Papa ! Maman ! Ne touchez pas à mon image numérique !
1300 photos : c'est la moyenne de photos d'un enfant publiées en ligne avant ses 13 ans, sur ses comptes, ceux de ses parents ou de ses proches.
1300 photos : c’est la moyenne de photos d’un enfant publiées en ligne avant ses 13 ans, sur ses comptes, ceux de ses parents ou de ses proches. Dans un monde où la technologie est omniprésente, l'exposition excessive des plus jeunes sur les réseaux sociaux est devenue la norme. Alors même que l’âge requis pour s’inscrire sur les réseaux sociaux (15 ans) n’est pas atteint, l’enfant est déjà surexposé malgré lui. Et cette exposition précoce fait passer le chiffre à 70 000 contenus partagés dès qu’ils atteignent leur majorité !
Ce phénomène de diffusion excessive, désigné sous le terme anglais de "sharenting", (to share, partager et parenting, parentalité) est devenu une pratique banale pour de nombreux parents. Chaque étape de la vie de l'enfant, de ses premiers pas à son anniversaire, est désormais documentée et partagée par les parents sur Internet, souvent sans avoir conscience des répercussions sur le long terme.
Ainsi, prendre en photo et poster le dernier exploit du bambin, sa photo d'anniversaire ou même une simple grimace est devenue un geste quasi quotidien dans la vie de tout utilisateur de smartphone. Mais cette habitude de partager chaque moment de la vie de l'enfant soulève des questions importantes quant à la protection de la vie privée, la sécurité en ligne et l'impact psychologique que peut avoir cette exposition précoce à la sphère publique.
Alors que les réseaux sociaux donnent la possibilité de partager des moments de vie avec la famille et les amis, il est impératif de reconnaître les risques associés à cette pratique de "sharenting" : cybercriminalité, cyberharcèlement ou perte de l’estime de soi dès le plus jeune âge, lorsque des parents s’adonnent à des pratiques humiliantes ou dégradantes comme le « kid shaming ».
C’est en prenant conscience de leur implication que les parents peuvent mieux protéger la vie privée et le bien-être de leurs enfants d’un univers digital en constante évolution.
Et c’est tout l’intérêt de la nouvelle loi n°2024-120 du 19 février 2024 qui privilégie la pédagogie plutôt que la sanction. Elle vise à sensibiliser les parents sur les risques associés à la publication excessive de contenus mettant en scène leurs enfants sur les réseaux sociaux.
En renforçant les mesures de protection de la vie privée des mineurs en ligne, cette loi comble les lacunes et les vides juridiques qui ont émergé avec l'évolution des nouvelles technologies et habitudes des consommateurs numériques malgré une série de mesures législatives initiées régulièrement depuis 2020.
Dorénavant, les parents sont tenus d'être conscients des implications de leurs actions en ligne sur la vie privée et le bien-être de leurs enfants et doivent être les garants d’une meilleure protection des données personnelles de leur enfant mineur. En effet, cette nouvelle loi instaure un contrôle judiciaire accru des parents, pouvant conduire à la perte de l’autorité parentale sur le droit à l’image de l’enfant, si l’image et la dignité des enfants est atteinte dans l'espace numérique.
Une analogie pertinente peut être établie avec le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) où les parents pourraient être qualifiés de Responsables de traitement des données à caractère personnel de leur enfant mineur.
En assumant cette responsabilité, les parents s'engagent à garantir à leur enfant le droit effectif à l'oubli et à l'effacement des données personnelles. Cependant, les diffusions excessives et anarchiques d'images sur les réseaux sociaux ne permettent pas de garantir l’effectivité des droits d'accès pour l'enfant aux données publiées avant sa majorité numérique et légale. Même après cette date, les effets de ces publications peuvent parfois être irréversibles. Il revient donc aux grandes plateformes de réseaux sociaux à mettre à disposition des outils simples et efficaces pour permettre aux parents et aux majeurs de mieux contrôler leurs données en pouvant les effacer.
Cependant, du point de vue d’un réseau social la mise à disposition de mesures permettant d’identifier et d’effacer simplement les données personnelles est un véritable enjeu économique car ces dernières sont notamment valorisées sur le volume et la qualité des données qu’elles détiennent et qu’elles exploitent pour développer de nouvelles technologies.
En effet, c’est grâce à l’essor de ces données, qu’aujourd’hui l’intelligence artificielle générative explose et propose des applications comme la reconnaissance faciale, les deep fakes ou les filtres qui génèrent une nouvelle source de revenus très prometteurs. Elles ont donc tout intérêt à conserver leur appétit gargantuesque de données.
Il faut ainsi garder à l’esprit que certains contenus sont impossibles à supprimer et figureront de manière irréversible sur la fiche d’identité numérique tout au long de la vie d’une personne. L'encadrement juridique peut être renforcé, mais il ne suffira donc pas à lui seul à résoudre les problèmes liés à l'utilisation du numérique. En effet, l’enfant devenu majeur peut demander réparation en raison du préjudice subi du fait des publications par ses parents sur les réseaux (Civ.1ère 27/02/2007 N°06-14.273).
En conclusion, nous devons être conscients des répercussions de nos comportements sur l’avenir numérique de nos enfants en adoptant une approche appropriée et équilibrée de nos propres usages.
Cette responsabilisation nous concerne tous, parents, professeurs, éducateurs, entraineurs, dans les écoles, les établissements de loisirs, sportifs, culturels et parascolaires qui prenons également l’habitude de promouvoir nos activités publiquement sur les réseaux sociaux.