Social Selling : réinventons d'abord nos organisations

Il y a quelques semaines les organisateurs du Social Selling Forum m'ont demandé, dans le cadre d'un échange sur l'avenir du social selling et de l'employee advocacy, de venir partager ma vision sur " les organisations de demain ". Un sujet d'autant plus clé pour une audience de patrons et de professionnels dont le credo est de s'appuyer sur les collaborateurs de l'entreprise pour faire rejaillir sur celle-ci le potentiel de création de valeurs de chacun d'entre eux.

Pas cette seule valeur ajoutée, essentiellement transactionnelle et financière, mais une valeur plurielle qui conjugue la raison d’être de chacun et de l’organisation, invite chacun à exprimer ses talents, à endosser la culture et incarner les valeurs de son entreprise. Et, pour ce faire, la première étape reste bien de réinventer les façons d’organiser et de travailler, de les tourner toutes entières vers un seul objectif : la création de valeurs à tous les étages de l’organisation.

Social « soft » selling

Au-delà de la vente, de la simple dimension business souvent mise derrière le terme de social selling, il serait plus juste, comme le soulignait récemment un patron que j’accompagne, de voir une tentative pour créer une « culture de la création de valeurs » au sein de l’organisation. Pour que tous les collaborateurs deviennent les « ambassadeurs » de la valeur qu’ils créent et des valeurs de l’entreprise. En soi, il ne s’agit de rien d’autre que de créer les conditions pour que chacun puisse travailler sur et révéler ses talents. Là est le véritable préalable pour que les collaborateurs aient l’envie, la volonté de partager leurs réalisations et leurs réflexions, notamment sur les réseaux sociaux. Chacun est centré sur la création de valeurs et peut avoir envie de le partager au monde.

Pas ce social selling en « mode bourrin » comme le décrit de façon fleurie mon client, focalisé uniquement sur la vente, la conquête commerciale mais un social selling qui est d’abord centré sur le partage et la générosité. Un social « soft » selling où chacun, heureux des résultats de son travail, de ses réflexions, fier de ses succès et de la valeur créée, souhaite partager et en faire profiter ses collègues, ses pairs, son entreprise. Dès lors, et comme certains le pratiquent déjà sur les réseaux sociaux, le collaborateur, le manager, le patron se font ambassadeurs, les tenants de l’employee advocacy de l’entreprise. La valeur crée, les valeurs peuvent ainsi rejaillir sur l’entreprise.

Raison d’être évolutionnaire, potentiel créateur de valeurs

Quoi qu’il en soit, pour parvenir à ce stade, le préalable reste de bâtir une organisation qui permet, en son sein, de révéler les talents et de créer de la valeur. Une organisation où chacun est à la fois autonome et responsable, porteur et vecteur de valeurs. Une organisation qui a adopté un management constitutionnel de type holacratie. Les rôles sont distribués au regard des talents et des aspirations de chacun. L’organisation est régie selon des règles partagées, connues et explicites. Chaque collaborateur, au travers de chacun de ses rôles, est invité à se muer en « micro entreprise ». La création de valeurs peut devenir pour chacun un leitmotiv, cette raison d’être évolutionnaire qui se révèle , vit et évolue au niveau de chaque entité qui compose l’organisation : le rôle, les cercles.

Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple de Julia, DRH d’une PME que j’accompagne. Cantonnée, souvent d’elle-même, à un poste de back-office, de fonction support, celle-ci s’est aujourd’hui muée en « micro entreprise », créatrice de valeurs au sein de l’entreprise et aussi pour d’autres entreprises tiers. Et pourtant, il n’y a pas si longtemps, sa fonction était vue par l’organisation et ses collègues, comme ne créant pas de valeur. Considérée comme faisant partie des effectifs dits “improductifs”. Depuis, l’entreprise a adopté un management et self-management constitutionnel basé sur l’holacratie. Julia a ainsi pu prendre conscience, soutenue par l’entreprise, de sa valeur ajoutée, qu’elle peut et doit créer de la valeur. Le self-management constitutionnel lui permet de se concentrer désormais sur ses zones de talents.. Et, parce qu’elle a pleine conscience de la valeur qu’elle crée, Julia ne se limite pas à l’entreprise qui l’emploie puisqu’elle offre et vend également ses services à des entreprises tiers. Tous les autres rôles dont elle avait jusque-là la charge ont pu être redistribués. De fonction support, elle est devenue une source de création de valeur, en interne et en externe, pour son organisation. Alors que son poste de DRH la cantonnait à un cadre à la fois contraint et pléthorique de tâches, elle se concentre désormais sur ses seuls talents, crée de la valeur dans et hors l’organisation, pour le bénéfice de l’organisation, de tous. Julia a quitté ses atours de fonction support pour endosser ceux de « micro entreprise ». Grâce au management constitutionnel de type holacratie, la création de valeurs est à tous les étages de l’organisation, rôles et cercles.

Responsabilité et leadership

Mais, pour parvenir à ce stade, quelques préalables s’imposent. En premier lieu celui d’une redéfinition de la notion de responsabilité au sein de l’entreprise. Une responsabilité présente et incarnée à tous les niveaux, tendue vers deux objectifs fondamentaux : l’émergence et la consolidation d’une culture de la création de valeur ; l’incarnation des valeurs au sein de l’organisation. Pour ce faire, chacun est invité à s’interroger sur ce qui est, pour lui, pour son rôle, de la création de valeurs. Pour qui ? Quels sont les clients internes ou externes qui profitent de sa contribution ? Quelles propositions de valeur, quels services ou produits sont offerts ? Quel est, au fond, le potentiel créateur de son rôle, sa raison d’être évolutionnaire, ce qui aspire à être ? De quoi ou de qui a-t-il besoin pour y parvenir ?

De même, chacun dans une organisation qui adopte un management constitutionnel, est invité à exercer son leadership en développant l’art du triage que rendent possible les outils et processus de l’holacratie : savoir se prendre en main et se mettre en mouvement, faire des demandes claires, quelle que soit la situation. Surtout, la nouvelle organisation invite chacun à rompre avec le mode de travail “en réaction” associé à l’organisation conventionnelle, où chacun est souvent mû par l’anxiété et le stress causés par les problèmes, s’intéresse aux symptômes plutôt qu’aux véritables enjeux. L’expression “faire son travail” n’a plus de sens. Chacun gère son rôle et ses offres de service (les “redevabilités”) qui y sont attachées, est en capacité de traiter une “tension”, d’identifier et se mettre en mouvement pour combler pas à pas le décalage qui existe entre la situation actuelle et l’idéal recherché. Chacun est invité à développer une vision, une ambition pour combler ce différentiel, est capable de regarder la réalité en face tout en gardant les yeux rivés sur l’horizon. Et plutôt que de se lancer dans une démarche lourde et coûteuse, l’organisation opère sa transformation en s’appuyant sur des collaborateurs devenus leaders et entrepreneurs, qui, chaque jour, progressent selon la stratégie des « petits pas ».

Enfin, la nouvelle organisation démontre toute la puissance que chacun développe en se concentrant sur ses zones de talent, en s’appuyant sur un management constitutionnel et une constitution comme celle de l’holacratie. Chacun est en capacité de modifier la gouvernance de l’entreprise, de faire sauter tous les freins à la création de valeurs qui pourraient entraver ses rôles. Un « super pouvoir » accordé, qui plus est, à tous au sein de l’organisation.

On le voit, dans ces conditions, le social selling est une conséquence possible de la réinvention de l’organisation. Lorsque chacun est aligné sur ses talents et crée de la valeur. Le social selling est un objectif que beaucoup partagent. Mais, pour y parvenir, pensons d’abord à réinventer nos organisations!