Jérémie Herscovic (Socloz) "Les négociations entre Amazon et Système U prouvent qu'il faut un réseau physique pour réussir dans l'alimentaire"

Les deux enseignes pourraient s'associer dans l'alimentaire en France. Le président de Socloz, spécialiste de la digitalisation des points de vente, analyse ce potentiel rapprochement.

JDN. Système U, comme d'autres distributeurs, négocie avec Amazon pour devenir son fournisseur attitré de produits alimentaires. Au-delà de ses 65 hypers et 760 supermarchés, qu'apporterait un Système U à Amazon ?

Jérémie Herscovic est président de Socloz. © Socloz

Jérémie Herscovic. Système U est un réseau d'adhérents comme Leclerc ou Intermarché. Ces derniers sont regroupés autour d'une centrale d'achat avec une puissance de frappe colossale. Cette centrale mutualise l'ensemble des achats. Cela permet d'avoir des prix pour tout le réseau d'indépendants. Et ce n'est pas tout. En logistique alimentaire, Système  U dispose d'une vraie expertise. Ce retailer livre déjà des produits frais depuis près de 600 magasins.

Pourquoi ce besoin d'Amazon de s'allier à un distributeur brick & mortar dans l'alimentaire ?

Amazon est peu présent historiquement sur ce secteur essentiel. Les dépenses alimentaires des ménages en France ont représenté 232 milliards d'euros en 2014, selon l'Insee. Entrer dans ce marché serait un relais de croissance gigantesque pour lui. Cependant, ceci implique trois choses. Tout d'abord, disposer d'une puissance d'achat suffisante pour être compétitif en prix, à l'égal des hypermarchés. D'où l'intérêt d'une alliance avec un acteur comme Système U. Ensuite, il faut respecter la chaîne du froid. La livraison de produits frais ne présente pas les mêmes contraintes que celle des livres ou de smartphones. Enfin, Amazon doit pouvoir présenter une large gamme de produits. Il n'a pas assez de références aujourd'hui pour devenir un leader stable et incontesté.

"Système U n'est pas le premier à avoir été contacté"

Les négociations entre Amazon et Système U prouvent qu'il faut passer par un réseau physique pour réussir dans l'alimentaire. Il est très difficile de développer un modèle économique uniquement basé sur la livraison à domicile. Deux problématiques coûteuses apparaissent en effet avec la nourriture. D'une part, la gestion des frais de livraison : est-ce gratuit ? Est-ce intégré à Prime Now ? Comment prendre en charge ce coût ? D'autre part, la préparation de chaque commande par un préparateur. Un partenariat permet d'être compétitif. Ensuite, personne ne sait si derrière ce partenariat ne se cache pas la volonté d'un rachat.

Le PDG de Système U, Serge Papin, assure ne pas être le seul à négocier avec Amazon. C'est-à-dire ?

Système U n'est pas le premier à avoir été contacté. Cela fait quelques temps qu'Amazon cherche un partenaire. En 2017, l'e-commerçant semble avoir été éconduit par Monoprix. Il avait aussi approché Intermarché. Des rumeurs courraient sur Carrefour. Et Michel-Edouard Leclerc affirmait également avoir été démarché. Finalement, presque tout le monde se targue d'avoir été contacté par Amazon, puis d'avoir, plus ou moins, fermé cette porte.

"Les mastodontes de la GSA ont tous peur de se faire dévorer par Amazon"

Car si Amazon est demandeur d'un partenariat dans l'alimentaire, les mastodontes de la grande surface alimentaire le sont beaucoup moins. Certes, ces derniers sont intéressés par l'audience d'Amazon, pour y vendre leur marques propres (23% des ventes en valeur chez Système U en 2017, ndlr). Cependant ils ont tous peur de se faire dévorer. Finalement, seul Système U leur a ouvert la porte aujourd'hui.

Jérémie Herscovic est président et fondateur de Socloz, une société spécialisée dans la digitalisation des points de vente. Il a passé six ans dans le conseil en stratégie, sur le segment des biens de consommation et de la distribution, au sein du cabinet Roland Berger. Il est diplômé de l'ESCP Europe.