Claire Léost (Prisma Media) "A périmètre constant, Prisma Media a fini 2024 avec des recettes digitales en hausse de 5% et un chiffre d'affaires stable sur le print"
Claire Léost, présidente de Prisma Media, explique au JDN sa stratégie pour rester rentable dans un contexte peu favorable à la presse magazine en France
JDN. Prisma Media, groupe leader de la presse magazine en France, a fini 2024 avec un CA en baisse de 2% et un nouveau plan de départs, annoncé en janvier. Comment analysez-vous 2024 ?

Claire Léost. Le chiffre d'affaires 2024 est comparé à un montant de 2023 intégrant 10 mois de recettes de Gala. Le titre Gala, dont nous avons été obligés de nous séparer en novembre 2023, exerçait un impact très important sur nos résultats. Le périmètre de comparaison n'étant par conséquent pas constant, il est normal que le montant de 2024 soit inférieur. A périmètre constant, la réalité est toute autre : nous avons fini 2024 avec des recettes digitales en hausse de 5% et un chiffre d'affaires stable sur le print. Sur le print, il est important de relever une progression remarquable des recettes publicitaires, de l'ordre de 10% en 2024.
Vous indiquez des belles performances aussi bien en digital qu'en print, alors que le contexte est plutôt morose pour la presse. Comment l'expliquez-vous ?
Notre chiffre d'affaires sur le print est soutenu par nos différents lancements opérés depuis deux ans dans les créneaux du luxe, de la jeunesse et de la cuisine. Harpers' Bazaar produit le plus important chiffre d'affaires publicitaire chez nous, toujours en forte croissance. Au total, le pôle luxe génère déjà 20 millions de chiffre d'affaires, ce qui est considérable. Dans le segment jeunesse, Mortelle Adèle a vu ses audiences et son tirage multiplié par deux en 2024, c'est une publication qui nous porte fortement. En identifiant de nouveaux concepts qui matchent avec ce que recherchent les audiences, vous arrivez à stabiliser vos recettes en compensant ce que vous perdez sur les marques historiques et vous pouvez même chercher de la croissance.
Comment se répartissent vos recettes entre print et digital, entre vente au numéro, abonnements et publicité ?
Le digital représente un tiers et le print deux tiers de notre chiffre d'affaires total, qui est d'un peu moins de 300 millions d'euros en 2024. Sur le print, la publicité répond pour seulement 15% alors que la quasi-totalité de nos recettes digitales, de près de 100 millions d'euros, viennent de la publicité. Le plus gros de nos recettes publicitaires est généré sur le marché programmatique, où nous sommes très puissants, vu la volumétrie de nos audiences.
Le marché publicitaire a fini l'année en berne. Sur le marché programmatique, les CPM sont en baisse depuis plusieurs années. Comment faites-vous pour naviguer contre vents et marées ?
Nous avons constaté en effet un ralentissement des audiences et du marché programmatique après les Jeux olympiques, à partir de septembre. Sans compter que le marché de la publicité digitale pour les médias est limité comparé à celui des plateformes. Pour compenser cette baisse, la croissance sur le digital nous est assurée surtout par Harpers' Bazaar, grâce aux opérations spéciales que nous lançons avec les annonceurs du luxe, notamment sur les réseaux sociaux. Nous faisons également des contenus en marque blanche pour les acteurs de ce secteur. Ce territoire du luxe est nouveau pour nous. Son modèle économique est différent : il n'est pas basé sur la puissance, mais sur l'affinité, avec des CPM très élevés.
"La croissance sur le digital nous est assurée surtout par Harpers' Bazaar"
Nous avons également beaucoup investi dans le content to commerce, notamment en créant un laboratoire avec une dizaine de journalistes qui testent les produits. Les résultats de ces tests sont publiés majoritairement sur Capital et Femme Actuelle (monétisés selon le modèle de l'affiliation, ndlr), demain ce sera proposé aussi en vidéo (social shopping).
Enfin, nous continuons à travailler le format vidéo. Nous étions déjà leaders des vidéos courtes, juste après YouTube, avec plus de 500 millions de vidéos vues par mois. Désormais, nous transformons notre modèle pour intégrer également des formats longs et nous rendre davantage compatibles avec les nouvelles exigences de l'IAB (en matière de monétisation instream, ndlr). Nous mettons en place beaucoup de tests avec l'IA générative et la création d'avatars, par exemple de journalistes pour la diffusion de chroniques filmées, le tout encadré par une charte pour un usage éthique de l'IA. Voici, Femme Actuelle et Capital sont moteurs sur ces tests (Capital s'apprête à lancer une web TV, information qui nous a été confirmée par Prisma, qui ne précise en revanche pas quand, ndlr) .
Ceci étant, notre position de leaders d'audience sur le digital et notre expertise très pointue et forte en matière de monétisation digitale et programmatique nous permettent justement de faire face à ces vents contraires du marché. Nous avons été les premiers à utiliser Discover, dès 2020. Nous avons nos propres outils programmatiques et ce n'est pas pour rien si nous prenons en régie beaucoup de sites média externes (soit une trentaine de sites parmi lesquels L'Express, La Tribune, Libération et Les Inrocks, ndlr).
Toutes vos marques se portent-elles bien ?
Quatre de nos marques sont dans le top 6 des marques médias françaises de l'ACPM en audience : Télé Loisirs, mastodonte de sa catégorie toujours en progression, Femme Actuelle, Voici et Capital. Au total, avec 32 millions de visiteurs uniques par mois, nous demeurons le premier groupe média sur le digital en France et ce malgré le départ de Gala. Quasiment toutes les verticales sont en croissance. Le seul secteur véritablement en difficulté est la santé, mais c'est un phénomène général lié au fait que Google a décidé de ne plus référencer les médias sur ce secteur, mettant à la place des sites institutionnels ou d'entreprises privées.
Ce qui en dit long sur la dépendance des médias aux plateformes sur le digital…
C'est un fait : chaque changement d'algorithme sur le search génère des impacts considérables. Nous devons réduire notre dépendance à l'égard des plateformes, ce qui n'est pas simple, certes, mais plusieurs pistes nous permettent de l'espérer : le content to commerce, qui nous met en lien direct avec les marchands ; la vidéo, qui est un actif qualitatif important de nos sites ; et le brand content, qui nous permet de travailler en direct avec les annonceurs sur le social.
"Nous devons continuer de nous battre sur le plan des droits voisins en renégociant des accords"
Nous devons par ailleurs continuer de nous battre sur le plan des droits voisins en renégociant des accords qui, à date, ne sont pas satisfaisants sur le plan financier (Prisma Media rediscute en ce moment même avec Google, via le SEPM, et Meta, ndlr), et surtout en obtenant de la part des agents d'IA l'arrêt du pillage de nos contenus. Nous n'hésiterons pas à choisir la voie judiciaire si tel est le seul moyen de les forcer à accepter de négocier.
Vous avez annoncé un deuxième plan de licenciements en janvier. Si la situation est positive, pourquoi licencier ?
Il ne s'agit pas d'un plan de licenciements. Le premier plan était une rupture conventionnelle collective avec 28 départs volontaires directement liés à la cession de Gala. Le second plan est en discussion avec les partenaires sociaux. Les incertitudes du digital nous obligent à maîtriser nos coûts, si nous souhaitons demeurer rentables.