La mise en scène de soi : quand LinkedIn remplace l'identité par le décor
Sur LinkedIn, la communication se confond avec la mise en scène : citations recyclées, succès empruntés, storytelling standardisé. En 2025, le défi n'est plus d'être visible, mais d'être crédible.
LinkedIn n’est plus un réseau professionnel : c’est devenu un théâtre à ciel ouvert où chacun semble jouer le rôle de sa propre biographie, une version lustrée, filtrée et parfaitement reconstituée de ce qu’il rêve d’être, plutôt que ce qu’il est réellement.
L'économie de l'illusion
On ne raconte plus un parcours : on le scénarise. On ne partage plus une idée : on la surjoue. On ne documente plus un métier : on l'illustre avec des accessoires soigneusement choisis. Tout, sur cette scène numérique, est pensé pour fonctionner comme un décor, une coulisse, une impression, un cadre susceptible d’évoquer le succès sans jamais en apporter la substance.
La photo n’est plus un souvenir mais une preuve fabriquée ; la citation n’est plus une réflexion mais une incantation ; la mise en page n’est plus un détail mais une stratégie. Le professionnel disparaît derrière le personnage, comme si le seul moyen d’exister était d’exister en version amplifiée. Et dans ce jeu, il ne s’agit plus de convaincre par le fond, mais de séduire par la forme.
Quand l’apparence remplace la vision
Une partie de la population LinkedIn s’est spécialisée dans un art très particulier : celui d’habiller des évidences avec des punchlines auto-satisfaites, de recycler des réflexions vieilles de trente ans en les faisant passer pour des révélations, ou encore de se glisser dans des costumes qui tiennent davantage du déguisement professionnel que d’une identité assumée. L’illusion de sérieux devient un uniforme, la posture devient un métier, la communication devient une performance.
Ce que l’on présente comme un “parcours inspirant” ressemble souvent davantage à un tableau Pinterest : une suite d’images, de gestes, de regards lointains, de citations attribuées à tort à Steve Jobs ou Nelson Mandela, et de récits calibrés pour donner le sentiment d’une réussite permanente. Dans ce monde parallèle, les obstacles n’existent que pour être sublimés, les doutes que pour être balayés, et les échecs que pour être transformés en anecdotes inspirantes. La cohérence disparaît au profit du storytelling ; la vérité disparaît au profit de la narration ; la vision disparaît au profit de la posture.
Le marketing d’imitation : symbole vs réalité
On reconnaît immédiatement les profils qui vivent davantage de l’apparence que de la compétence : leurs symboles de succès sont souvent plus loués qu’achetés, plus empruntés qu’assumés, et plus mis en scène que vécus. Le succès devient une esthétique, un décor, une chorégraphie qui fonctionne à la manière d’un code : montrer une voiture, montrer une montre, montrer un bureau, montrer un état d’esprit, montrer une philosophie de vie — tout cela pour masquer l’absence de colonne vertébrale stratégique.
Ce marketing d’imitation crée un brouillard épais où l’on confond expertise et exposition, autorité et visibilité, talent et fréquence de publication. On finit par oublier que publier ne suffit pas pour exister, que multiplier les contenus ne crée pas une compétence, et que s’exprimer tous les jours ne signifie pas avoir quelque chose à dire. Ce n’est pas la quantité qui pose problème, mais la vacuité : une parole sans vision n’est qu’un bruit, une mise en scène sans résultat n’est qu’un décor.
La crédibilité : le seul vrai levier de 2025
Alors que l’écosystème digital évolue vers une maturité inévitable, les dirigeants les plus lucides comprennent que la crédibilité ne se construit pas avec des artifices mais avec des preuves, que la stratégie ne se mesure pas au nombre de posts mais au poids des décisions, et que la communication n’a de valeur que lorsqu’elle est alignée avec une réalité tangible. Ceux qui performent en 2025 ne sont pas ceux qui cherchent à occuper l’espace, mais ceux qui occupent leur terrain ; pas ceux qui visent la viralité, mais ceux qui visent la justesse ; pas ceux qui multiplient les signaux, mais ceux qui assument une parole rare, claire et incarnée.
La cohérence est devenue un avantage concurrentiel, la discrétion une qualité stratégique, la nuance un marqueur d’intelligence, et la capacité à dire moins pour dire mieux un levier d’influence. L’époque réclame moins de bruit et plus de sens, moins de mise en scène et plus d’alignement, moins de contenu standardisé et davantage de cheminement réel.
Une dernière chose
Une marque — personnelle ou professionnelle — ne se construit pas avec un décor, mais avec une direction ; pas avec un costume, mais avec une conviction ; pas avec des citations recyclées, mais avec une pensée. Dans un monde saturé d’artifices, la sincérité est devenue radicale, et la crédibilité, la nouvelle rareté. Ceux qui l’ont compris n’ont plus besoin de publier pour rassurer : ils publient pour éclairer. Et cela change absolument tout.