Non conforme avec le droit européen, la loi numérique pourrait ne jamais exister
Epinglé par la Commission européenne qui l'accuse d'empiéter sur le droit de l'Union, et notamment sur le DSA, le texte doit modifier certaines de ses dispositions pour espérer survivre.
Le projet de loi SREN (Sécuriser et Réguler l'Espace Numérique) verra-t-il le jour ? Le texte porté par Jean-Noël Barrot et qui promet de mieux lutter contre le cyberharcèlement, les arnaques en ligne, ou encore l'accessibilité des sites pornographiques aux mineurs, devait être examiné par une commission mixte paritaire au mois de décembre 2023. Une étape ultime avant une adoption qui aurait dû intervenir ce début d'année. Sauf que cette commission, dont les membres n'ont même pas été désignés, ne s'est jamais réunie et qu'aucune date n'est actuellement prévue, nous confie le cabinet du sénateur Loïc Hervé (Union centriste), rapporteur de la loi au Sénat.
Un report sine die loin d'être anecdotique, qui a pour but de permettre à la France de modifier le projet de loi SREN pour assurer sa conformité avec le droit européen, et donc sa survie. Car le 25 octobre, l'Europe a accusé le texte d'empiéter sur le droit de l'Union via un avis circonstancié. Avant même d'être adoptée, la loi numérique est déjà menacée.
Avocate spécialisée dans les nouvelles technologies, Virginie Bensoussan-Brulé a identifié les incompatibilités entre le droit de l'UE et le projet de loi SREN. "L'une d'entre elles provient de l'arrêt rendu par la CJUE en novembre dernier (arrêt dit Google Ireland). Cet arrêt empêche un Etat de prendre des mesures générales et abstraites à l'encontre d'une plateforme qui n'est pas localisée sur son territoire". Un principe également affirmé dans l'article 3 de la directive sur le commerce électronique. Difficile alors de lutter contre le cyberharcèlement ou contre les arnaques en ligne (soit deux des principaux objectifs de la SREN) étant donné que ces délits sont commis la plupart du temps sur des sites qui ne sont pas localisés en France.
De plus, si la loi numérique survit, elle ne devrait pas être en mesure de réguler les grandes plateformes. Cette prérogative "relève du champ d'application du DSA" (Digital Services Act, dont le but est de responsabiliser les grandes plateformes et de les sanctionner en cas de non-respect des règles), rappelle Virginie Bensoussan-Brulé. L'avis circonstancié du 25 octobre notifiait d'ailleurs à la France que son texte marchait sur les platebandes du DSA. "Un avis circonstancié, on n'a pas d'autre choix que de s'y plier. La France va devoir expliquer les mesures qu'elle a prises pour se conformer au droit européen".
Les sites pornographiques absents de la nouvelle version ?
Le DSA étant un règlement et non une directive, il "s'applique directement dans le droit national sans marge de manœuvre". Difficile dans ces conditions pour la France de justifier que le projet de loi SREN est un texte qui précise les moyens d'action permettant d'atteindre les objectifs du DSA. Une situation que l'avocate regrette : "Je trouve ça dommage. Pour moi il n'y a pas de contradiction entre les deux textes".
Pour éviter de déborder sur le DSA, la loi numérique devra vraisemblablement être modifiée. "Ce n'est pas du tout impossible que certaines parties de la loi soient supprimées" prédit Virginie Bensoussan-Brulé. L'article 22 du projet de loi SREN pourrait ainsi disparaitre. En effet, il porte sur la responsabilité des plateformes d'hébergement (comme Instagram, Facebook…), un sujet également abordé par l'article 6 du DSA.
Dans la même logique, les dispositifs pour réglementer les sites pornographiques présents dans la loi numérique sont également en danger. Car là aussi, le sujet est couvert par le DSA, l'UE ayant désigné les trois plus grosses plateformes (Pornhub, Stripchat et XVideos) qui doivent respecter une série d'obligations, notamment sur la vérification de l'âge de leurs utilisateurs. Autrement dit, le système de double anonymat mis en place par le projet de loi SREN pour empêcher les mineurs d'accéder à des sites pornographiques ne devrait pas concerner ces trois plateformes mais seulement des sites avec moins d'utilisateurs. De quoi limiter fortement l'impact du projet de loi SREN. Mais celui-ci est obligé de s'adapter, sous peine de devenir un projet mort-né.