Les NFT dans le gaming : des enjeux juridiques multiples
NFT, cet acronyme de "non fongible token" ou "jetons non-fongibles", fait couler beaucoup d'encre dans le milieu des jeux vidéo.
Tantôt perçus comme l’avenir du secteur tantôt décriés comme source de spéculation au détriment de l’expérience de jeu[1], les NFT ne font pas l’unanimité, du moins pour le moment. N’étant pas encadrés par une législation spécifique, face au vide juridique, faut-il tenter de les rattacher au droit applicable ?
De quoi s’agit-il ?
Les NFT peuvent être définis comme des certificats de propriété de contenus numériques uniques utilisant la blockchain pour en garantir l’authenticité. Ces biens numériques ont potentiellement un spectre très vaste, images, vidéos, musiques. Largement médiatisés récemment dans le milieu de l’art après la vente record pour 69,3 millions de dollars de l’œuvre de l’artiste Beeple « Everydays : the First 5000 Days »[2], les NFT sont multiples. Dans les jeux vidéo, ces objets virtuels sont par exemple intégrés au gameplay en tant qu’équipements (armes, casques, uniformes dans le jeu « Ghost Recon » d’Ubisoft), personnages ou même dans des jeux entiers comme dans « Axie Infinity »[3]. Les modalités de la vente et des reventes postérieures de NFT sont générées par un « smart contract », à savoir une convention résultant d’un programme informatique permettant d’exécuter la transaction de manière dématérialisée.
Pourquoi les NFT sont-ils attractifs ?
Le NFT permet de matérialiser, si l’on peut dire, dans le monde numérique un titre de propriété d’un bien numérique unique et d’autoriser sa vente à un acquéreur et sa revente. Tout l’intérêt d’un NFT est qu’il peut en principe circuler librement sur la blockchain. En tant que certificat inviolable d’un fichier numérique, le NFT présente donc une utilité juridique de ce fait, à savoir pouvoir matérialiser la transmission de propriété d’un contenu numérique unique par le transfert de son certificat, le NFT associé à ce bien numérique. Pour l’heure, faute d’encadrement légal des NFT, le contrat de vente de NFT est donc particulièrement important pour déterminer les conditions et modalités d’une telle vente entre l’auteur-émetteur du NFT et l’acquéreur du NFT. Toutefois, ce droit de propriété est-il nuancé par les contraintes techniques nécessairement associées à l’économie des NFT. Ces derniers s’échangent généralement non en direct mais via des intermédiaires, des plateformes tierces, une des plus connue étant « OpenSea »[4], qui organisent ces opérations et stipulent leurs propres conditions générales de vente.
Monétisation des contributions de joueurs ?
Le modèle du « play to earn », à savoir jouer pour gagner des revenus, est l’argument choc pour défendre l’introduction de NFT dans les jeux vidéo. La possibilité du partage de la valeur de l’éditeur vers le joueur est mise en exergue. L’objectif affiché serait d’autoriser les joueurs à créer des éléments de jeu dont ils deviendraient propriétaires et qu’ils pourraient vendre à d’autres joueurs, générant ainsi des revenus.
Il s’agit d’un point décisif à prévoir dans les licences des jeux. La possibilité offerte à un joueur de créer du contenu ouvre une brèche dans la titularité des droits de propriété intellectuelle attachés au jeu qui pourraient donc être potentiellement revendiqués par les joueurs du fait de la création de contenu numérique orignal verrouillé par un NFT. Certains éditeurs resteront donc prudents avant l’introduction de NFT dans le « game » ou veilleront à les contrôler strictement tant les enjeux juridiques sont importants et structurants.
Les critiques envers les NFT font l’écho aux risques juridiques anticipés
L’intégration de NFT dans les jeux vidéo n’est pas anodin et certains studios ont dû faire marche arrière face aux réactions des joueurs critiquant leur introduction[5]. Si pour certains acteurs du secteur, dont en tête Ubisoft qui a lancé sa plateforme « Ubisoft Quartz » en décembre 2021[6] , NFT riment avec avenir du jeu vidéo, pour d’autres, les NFT sont à bannir à cause de leur caractère spéculatif notamment lors de leur revente et de l’espérance de gain associé à une telle démarche dévoiement du but premier d’un jeu, le divertissement.
Juridiquement, au-delà des conséquences fiscales des revenus générés par cette activité à l’horizon, les NFT pourraient tomber sous le coup de la réglementation applicable aux jeux d’argent et de hasard contrôlés par l’Autorité Nationale des Jeux, comme elle (l’ARJEL à l’époque avant son changement de nom) s’était saisie en 2018 de la question des « loot-boxes » ou « boîtes à butins » payantes contenant des objets aléatoires que les joueurs pouvaient acheter contre paiement mais sans en connaître le contenu exact[7].
Sur le terrain des droits de propriété intellectuelle, le phénomène des NFT entraine aussi des dérives et peut paraître hors de contrôle. Les places de marché de NFT peuvent être le théâtre d’échanges de biens numériques intégrant des marques ou des œuvres de tiers en contrefaçon de leurs droits. Ainsi, il est à craindre que ces plateformes soient de nouveaux canaux de la contrefaçon avec une marge de manœuvre à leur encontre assez limitée, ces dernières étant hébergeurs de contenu leur responsabilité se trouvant allégée. Par conséquent, parmi les surveillances en ligne à mettre en place, celle de ces plateformes s’impose à présent aux titulaires de droits. En outre, pour réguler et contrôler les NFT, peut-être verra-t-on la naissance d’un registre officiel des NFT tel que l’INPI pour les titres de propriété industrielles en France ?
[1] Les Echos, « Pourquoi les NFT sont devenus un sujet sensible dans le jeu vidéo », publié le 23 décembre 2021
[2] https://onlineonly.christies.com/s/first-open-beeple/beeple-b-1981-1/112924
[5] Les Echos, « Pourquoi les NFT sont devenus un sujet sensible dans le jeu vidéo », publié le 23 décembre 2021
[6] Les Echos « Blockchain : le géant français des jeux vidéos Ubisoft se lance dans les NFT », publié le 7 décembre 2021
[7] Rapport d’activité 2017-2018 de l’Autorité de régulation des jeux en ligne