Ces nouveaux concepts d'e-commerce de mode masculine qui cartonnent
Catalogue limité, simplicité de l'expérience, relation fidélisante... Ces sites marchands ont enfin trouvé la bonne recette pour s'adapter aux habitudes de shopping des hommes.
Le dernier segment e-commerce en vogue aux Etats-Unis est celui de la mode masculine. Il aura mis longtemps à décoller mais à en juger par les réussites qu'affiche toute une ribambelle d'e-marchands spécialisés, le grand jour est arrivé. Pourquoi si tard ? Parce que les modèles de vente en ligne de mode, développés principalement pour les femmes, ne correspondaient pas aux attentes des hommes.
Beaucoup d'hommes se disent submergés par l'offre disponible sur Internet
Fer de lance de cette nouvelle génération, le newyorkais Bonobos. A la fois fabricant et distributeur, le site a bâti sa renommée sur des pantalons slims réputés callipyges, tout en proposant une expérience d'achat aussi simple que rapide. Pour que ses clients s'intéressent aussi à ses vestes, chemises et costumes, l'e-marchand a ouvert des showrooms. Aucun stock disponible à la vente, mais des bataillons de stylistes chargés de guider les visiteurs vers les vêtements qui leur iront le mieux. Il n'y a plus qu'à commander l'article sur place ou en ligne pour le recevoir chez soi quelques jours plus tard. Bonobos lève donc un premier frein à l'achat en permettant au consommateur de tâter le produit, mais également un second, très masculin celui-là, en lui évitant de devoir "trimbaler" ses emplettes tout le reste de la journée.
Parmi les sites marchands de mode masculine qui ont le vent en poupe, citons JackThreads, service de curation qui ne fait pas un secret de sa cible, les hipsters ("Great gear, great value, shopping that doesn't suck", "Everything's on f*cking sale"), ou encore Mr Porter, encore deux crans plus haut-de-gamme, déclinaison masculine de Net-a-Porter. Chacun sur son segment de clientèle, ces trois e-marchands capitalisent sur leur réputation de qualité, qu'ils entretiennent avec leurs blogs ou magazines lifestyle : Equateur pour Bonobos, Thrillist et Supercompressor pour JackThreads, The Journal pour Mr Porter.
La curation, un service très apprécié
Bien sûr, il n'existe pas qu'une seule recette pour séduire cette cible. D'autres sites ont mis au point leur modèle en se basant sur une caractéristique forte du shopping masculin. Comme l'estimait Rakuten LinkShare en 2013 au Royaume-Uni, 48% des hommes de 18 à 25 ans déplorent d'être submergés par l'offre disponible en ligne. Affiner ces possibilités constitue donc une option prometteuse. Selon une étude menée par la start-up canadienne Dash Hudson, 60% de cette population préfère se baser sur des recommandations avant d'acheter. Un fossé les sépare donc des femmes, qui à 75% préfèrent découvrir les articles par elles-mêmes. Les hommes admettent sans hésiter avoir besoin d'être guidés.
C'est précisément ce que font, chacun à leur manière, Frank&Oak, Bombfell ou Trunk Club, en présentant à leurs membres une sélection de vêtements et d'accessoires correspondant au style de chacun. Par exemple, Trunk Club se fait d'abord une idée des goûts de l'acheteur en lui posant une série de questions illustrées par des photos, puis confie le résultat à un styliste qui remplit une malle ("trunk") de vêtements et l'expédie au consommateur. A lui de les essayer et de décider ce qu'il conserve et ce qu'il renvoie, avant de payer. Il peut aussi contacter directement son styliste par téléphone, SMS, email ou via l'appli ou le site pour préciser ses besoins. Bombfell offre un service très similaire, puisant lui aussi parmi les références de marques et créateurs haut de gamme.
Des collections propres pour améliorer le rapport qualité/prix
Le Canadien Frank&Oak procède un peu différemment. Le site, qui commercialise ses propres collections mensuelles en édition limitée, propose aux membres de son Hunt Club de recevoir jusqu'à trois pièces par mois pour qu'ils les essaient et renvoient ce qui ne leur plaît pas. Mais ici, pas de styliste : ce sont les consommateurs eux-mêmes qui choisissent ce qu'ils désirent recevoir. Une idée reprise par Bombfell, qui laisse 48 heures à ses membres pour modifier la sélection du styliste qui leur a été envoyée par email.
Des malles d'une valeur de mille euros
En outre Frank&Oak, faisant fabriquer ses pièces, dispose d'une offre unique renouvelée fréquemment et peut proposer un très bon rapport qualité/prix tout en se ménageant de bonnes marges. Et pour renforcer sa marque, le pure player s'est lancé fin 2013 dans l'ouverture de quelques boutiques physiques. Il venait alors de fêter son millionième membre : une base multipliée par six en un an, particulièrement active puisque 56% des clients achètent plusieurs fois, en moyenne 6,6 fois par an.
C'est fort de ces exemples que le Français ChicTypes s'est lancé en mars 2013, soutenu par Thierry Petit (Showroomprivé) et Pierre Kosciusko-Morizet (Priceminister). Se présentant comme un service de stylisme personnalisé en ligne ("Soyez chic sans effort"), l'e-commerçant qui emploie une dizaine de stylistes mise sur sa relation exclusive avec ses clients pour les fidéliser et revendique un panier moyen très élevé. Le contenu de ses malles valant environ un millier d'euros, le montant des articles que les membres choisissent de conserver se chiffre le plus souvent en centaines d'euros. Résultat, ChicType a en un an accumulé 25 000 inscrits, expédié 2 500 colis et s'assure actuellement un rythme de 100 000 euros de ventes par mois.
L'abonnement ne fait pas tout
Le modèle de l'abonnement apparaît bien sûr très adapté à ce type de services de curation, allant jusqu'à décharger les hommes de l'idée-même de se soucier de leur shopping, tout en le rendant particulièrement efficace. Toutefois, nul besoin d'imposer un envoi mensuel qu'ils pourraient trouver excessif. Trunk Club n'expédie de malle que sur ordre de son client et ChicTypes leur laisse le choix : à la demande, à l'arrivée d'une nouvelle collection ou tous les mois. L'abonnement ne fait donc pas tout et, comme sur les autres segments, la qualité de l'offre et du service finit toujours par compter bien plus que le modèle économique adopté. La livraison et le retour gratuits, tout comme l'absence d'obligation d'achat, sont donc devenus des standards. Et là encore, accompagner son activité marchande de contenus éditoriaux pour affirmer son expertise mode ne fait pas de mal non plus.
Une cible plus intéressante que les femmes ?
A la clé, une clientèle efficace, peut-être même plus encline à réaliser de gros achats en seule une fois pour se débarrasser de son shopping. De plus, selon le bureau du recensement américain, les hommes restent célibataires et donc sans enfants plus tard dans leur vie. En début de carrière, ils disposeraient donc de plus de revenus à dépenser pour eux-mêmes que les femmes.
De quoi persuader des investisseurs du monde entier de soutenir les concepts de mode masculine dont ils estiment qu'ils ont trouvé un ton, une identité, un fonctionnement et un modèle de revenus adaptés. Parmi les tours de table les plus récents, notons les 55 millions de dollars levés en juillet par Bonobos (qui portent à 128 millions le total des investissements reçus depuis sa création en 2007), ainsi que les levées de deux autres "tailleurs en ligne", celles de l'Allemand Outfittery (13 millions d'euros en février) et du Californien Trumaker (6,5 millions de dollars en février). Relevons aussi le tour d'amorçage de 400 000 dollars bouclé cet été par Dash Hudson. Son application mobile, conçue pour les 20 à 30 ans, s'informe d'abord de leurs goûts vestimentaires puis leur suggère plusieurs stylistes à suivre et alimente un flux de produits recommandés. S'ils les veulent, Dash Hudson les achète pour eux.
Une offre réduite, une expérience simplifiée et une relation fidélisante
In fine, l'observation de ces sites permet de dégager quelques facteurs de succès. Premièrement, l'abondance de l'offre n'est pas nécessaire, bien au contraire. L'acheteur cherchera plutôt à acquérir la poignée d'articles clés qui couvrira la variété de ses besoins. Avantage : nul besoin de constituer un stock gigantesque. Les concepts de curation, de services de stylistes et les collections réduites à l'essentiel peuvent donc espérer de bons résultats.
Deuxièmement, tout doit être fait pour faciliter l'achat. Non que les hommes ne pratiquent pas le lèche-vitrine en ligne. Mais rendre aussi accessibles que possible les articles qui leur plairont est primordial. Raison pour laquelle les services d'e-commerce sur abonnement semblent très adaptés : ils requièrent un temps minimal et fournissent aux acheteurs ce qu'ils désirent en simplifiant considérablement tout le processus.
Troisièmement, les niches présentent de nombreuses opportunités. Si Mr Porter cible les garde-robes professionnelles, Karmaloop adresse pour sa part avec succès les styles urban streetwear. Une nouvelle éclosion de start-up tente aujourd'hui de s'approprier des segments définis aussi bien par un type de morphologie que par un produit ou un besoin spécifique.
Enfin, les réflexes de fidélité que ces nouveaux sites de mode masculine parviennent à ancrer chez leurs clients sont tout-à-fait marquants. Quels que soient son sexe, son âge ou son niveau de revenus, le consommateur reviendra toujours vers un produit qui lui a déjà convenu. En offrant aux hommes non seulement ce qu'ils veulent mais de la façon qu'ils veulent, des marques comme Dockers ou Banana Republic se sont forgé des cortèges de disciples fidèles. Chez les nouveaux pure players, quel que soit leur modèle économique, adhérer à ce qui motive fondamentalement le consommateur masculin semble le meilleur moyen de l'attirer... pour longtemps.