L'essor du e-commerce sonne l'heure du return shaming

Pour que le secteur du e-commerce devienne véritablement durable, le sujet de la logistique inversée et de l'impact financier et environnemental des retours colis doivent s'imposer dans le débat.

Le commerce en ligne représentait 66,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, plus de 2,1 milliards de transactions enregistrées et près de 42 millions de cyberacheteurs actifs (FEVAD). Les e-consommateurs sont donc plus nombreux, et leur fréquence d’achat est inversement proportionnelle à la valeur de leur panier moyen. Dans ce contexte de croissance exponentielle se cache une autre réalité, celle du volume des retours.

L’e-commerce présente en effet un taux important de renvoi de produits estimé à environ 10 %, et pouvant atteindre 30 % auprès de certaines catégories de produits comme le textile (ministère de l’Économie et des Finances). Ce serait donc jusqu’à 150 millions de colis à livrer dans le sens inverse, dont 30 millions juste pour la période de Noël.

Ces données forcent à s’interroger sur la réalité et la justesse des motifs de ces retours. Parmi ces produits, certains n’avaient pas la bonne taille, d’autres pas la bonne couleur, ou tout simplement, et peut-être plus préoccupant, l’envie ou l’utilité du produit en question n’était plus d’actualité. Si les retours sont une conséquence naturelle de l’acte d’achat, il convient de prendre conscience de l’impact environnemental de nos comportements d’achats et de nos tendances au renvoi de produits, et de se demander s’il ne serait pas temps de voir le phénomène avec une certaine « honte du retour ». Face à une tendance à l’achat en ligne qui perdure, il est impératif de définir des stratégies durables pour les retours.

Le casse-tête de la logistique inversée

Malheureusement, 77% des consommateurs français déclarent encore renvoyer régulièrement une commande, semblant ignorer les dessous de tout ce trafic superflu de colis.

Il est naturel de se demander comment gérer au mieux ce phénomène et donc organiser, structurer et idéalement, diminuer les flux de retour colis. Pour que le secteur du e-commerce devienne véritablement durable, le sujet de la « logistique inversée » doit s’imposer dans le débat. Sur ce point, les discussions en cours au niveau européen pourraient créer un précédent et rebattre les cartes de la responsabilité.

Une intervention législative semble en effet nécessaire, car seul un changement des comportements d’achat en ligne réduira efficacement l’impact environnemental et sociétal de ce modèle, par ailleurs voué à s’ancrer durablement dans nos sociétés et nos habitudes de consommation.

Plusieurs pistes sont à l’étude :

  • Associer un coût, même symbolique, à la charge du consommateur pour le renvoi des colis

S’il remet en cause l’ordre établi, ce système paraît plus juste. Pour être compétitifs, les e-commerçants prennent souvent en charge les frais de retour dans le cas où le produit ne conviendrait pas. Pour beaucoup, le montant exact de ces charges reste difficile à mesurer, mais d’après une étude OpinionWay, un retour coûte en moyenne 7,60 € juste pour le transport. Ajoutez à cela les coûts qui incombent aux commerçants (contrôle produit, reconditionnement, remise en stock) vous obtiendrez un résultat plutôt proche des 12,50 € par produit retournés, selon nos recherches.

En fixant par exemple une contribution symbolique de 5 € par colis renvoyé, récupérer tout ou partie des frais de retour auprès du client pourrait créer ce rebond de conscience nécessaire à un environnement transactionnel plus harmonieux. Ce seuil de 5 € a d’ailleurs été défini par une étude provenant de l’Université Technique de Delft, selon laquelle la majorité des répondants se déclaraient « neutres » s’ils étaient confrontés à une obligation légale de payer les retours.

La même étude montre que cette obligation participerait effectivement à réduire le volume des retours et donc, l’impact environnemental. Bien sûr, les commerçants peuvent décider unilatéralement de la mise en place de cette mesure, mais il est fort probable que celle-ci soit plus efficace si l’ensemble de l’industrie s’y mettait, voire si la loi l’imposait. Cela permettrait aussi aux e-commerçants de plus petites tailles de préserver leur trésorerie.

  • Optimiser les circuits retour et soigner les conditionnements

Si un retour était malgré tout inévitable, assurons-nous au moins que le parcours effectué par un colis soit organisé intelligemment, en optimisant les points relais et les « routes » empruntées par les produits. Les technologies d’optimisation sont matures et permettent de belles économies d’énergie ! En effet, en remplissant mieux des vans dont les trajets seraient optimisés, il sera possible de transporter plus de colis en moins de trajets et ainsi de réduire notre empreinte carbone. Au-delà, optimisons les consignes sur les emballages : en limitant les « boîtes de boîtes », les volumes de colis diminuent et l’on peut en déplacer plus pour un même espace donné.

  • Continuer d’améliorer la présentation des produits en ligne

Proposer un guide détaillé des tailles, des mesures, des textures peut aider à affûter les choix. Prendre soin de présenter son produit de façon transparente rendra l’expérience plus sereine, apportera de la confiance à la décision d’achat et pourra réduire le volume de retour lié à une description trop vague du produit.

Parallèlement, en demandant les raisons du renvoi ou en identifiant certaines tendances - par exemple, de nombreux retours pour cause de taille trop grande -, le commerçant peut améliorer certains points faibles, mieux communiquer (sur les tailles, donc) et pourquoi pas innover avec de nouvelles matières ou un design plus pertinent pour tout simplement améliorer l’expérience sur son site.

Les enjeux du e-commerce sont trop importants pour laisser s’installer des pratiques peu respectueuses de l’environnement ou de la cohérence des ensembles urbains. En réajustant légèrement les responsabilités de chacun, le régulateur — ou les commerçants eux-mêmes — pourront recréer des conditions favorables au développement d’un modèle durable et ouvert à tous. Mieux analyser les données et/ou instaurer un coût obligatoire sur les retours peuvent s’avérer être des solutions payantes pour rendre ces processus plus durables. De fait, en portant un regard critique sur des facteurs tels qu’une politique de retour décomplexée, nous pouvons faire la différence en matière d’impact sur l’environnement.