. Internet, data, robotisation : les champs d’application sont infinis. Ces prouesses en termes d’innovation ont, au fil des ans, changé nos conceptions du lien social, du service mais aussi du travail. La robotisation est génératrice d’efficacité tout en étant destructrice d’emplois. 

Si l’on a longtemps fantasmé un remplacement du travail humain par celui des robots, la proportion de nos emplois en risque de disparaître est maintenant évaluée aux alentours de 14% . Disparaître ? Pas totalement. En réalité, une migration des emplois s’opère. Les tâches les plus “automatisables” relèvent souvent des emplois les moins qualifiés alors que les créations de postes s’opèrent davantage pour des postes plus qualifiés dans le domaine de la maintenance nécessaire à la robotisation. Dans ce cas de figure, la quantité d’emplois créés ne compense pas les pertes. 

Malgré des investissements en ressources humaines formées aux nouvelles technologies, les destructions d’emplois peu qualifiés créent des laissés-pour-compte. In fine, ce phénomène aggrave le constat d’une hausse structurelle du chômage : l’activité économique est vivace mais le niveau d’emploi s’affaisse. Cette analyse de la “création destructrice” des innovations a donc été, elle aussi, pensée au travers de la question du revenu universel. Une proposition du programme électoral de Benoît Hamon en 2017 l'illustre : la création d’une “taxe robot” pour financer un revenu universel. Son argument principal était que cette taxe était le moyen de fixer un prix à la concurrence que représente le travail des robots sur le travail de l’Homme et donc de monnayer les externalités négatives engendrées par la robotisation. 

En cas de pandémie mondiale, d’essoufflement économique ou de séisme technologique, le revenu universel s’invite de plus en plus fréquemment dans la liste des solutions discutées. Cela confirme la multitude et la richesse des échanges portant sur cette thématique. Les débats sur la forme et les modalités d’attribution de ce revenu n’ont pas fini de nous surprendre. Alors qu’après la Finlande, l’Espagne tente l’expérience, elle deviendra peut-être un pays-laboratoire pour les autres nations qui y songeraient. 

*Dictionnaire d’analyse économique, Bernard Guerrien et Ozgur Gun, La Découverte, 2012.

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