Boudé par les Français, le live shopping ne s'avoue pas vaincu

Boudé par les Français, le live shopping ne s'avoue pas vaincu Malgré un réel succès en Chine, la vente de produits par vidéos en direct peine à s'adapter au marché hexagonal. Reste aux commerçants à trouver le modèle le plus rentable.

Il représente des centaines de milliards de chiffres d'affaires en Chine, mais n'arrive pas à faire sa place en France. Le live shopping, vente de produit par vidéos diffusées en direct, est arrivé en France en 2021 durant la crise du Covid-19. Privés d'interaction avec leurs clients, les commerçants y avaient vu le moyen de partager leur expertise produit au travers de vidéos en direct publiées sur leur site e-commerce ou les réseaux sociaux. Deux ans plus tard, les acteurs sont revenus de l'illusion d'atteindre les performances chinoises.

Un taux d'adoption faible

La France est l'un des pays où la proportion d'habitant consommant du live shopping est la plus faible au monde. Selon le baromètre "Future Shopper 2023" publié le 12 octobre par Wunderman Thompson, seulement 25% des e-shoppers français actifs (au moins un achat par mois) ont acheté un produit après avoir regardé un live shopping en 2023. Cette proportion atteignait 35% en 2022, soit une chute de 10 points en l'espace d'un an. Des résultats qui enterrent définitivement les espoirs du live shopping à la chinoise, où 81% des sondés ont acheté un produit lors d'un direct en 2023.

Le live shopping s'est popularisé en Chine à partir de 2015 avec la création du support dédié Tabao Live par Alibaba. Depuis d'autres plateformes, à l'instar de Tiktok Shop, se sont développées face à l'engouement des consommateurs chinois. "Globalement, trois facteurs culturels participent à ce succès, analyse Benoit Cizeron, VP live commerce chez iAdvize. Le pouvoir de prescription des influenceurs, la dimension de divertissement et le niveau de consumérisme en Chine."

"Les maisons mères des réseaux sociaux rêvent d'amener cette dimension "tout en un" des plateformes asiatiques en occident, soulève Nicolas Paolantonacci, directeur de l'unité retail au sein du cabinet de conseil MC2i. Mais force est de constater que l'adhésion par les utilisateurs occidentaux n'est pas tout à fait la même." Meta a développé Facebook Marketplace, l'onglet boutique est apparu sur Instagram et plus récemment ByteDance a annoncé l'arrivée de TikTok Shop en Europe avec une première incursion au Royaume Uni.

"La part d'achat direct sur ces applications ne décolle pas, constate Laurent Thoumine, directeur Europe pour la section retail chez Accenture. La jeune génération, même si elle est influencée dans ces achats par les réseaux sociaux, préfère aller acheter en magasin." En juillet 2022, faute de succès, TikTok a abandonné son projet de shopping en direct en France. Sans support adapté, proposant une expérience d'achat fluide, les retailers français ont développé un modèle de live shopping affranchi des réseaux sociaux. "Sur les réseaux sociaux, il est très compliqué de capter une audience pour ensuite l'inciter à quitter le live et finaliser sa transaction sur un site e-commerce", justifie le VP live commerce de iAdvize.

Les modèles français

Faute de plateformes dédiées, la grande majorité des sessions sont diffusées sur le site e-commerce des enseignes françaises. "Si votre objectif est de capter une audience, il faut aller sur les réseaux sociaux. Par contre si votre objectif est de conduire à des ventes, vous limitez votre live à votre site marchand et votre expérience d'achat se fait en un clic", résume Benoit Cizeron. Carrefour, Micromania, Fnac, Etam, Leroy Merlin, Cabaïa… Tous proposent des lives shopping sur leur site.

Mais, alors que certains voient le live shopping comme un pont entre le magasin et l'e-commerce à utiliser quotidiennement pour donner rendez vous à une audience, d'autres plaident pour un outil d'animation commerciale à utiliser avec précaution. "En réalité, vous n'avez pas plus de dix occasions par an de faire un live très performant, selon le vice-président live commerce chez iAdvize." Selon cette logique, il doit réunir trois conditions : l'exclusivité (lancement d'un produit ou remise exceptionnelle), le timing (organiser la session à une heure et un jour stratégique) et l'interactivité avec les spectateurs. "Les marques sont très fortes pour présenter leur produit mais il faut aussi qu'elles apprennent à écouter, comprendre les attentes et lever les objections des clients", ajoute Benoit Cizeron.

Avec cette recette, une DNVB peut s'attendre à réunir entre 600 et 1 000 spectateurs. Pour les grandes marques, comme Orange ou Samsung, l'audience peut atteindre 1 000 à 2 000 participants et un bon live peut dépasser les 4 000 spectateurs. Une audience qui a un coût : "le budget pour ce type de live shopping débute à 6 000 euros et peut dépasser 15 000 euros, sans compter les achats média", confie Philippe Bernard de Jandin, PDG et fondateur de Made in Live. "Sur son premier live, So'Cup a obtenu des résultats époustouflants avec un chiffres d'affaires de plus de 23 000 euros et un taux de conversion de 20%."

A l'inverse de la stratégie iAdvize, Redpill Live ne veut pas événementialiser le live mais le démocratiser. "La pratique n'était accessible que pour les grands acteurs, car il fallait monopoliser beaucoup de moyens", pointe du doigt Manon Lalanne, directrice générale de la solution. Redpill Live propose un logiciel SaaS à utiliser en autonomie et peu onéreux : 350 euros pour une session unique ou un abonnement mensuel à 1 000 euros. Avec cette formule, le live peut être pris en charge par un ou deux salariés et s'intégrer dans le quotidien des équipes. Parmi ses clients, l'entreprise compte Marionnaud, Couteaux du Chef ou encore CFC croisières.

"La plupart des marchands n'ont pas beaucoup de trafic sur leur site, les gens viennent pour acheter et non pas consommer du contenu, estime Manon Lalanne. Donner des rendez-vous très récurrents sur une période donnée permet de créer une audience naturelle sans campagne de communication." Néanmoins, l'entreprise commercialise une offre sur mesure, plus "événementiel", moyennant 5 000 euros pas session. Toutes formules confondues, la solution observerait une audience moyenne de 3 000 à 4 000 visiteurs uniques et un taux de transformation se situant entre 15 et 30%.

Mais la pratique ne semble pas se généraliser.  Pour Florimond de Tinguy, VP France de Vtex, le problème n'est pas le format mais bien les intervenants : "Le live shopping marchera à partir du moment où on aura identifié les bons influenceurs pour vendre le produit", conclut-il.