Peggy Johnson (CEO de Magic Leap) "Le casque Magic Leap 2 a le potentiel pour remplacer des machines de chirurgie robotisée"

Après avoir levé 2 milliards de dollars grâce aux promesses de la réalité virtuelle grand public, Magic Leap s'est repositionné pour proposer un casque dédié aux professionnels. Sa CEO dévoile les nouveaux objectifs de la start-up.

JDN. Lancé en 2010, Magic Leap avait suscité beaucoup d'attente, notamment après avoir levé près de 2 milliards de dollars depuis sa création. Où en est l'entreprise aujourd'hui ?

Peggy Johnson est le CEO de Magic Leap © Magic Leap

Peggy Johnson. La première phase de Magic Leap a été dédiée au développement de la technologie. La réalité augmentée est une technologie qui nécessite beaucoup de précision. Il faut réussir à intégrer du contenu numérique dans le monde réel en faisant croire à vos yeux que ce contenu est là. Il s'agit là d'une technologie plus complexe que celle de la réalité virtuelle ou du passthrough VR, qui transmet à l'écran du contenu filmé par des caméras extérieures. Magic Leap était parmi les premières entreprises à relever ce défi de l'AR, ce qui a nécessité un certain temps et des investissements.

La technologie développée a permis la création du Magic One, notre premier casque de réalité augmentée, lancé sur le marché en 2018. Destiné initialement au grand public, nous avons finalement constaté que ce produit suscitait davantage d'intérêt chez les professionnels. En septembre 2022, nous avons donc lancé le Magic Leap 2, un casque plus léger de 260 grammes, plus puissant, et entièrement centré sur des usages professionnels.

Quels sont les principaux cas d'usage de cette seconde version du casque Magic Leap ?

Lorsque nous avons sorti la première version, il n'était pas évident de savoir quelles seraient les principales applications possibles pour cette technologie. Nous les avons identifiés et nous concentrons aujourd'hui nos efforts sur la formation, la visualisation 3D de données, la collaboration ainsi que l'assistance à distance. Par exemple, si vous avez besoin d'aide pour accomplir une tâche précise et que vous êtes équipé du casque, un autre expert, depuis n'importe quel appareil, pourra voir ce que vous voyez pour vous guider à distance. Concrètement, un jeune chirurgien confronté à une situation inhabituelle lors d'une opération pourrait faire appel à un expert basé dans un autre pays afin d'obtenir des conseils précis. Le casque Magic Leap permet ainsi une collaboration bien plus immersive, augmentant ainsi la productivité et réduisant au passage les besoins de déplacement.

Le secteur de la santé est-il votre cœur de cible aujourd'hui ?

Nous observons effectivement beaucoup de demande dans ce secteur et pas uniquement à des fins de formation mais aussi dans une logique d''assistance en temps réel dans les soins de santé. Nous avons d'ailleurs obtenu les certifications nécessaires pour que l'appareil puisse être utilisé en salle d'opération. Les chirurgiens peuvent ainsi utiliser notre appareil comme un outil supplémentaire pendant une opération, par exemple pour afficher des informations numériques en superposition du genou d'un patient lors d'une intervention chirurgicale.

Cela évite de recourir à des dispositifs coûteux, à l'instar des machines de chirurgie robotisée qui peuvent coûter jusqu'à un million de dollars et qui ne sont généralement disponibles que dans les hôpitaux des grandes villes. Le casque Magic Leap 2 a le potentiel de remplacer ces grosses machines pour un coût bien plus faible et ainsi contribuer à démocratiser les soins de santé.

Quelles sont aujourd'hui vos sources de revenus ?

Magic Leap tire ses revenus de plusieurs sources, à commencer logiquement par la vente des casques. Mais nous commercialisons également différents services sous forme de logiciels. Certains logiciels sont fournis gratuitement et d'autres sont payants. Nous avons par exemple développé une application baptisée "Assist" qui facilite la collaboration à distance. Nous cherchons aujourd'hui à enrichir notre écosystème d'applications en incitant les développeurs à utiliser notre kit de développement logiciel. Nous voulons aller plus loin dans la collaboration avec ces développeurs tiers en leur donnant tous les outils nécessaires pour leur permettre de tirer pleinement parti du potentiel de la réalité augmentée.

Quel regard portez-vous sur le lancement du casque Vision Pro par Apple, qui a fait le choix de la technologie de la réalité virtuelle ?

Le fait qu'Apple entre sur ce marché est un très bon signe pour tout le secteur dans son ensemble. Apple est une entreprise connue pour ne pas arriver trop tôt dans un nouveau marché. Le lancement du Visio Pro est donc un excellent signe de validation et devrait permettre de développer l'écosystème en attirant davantage de développeurs. Il faut néanmoins souligner qu'Apple semble concentrer ses efforts sur le consommateur et sur le divertissement. Leur approche, basée sur la réalité virtuelle et sur la technologie PVR (Passthrough VR, ndlr), est également très différente de celle de Magic Leap.

Que manque-t-il selon vous pour que cette technologie de réalité augmentée soit plus largement adoptée, notamment par les professionnels ?

Les entreprises commencent à comprendre qu'elles peuvent obtenir un retour sur investissement grâce à cette technologie, et cela va changer beaucoup de choses. Par exemple, l'un de nos clients, spécialisé dans les cathétérismes cardiaques (des examens radiologiques consistant à introduire un cathéter cardiaque dans un vaisseau sanguin avant une intervention chirurgicale, ndlr) a décidé d'adopter la technologie de l'AR pour gagner en précision. Auparavant, le chirurgien devait se fier à un écran qui affichait une image en 2D du cœur.

Grâce à Magic Leap, un chirurgien peut désormais visualiser le cathéter en temps réel devant ses yeux en réalité augmentée. C'est un moyen beaucoup plus sûr et qui offre de meilleurs résultats pour le patient. Ces types d'applications devraient radicalement changer les pratiques chirurgicales dans le futur. Nous voulons continuer à développer cet écosystème en éduquant le marché sur ce que l'AR est capable d'apporter.

L'un des freins à l'adoption des casques AR ou VR par le grand public est le prix élevé de ces appareils. Anticipez-vous une baisse des prix à court terme ?

Nous nous attendons à ce que les prix suivent une trajectoire similaire à celle des smartphones. Au départ, les téléphones étaient lourds et chers. Les avancées technologiques, que ce soit la réduction du nombre de composants ou la diminution de la taille des batteries, ont permis de baisser ces coûts, rendant ces appareils accessibles pour le grand public. Nous pensons que la même chose se produira avec les casques de réalité augmentée. Cependant, il est aujourd'hui impossible de deviner quel sera le prix du Magic Leap 3. J'imagine qu'il deviendra logiquement plus abordable à mesure que la technologie se développera et que la demande grandira.

Quels sont les projets de Magic Leap ?

Nous allons nous concentrer sur le développement commercial du Magic Leap 2 dans les différents secteurs professionnels que nous avons identifiés, à savoir la santé, l'industrie et le secteur public. Nous voulons continuer de développer notre écosystème d'applications en proposant davantage de logiciels. Magic Leap est aujourd'hui financièrement stable et prêt à accélérer sa croissance.

Peggy Johnson est le CEO de Magic Leap, une société américaine spécialisée dans la réalité augmentée immersive. Avant de rejoindre Magic Leap en 2020, succédant ainsi à son fondateur Rony Abovitz, elle était vice-présidente exécutive du développement commercial chez Microsoft. Auparavant, elle a passé 24 ans chez Qualcomm, où elle a été membre du comité exécutif de l'entreprise. Elle a également travaillé en tant qu'ingénieur pour la division électronique militaire de General Electric au début de sa carrière. Elle est titulaire d'une licence en génie électrique de l'université d'État de San Diego. Elle est actuellement membre du conseil d'administration de BlackRock.