"Dupes" : pourquoi les marques ne peuvent plus se contenter de détourner le regard
Les dupes banalisent l'imitation. Les marques doivent prouver leur valeur : protéger, relier, prolonger l'expérience. Un dupe s'achète. Un original se vit.
Le “dupe” a longtemps été traité comme un épiphénomène : une tendance TikTok, un jeu d’imitation sans conséquence réelle. Mais ce qui semblait relever du clin d’œil est en train de devenir un contournement systémique. Et pendant que les marques observent ce mouvement d’un œil las ou résigné, elles perdent bien plus qu’un peu de chiffre d’affaires : elles perdent leur pouvoir culturel.
Dupe n’est pas contrefaçon, mais le résultat est parfois pire
Il faut commencer par clarifier. Un dupe n’est pas une contrefaçon.
La contrefaçon est illégale, parce qu’elle reproduit de manière frauduleuse la marque, les logos, le packaging, pour tromper le consommateur. L’impact est réel : selon l’EUIPO, la contrefaçon coûte chaque année 6,7 milliards d’euros à l’économie française et menace près de 40 000 emplois. Le dupe, lui, est légalement flou mais visuellement clair : il s’inspire ostensiblement d’un produit existant (forme, style, code couleur), sans en reprendre l’identité de marque.
L’un trompe volontairement, l’autre copie “dans les limites”. Mais sur le terrain de l’attention, la différence est de moins en moins perceptible. Et pour une partie du public, cela revient au même : « pourquoi payer plus, si je peux avoir presque pareil pour dix fois moins cher ? »
Une influence désormais aux mains des imitateurs
Le phénomène est tout sauf marginal. En 2024, le hashtag #dupe a dépassé les 6,5 milliards de vues sur TikTok. Des créateurs de contenu spécialisés dans l’analyse de dupes revendiquent des communautés plus puissantes que bien des marques établies. Leurs vidéos comparatives, souvent biaisées imposent l’idée que la différence entre un produit d’exception et sa copie approximative ne justifie plus l’écart de prix.
Et pendant que les marques investissent des millions en campagnes d’image, ce sont les dupes qui dictent les nouvelles règles de la désirabilité perçue. Elles n’expliquent plus pourquoi l’original compte. Elles laissent les imitateurs occuper l’espace du récit.
Le vrai coût de l’approximation
Acheter un dupe, ce n’est pas seulement faire une bonne affaire : c’est adhérer à une logique de simplification extrême, où l’apparence prévaut sur l’expérience, le style sur la substance, et le “presque pareil” sur l’unique. Les dupes ne sont pas des hommages : ce sont des parasites culturels. Ils prospèrent sur le prestige d’autrui, récupèrent des codes sans en assumer ni l’histoire, ni l’exigence, ni le prix.
Pour les nouvelles générations, les marques risquent de devenir des sources d’inspiration désincarnées. Quand viendra l’acte d’achat, l’option dupe paraîtra suffisante, voire plus cohérente, si les marques n’ont pas su expliquer pourquoi elles valent davantage.
Ce n’est pas une exagération : les clients des dupes ne sont pas ceux du luxe aujourd’hui, mais ils pourraient l’être demain. Or s’ils grandissent dans un écosystème où l’imitation devient la norme, l’original deviendra l’exception et avec lui, toute la force symbolique, culturelle et relationnelle que les marques ont mis des décennies à bâtir.
Le silence n’est pas stratégique, il est dangereux
Beaucoup de marques choisissent de ne pas réagir. Elles estiment que s’attaquer aux dupes serait donner de l’importance à un segment qui n’est pas le leur. Que leurs clients ne se laisseront pas influencer. Que ces publics sont différents.
Mais ce raisonnement ignore une réalité stratégique : ce sont les marques qui inspirent les dupes, mais ce sont les dupes qui forment désormais les représentations. Et si ces représentations dominent, alors elles finiront par modeler le marché. Les marques n’y perdront pas seulement des parts de voix, mais des générations de clients.
À force de se taire, elles laissent penser qu’elles n’ont pas de réponse. Et qu’une copie peut être “assez bien” pour ne plus avoir besoin de l’original.
Reprendre le récit, avec la preuve et l’expérience
Réagir ne signifie pas s’indigner à chaque imitation. Cela suppose de réaffirmer activement ce que la marque seule peut offrir. Aujourd’hui, cette réaffirmation passe par la capacité à prouver ce qui distingue l’original, mais aussi à prolonger son histoire au-delà du point de vente.
Certaines marques comme Isabel Marant ou Ligne Roset, intègrent déjà des certificats digitaux embarqués et sécurisés, via QR code ou puce NFC. Ces identifiants uniques permettent non seulement de garantir l’authenticité d’un produit à l’achat, mais aussi d’activer une expérience post-achat continue. Loin d’un simple outil de traçabilité, ces dispositifs deviennent des canaux directs entre la marque et son client final.
Ils permettent de connaître le parcours du produit, même en cas de revente. De proposer des services exclusifs (entretien, réparation, garantie, revente certifiée) et de créer un lien éditorial ou relationnel avec des contenus dédiés. Et surtout, ils donnent au client le sentiment d’appartenir à une communauté où l’original ne se contente pas d’être vrai : il se prolonge.
Face à un dupe, on achète un objet isolé. Avec un original, on entre dans un univers.
Et c’est précisément cette continuité, cette capacité à créer une relation différenciante, que les marques doivent revendiquer comme preuve de valeur.
Il ne s’agit plus d’observer. Il faut décider.
Le sujet des dupes n’est pas une anecdote TikTok ni un débat de niche. C’est un signal faible devenu fort, qui interroge la capacité des marques à défendre leur singularité, à expliquer leur valeur, à entretenir une relation exigeante avec leurs clients. Laisser faire, c’est laisser les règles du marché évoluer sans y participer.
Les marques n’ont pas à s’adresser aux clients des dupes. Elles doivent s’adresser à leurs propres clients et leur prouver, de manière visible, concrète, continue, pourquoi l’original mérite leur choix. Cela suppose de sortir du silence, de s’outiller, de repenser l’expérience post-achat. Car aujourd’hui, défendre l’authenticité ne suffit plus : il faut la rendre incontestable.