Maya Noël (France Digitale) "La première menace des élections pour la tech est l'instabilité à court terme et le manque de visibilité"
Le ralentissement des investissements dû à la montée des extrêmes en France se fait déjà sentir au sein de la French Tech. Maya Noël, directrice générale de France Digitale, rappelle pour le JDN l'impact que pourrait avoir ces élections sur la tech.
JDN. Depuis l'annonce de dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, quelles réactions avez-vous observé au sein de l'écosystème French Tech ?

Maya Noël. Les résultats des européennes, jusque-là, nous nous y attendions. Ce à quoi nous nous attendions moins, c'est cette dissolution qui en a surpris plus d'un. Depuis, de la surprise et de la sidération, résulte une situation de marché complètement perturbée. Dans le monde économique, on avance mieux avec de la visibilité. Et cette zone de flou ralentit énormément les levées de fonds pour les entreprises comme pour les investisseurs. Mais surtout, la montée des extrêmes crée beaucoup d'inquiétudes. Assez naturellement, des entrepreneurs nous ont contacté dès le dimanche soir pour dire qu'il était important de rappeler pourquoi on se bat depuis plus de dix ans, pourquoi on s'est battu pendant toute la campagne des élections européennes.
Des entrepreneurs envisagent-ils déjà de s'expatrier vers d'autres horizons ?
Depuis dix ans, beaucoup moins d'entrepreneurs regardent à l'ouest pour monter des entreprises, ce qui est formidable. Malgré tout, certains continuent de faire le choix de partir aux Etats-Unis parce que le marché est plus simple d'accès, parce que l'Europe est fragmentée et qu'il est complexe de recruter en France. Si nous faisons machine arrière avec ces élections, la situation risque de s'empirer. Mais la fuite n'est pas encore là, beaucoup d'entrepreneurs sont encore dans un état de sidération. Jusqu'ici, les choses allaient dans le bon sens au niveau européen avec ce sujet de double transition environnementale et numérique qui était pris en compte avec des chantiers réglementaires comme le DSA, le DMA, l'IA Act. J'ai peur qu'on ne comprenne plus la mécanique de progrès pour entreprendre en France.
Vous parliez des extrêmes. Quels sont, pour vous, les éléments les plus inquiétants pour la tech ?
Quand on est une entreprise innovante, il y a trois ingrédients clés pour accélérer et grandir. Il faut être capable d'avoir à la fois des talents, des capitaux et un marché avec des clients. Et aujourd'hui, on ne peut pas se priver de talents internationaux. Nous avons besoin de toujours plus de talents. Pour cela, il faut continuer d'investir dans la formation mais aussi nous permettre d'aller chercher les talents là où ils sont. Nous avons besoin d'une intégration européenne parce que là aussi, l'échelle de la France ne suffit pas. Et l'Europe, aujourd'hui, est un marché qui est plus grand que les Etats-Unis avec 400 millions d'habitants. En parallèle, nous avons besoin de capitaux étrangers. Il faut comprendre que le rapport de financement est de 1 à 10 entre une entreprise française et une entreprise américaine. Et couper l'un de ces ingrédients, quoi qu'il arrive, met en péril la mécanique d'innovation des entreprises.
Avez-vous des éléments précis issus des programmes qui mettraient en danger ces ingrédients ?
Nous ne sommes pas partisans et notre rôle est d'influencer les politiques pour que l'innovation soit présente dans le débat. Aujourd'hui, nous sommes encore dans l'analyse des programmes. Ce qui est certain, c'est qu'il y a effectivement des menaces. La première étant l'instabilité à court terme et le manque de visibilité qui, déjà, impose un ralentissement. Et ça, c'est toujours préjudiciable.
"Les extrêmes font peur aux marchés financiers et aux investisseurs"
A plus long terme, si des mesures mises en place nous empêchent de recruter des profils internationaux, d'attirer des capitaux internationaux et, quelque part, viennent détruire toute la dynamique européenne, notamment en matière d'innovation, c'est préoccupant.
Pour vous, les deux extrêmes sont une menace pour cette dynamique d'innovation en Europe dont la France fait partie ?
Mon rôle n'est pas de mettre à dos-à-dos les deux extrêmes, ce ne sont pas des discours qui se valent. Mais oui, il y a des points négatifs des deux côtés avec des décisions trop radicales qui viennent complètement à contre-courant de la dynamique amorcée. La concurrence mondiale dans l'innovation ne fait que s'accroître.
Vous vous êtes entretenus avec les têtes de liste, comment votre discours a résonné chez eux ?
Disons qu'il y avait différents degrés de maturité par rapport à la thématique. Déjà, nous avons été reçus partout. Tout le monde nous parle et c'est quelque part ce qui nous donne un peu d'espoir de pouvoir continuer d'entretenir les débats. Maintenant, c'est sûr que le niveau de maturité et de prise en compte n'est pas le même en fonction des partis. Nous avons senti qu'il y avait des personnes beaucoup plus dans une logique européenne et d'autres trop à l'échelle nationale. Les approches des partis sont complètement différentes et ne placent pas la technologie au cœur des débats. Les entreprises innovantes sont des moteurs de l'économie et contribuent au rayonnement de la France à l'international, ce serait vraiment dramatique que ce ne soit plus le cas.
Avez-vous peur d'une défiance des investisseurs étrangers vis-à-vis de la politique budgétaire française si cette dynamique est rompue ?
Evidemment. Mais c'est déjà problématique parce que tout est mis en pause par l'incertitude que crée cette dissolution. Et en fonction des personnes qui seront au pouvoir cela pourrait encore s'aggraver. Aujourd'hui, nous avons réussi à créer cette forme d'attractivité de la France parce que nous sommes capables d'attirer de plus en plus de capitaux pour développer des projets ambitieux, notamment de deep tech avec la création d'usines. Et pour cela, les simples fonds français ne suffisent pas. Nous sommes obligés d'aller chercher des fonds à l'international pour continuer cette course dans laquelle la France arrive tant bien que mal à se faire une place. La France est l'une des capitales mondiales de l'IA et nous avons encore de l'avance sur des technologies comme le quantique. Mais, les extrêmes font peur aux marchés financiers et aux investisseurs qui s'apprêtent à investir dans des entreprises françaises. Et tout l'argent qui n'est pas investi, ce sont des emplois en moins qui sont créés.
Y a-t-il un risque de freiner le recrutement de talents internationaux si les extrêmes arrivent au pouvoir ?
Quand on regarde les politiques non migratoires côté Rassemblement National, on peut s'inquiéter d'une coupure totale des accès aux visas. C'est le premier frein sur le volet administratif. Ensuite, être en mesure de pouvoir recruter légalement, c'est bien, mais si on vient dégrader l'image internationale de la France ce sera un repoussoir pour des talents internationaux. Et le résultat sera le même.
Maya Noël est directrice générale de l'association France Digitale depuis 2021. Elle commence sa carrière dix ans plus tôt chez Michel Klein avant de rejoindre le monde du recrutement en 2012. Elle est chasseuse de tête chez Mobiskill jusqu'en 2014 avant de monter une plateforme de recrutement pour des profils de développeurs : YBorder.