Gram : Telegram abandonne son projet de cryptomonnaie

Gram : Telegram abandonne son projet de cryptomonnaie Le fondateur de la messagerie cryptée, Pavel Durov, pointe du doigt le gendarme financier américain et l'extraterritorialité du droit US.

[Article mis à jour le 13 mai 2020 à 11h57] Gros revers pour Telegram. Le projet de cryptomonnaie de la messagerie cryptée est abandonné. C'est Pavel Durov, le fondateur, qui l'a annoncé sur son compte Telegram. D'après le dirigeant, cet abandon est dû à l'opposition de la justice américaine et du gendarme financier US (la Sec). "Imaginez que plusieurs personnes rassemblent de l'argent pour construire une mine d'or - et plus tard diviser l'or extraite. Ensuite, un juge vient dire aux constructeurs de la mine : "Beaucoup de gens ont investi dans la mine d'or parce qu'ils recherchaient des profits. Et ils ne voulaient pas cet or pour eux, ils voulaient le vendre à d'autres. A cause de cela, vous n'êtes pas autorisés à leur donner de l'or", narre Pavel Durov, qui a utilisé l'image de la mine pour désigner la blockchain TON et l'or pour le gram, la cryptomonnaie qui aurait dû en découler. 

Fin 2019, la Sec a poursuivi la société russe pour ne pas avoir enregistré sa levée de fonds en cryptomonnaies aux Etats-Unis. Alors qu'il s'agissait, d'après l'autorité américaine, d'une vente de titres non enregistrés. S'en est suivie une bataille judiciaire de plusieurs mois durant laquelle Telegram a notamment refusé de partager les états financiers de sa levée de fonds à la Sec. La justice américaine a finalement décidé que les grams ne pouvaient pas être distribués aux Etats-Unis, ni dans le reste du monde."Parce que selon elle, un citoyen américain peut trouver des manières d'accéder à la plateforme TON", précise Pavel Durov, qui en a profité pour faire un long plaidoyer contre l'extraterritorialité du droit américain. Le fondateur de Telegram rappelle également dans son post que de nombreux fraudeurs et autres usurpateurs continuent à prospérer sur le web, en utilisant son nom et celui de Telegram. "Ne leur faites pas confiance avec votre argent ou vos données. Aucun membre actuel ou ancien de notre équipe n'est impliqué dans ces projets." Pour conclure, Pavel Durov revient sur le besoin de décentralisation. "Cette bataille est certainement la plus importante de notre génération. Nous espérons que vous réussirez là où nous avons échoué." Si Telegram, grand défenseur de la décentralisation et aux moyens techniques et financiers considérables, n'a pas réussi, difficile de voir qui pourrait le surpasser. 

La libra, future cryptomonnaie de Facebook, n'est en aucun cas un concurrent du gram en raison notamment de son caractère centralisé. De plus, l'association Libra a récemment revu sa copie pour être conforme aux différentes réglementations dans le monde. Américaines, surtout. 

Qu'est-ce que le projet crypto de Telegram ?

L'application de messagerie cryptée prévoyait de lancer le gram à l'automne 2019 puis a dû le reporter au printemps 2020. Les détails sur cette crypto-monnaie et la blockchain associée, TON blockchain, n'ont pas fuité. Des rumeurs en tout genre on afflué poussant Telegram à faire une mise au point sur son blog début janvier 2020. L'application aux plus de 200 millions d'utilisateurs a tout d'abord rappelé l'objectif de sa crypto-monnaie : "Les grams seront complémentaires des monnaies traditionnelles, améliorant la vitesse, l'efficacité et la sécurité des transactions commerciales quotidiennes dans le monde."

Les caractéristiques du gram 

Le gram devait donc êtreune crypto-monnaie, un token de paiement, échangé entre les utilisateurs au sein de l'écosystème TON. Il ne s'agissait pas d'un utility token (qui donne accès à un service) ou un security token (représentation digitale d'un actif financier). "Les grams ne sont pas des produits d'investissement et il ne faut pas s'attendre à des futurs profits ou des gains suite à l'achat, la vente ou la détention de grams", est-il indiqué dans le post de blog. "Ce ne sont pas des capitaux propres ou d'autres titres de propriété dans Telegram ou ses filiales." Ils ne donnent pas le droit à des dividendes ou d'autres droits de distribution, ni des droits à la gouvernance comme c'est le cas par exemple des tokens de la blockchain Tezos.

"Personne ne peut acheter ou vendre des grams avant notre annonce du lancement de TON Blockchain"

La blockchain TON

La blockchain TON, sur laquelle devaient s'échanger les grams  ne devait pas contrôle le protocole une fois lancé. Le code de la blockchain est open source et donc consultable par tous. Telegram devait être un membre de la communauté comme les autres. C'est le même principe que sur Bitcoin et Ethereum qui sont tous deux maintenus par un ensemble de développeurs à travers le monde. En revanche, Telegram et ses filiales ne s'engagaient pas à développer des applications ou features sur la blockchain TON après son lancement. "En fait, il est possible que Telegram ne le fasse jamais", est-il écrit sur le post de blog de janvier. C'est donc aux développeurs tiers de créer et implémenter des applications et smart contracts

Le wallet TON 

Telegram a révélé début janvier que le futur wallet TON ne devait pas être intégré à l'application Telegram lors de son lancement. Et être donc une application à part. Une façon de montrer que la société russe ne favorisait pas son wallet et qu'il pouvait être concurrencé par des wallets existants. Toutefois, la messagerie n'excluait pas l'intégrer plus tard en respectant "les lois applicables et les autorités gouvernementales."

Quelles sont les différences entre gram et libra ?

Les projets de Facebook et Telegram sont très différents sur plusieurs points. Leurs fondateurs respectifs le sont aussi. D'un côté, il y a un Mark Zuckerberk libéral et attaqué régulièrement sur la  gestion des données personnelles des utilisateurs de Facebook, de l'autre il y a Pavel Durov, libertarien et fervent défenseur de la protection des données personnelles. Cela donne donc lieu à deux projets crypto aux philosophies différentes. Le fonctionnement et les caractéristiques des deux monnaies sont aussi éloignées. La libra repose sur une blockchain "de permission", ce qui signifie que l'accès au protocole doit être validé par différents membres désignés alors que TON est ouverte à tous. 

"Aucune TON fondation ou autre entité similaire n'est prévue dans le futur"

Pour gérer la libra, Facebook a opté pour une association basée en Suisse composée (pour l'instant) d'une vingtaine de membres dont le réseau social lui-même. Telegram n'a pas créé d'association ou de fondation. 

Sur la monnaie elle-même, les deux projets ne se ressemblent pas du tout. La libra est un stablecoin, une crypto-monnaie stable adossée à un panier de devises. Le gram est une crypto-monnaie au même titre que le bitcoin.

Le bras de fer entre Telegram et la SEC

Comme expliqué plus haut, le gendarme financier américain poursuit la société russe pour ne pas avoir enregistré son ICO aux Etats-Unis. Telegram refuse de partager les états financiers de son ICO à la SEC. "Le refus des défendeurs de divulguer entièrement et de répondre aux questions sur l'allocation des 1,7 milliard de dollars qu'ils ont levés auprès des investisseurs est profondément troublant", a écrit la SEC dans un communiqué. Début janvier 2020, un tribunal new-yorkais a rejeté une demande de la SEC qui voulait obliger Telegram à divulguer ses dossiers bancaires. Malgré la décision du tribunal en faveur de Telegram, la société devra tout de même prouver que ses dossiers sont conformes aux lois étrangères sur la protection des données.