Bérénice Lajouanie (Les Echos) "Les Echos atteindront cette année un chiffre d'affaires en légère progression à 96 millions d'euros"
La directrice générale du pôle Les Echos / Thématiques du groupe Les Echos Le Parisien explique comment le journal gère son virage digital dans un contexte économique tendu.
JDN. L'année 2024 confirme-t-elle le virage digital des recettes des Echos ?
Bérénice Lajouanie. Les Echos vont atteindre un chiffre d'affaires de 96 millions d'euros en 2024 hors activités de diversification (études, salons, publishing, etc.), selon nos projections. Cette performance est en légère progression par rapport à 2023. Les recettes des Echos progressent régulièrement chaque année avec une spécificité en effet : 53% viennent désormais du digital. Ce poids du digital est plus important sur les recettes de diffusion que sur les recettes publicitaires.
Qu'en est-il de la rentabilité des Echos en 2024 ?
Nous avons atteint la rentabilité du média lors des trois derniers exercices (2021-2023) et 2024 n'est pas encore bouclé. Nous consolidons actuellement le budget 2025, il est un peu tôt pour se prononcer. Mais bien sûr, Les Echos vont faire face aux effets de transformation profonde de notre secteur, et donc aux chocs structurels et conjoncturels successifs, comme par exemple celui de l'inflation. Et c'est vrai que nous nous préparons à une année 2025 qui sera probablement plus tendue.
Vous nous indiquez que le CA des Echos devrait finir 2024 en légère progression par rapport à 2023. Quelle a été l'évolution de vos recettes publicitaires cette année ?
Nous avons eu un très beau premier semestre (+10% à fin mai), avec une progression particulièrement forte sur le digital, grâce notamment à l'audio (avec nos podcasts) et à nos opérations spéciales. Au cumul de l'année nous serons stables vis-à-vis de 2023. A noter que la part du digital sur nos recettes publicitaires se situe un peu en-dessous des 50%.
La part du digital sur les recettes publicitaires de la PQN est de 33% en moyenne cette année selon le Bump. Comment expliquer la forte présence du digital dans vos résultats ?
Toutes nos sources de revenus reflètent en effet ce virage vers le digital qui se fait progressivement, cette part montant chaque année un peu plus. Mais il est vrai qu'une forte accélération du poids du digital s'est opérée en 2020 et en 2021, avec la crise sanitaire : alors qu'en 2019 le poids du digital sur les recettes des Echos était de 24%, en 2021, il est monté à 45%. Depuis, il continue de se développer.
"Le poids du digital sur les recettes des Echos était de 24%, en 2021, il est monté à 45%"
Nous nous sommes fixés un cap pour accompagner le changement des usages et avons mis en place différentes stratégies pour développer nos audiences digitales. Nous pouvons citer le développement des newsletters : nous en avons plus de 40, dont une partie sert à capter de nouveaux lecteurs avec des contenus gratuits. Près de 20% de nos nouveaux abonnés viennent des newsletters. Les podcasts et les vidéos sont aussi d'importants outils de captation de nouvelles audiences pour nous.
Mais il est vrai que cette progression du poids du digital dans nos recettes s'explique également par les prix que nous pratiquons, qui sont supérieurs aux moyennes du marché, que ce soit pour les abonnements ou pour la publicité. Nous ne bradons pas nos produits pour nous développer sur le digital. Bien au contraire, le digital est une source de chiffre d'affaires satisfaisante. Notre politique de prix est aussi révélatrice de notre positionnement, qui diffère un peu de celle des autres quotidiens davantage généralistes.
Quel est votre cœur de cible et votre positionnement aujourd'hui justement ?
Notre cœur de cible sont toutes les personnes en position de créer, de décider et d'agir. Notre registre éditorial est très large, même si notre fil rouge reste l'économie. Nous l'avons élargi ces dernières années de différentes manières, par exemple en traitant des sujets concernant la vie personnelle de nos audiences, notamment le week-end. Avec l'arrivée de Christophe Jakubyszyn, l'organisation de la rédaction des Echos a fortement évolué cet été pour devenir beaucoup plus transversale et permettre à ce que le même niveau d'exigence soit appliqué à l'ensemble de nos canaux et formats. 25% des journalistes ont changé de poste à cette occasion.
Quelles sont vos priorités désormais ?
Nos lecteurs sont très fidèles : l'enjeu pour nous est vraiment de capter de nouvelles audiences. Notre base d'abonnés évolue de 2 à 5% chaque année et notre objectif est de poursuivre à ce rythme. Mais pour y arriver, nous devons élargir le profil de nos audiences. Aujourd'hui, nous sommes bien installés dans les Comex et les Codir. Nous souhaitons désormais conquérir à la fois le management intermédiaire dans les grands groupes et la direction d'entreprises de plus petites tailles. Nous souhaitons également attirer davantage de femmes, très actives dans les start-up. Les femmes composent 30% de notre lectorat.
"Un axe prioritaire est le développement de nos abonnements entreprises, qui comptent pour 30% de notre base"
Un autre axe prioritaire est le développement de nos abonnements entreprises, qui comptent pour 30% de notre base. Jusque-là nous avions concentré toute notre énergie sur le développement des abonnements individuels. L'exemple du Financial Times pour qui les abonnements d'entreprises sont une source forte de développement est inspirant pour nous.
Enfin, nous lançons début 2025 un rendez-vous phare pour nous aider à conquérir de nouveaux lecteurs : le "18-20", qui proposera en fin de journée une sélection d'une quinzaine d'articles, podcasts et vidéos avec l'incontournable de l'actu, des sujets inattendus et des contenus personnalisés.
Et concernant l'IA ?
L'IA est un enjeu prioritaire qui s'est accéléré ces derniers mois. Nous dédions une rubrique, un podcast et deux newsletters à ce sujet, dont une que nous produisons en partenariat avec Welcome to the Jungle avec des tips pour l'utilisation de l'IA par les jeunes entrant dans la vie professionnelle. Nous nous servons de l'IA également pour améliorer l'expérience de nos lecteurs : un exemple en est la proposition d'une playlist de notre actualité en format audio. Enfin, notre rédaction et notre direction digitale collaborent pour mettre en place des outils à base d'IA pouvant faciliter le travail des journalistes. La rédaction s'en sert déjà pour améliorer la titraille et le SEO, produire des posts sociaux et résumer des articles.
Aujourd'hui, 80% des 102 000 abonnés des Echos sont 100% numériques et 62% de son audience est exclusivement digitale. Le print a-t-il encore une importance pour vous ?
Le format historique du print traduit en digital à travers notre liseuse compte beaucoup pour nos abonnés et pour nos annonceurs. 50% de nos abonnés lisent le journal soit sous une forme liseuse ou sous une forme papier. C'est un format qui garde une valeur éditoriale très forte.