Korleon'Biz, grandeur et décadence d'un parrain du web français

Korleon'Biz, grandeur et décadence d'un parrain du web français Le 27 septembre, Julien Jimenez a annoncé la liquidation de son entreprise. Un choc dans le milieu du SEO qui n'a en revanche pas surpris ceux qui l'ont côtoyé de près.

Dans la communauté française du SEO, le 27 septembre 2023 fera date. Ce jour-là, Julien Jimenez, superstar du milieu, annonce sur Twitter la liquidation de son agence de référencement Korleon'Biz et de sa filiale NextLevel.link, célèbre plateforme de netlinking et de vente de sites Internet. Une bien mauvaise nouvelle pour les vendeurs de liens qui se plaignaient d'impayés depuis plusieurs mois, pour des sommes allant de quelques centaines à plusieurs dizaines milliers d'euros. Mais aussi pour les clients, craignant que les liens achetés cessent d'être opérationnels.

Le 27 septembre, Julien Jimenez annonce sur Twitter la liquidation de Korleon'Biz. © Twitter - Julien Jimenez

Un peu plus d'un mois après ce petit séisme, l'agence SEMJuice a annoncé le 6 novembre le rachat de la plateforme NextLevel.link pour 100 000 euros. "Etant donné la puissance de la marque, c'est une excellente affaire", se félicite Nicolas Mercatili, CEO et cofondateur. "Le liquidateur m'a confié que le total d'impayés atteignait plusieurs millions d'euros. Il y a dû avoir des erreurs de gestion en interne car la plateforme est de très bonne qualité et la société a tout de même réalisé 4,7 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2022".

Mentions légales à l'étranger

Des erreurs de gestion qui ont contraint Korleon'Biz à vendre ses sites Internet les plus visibles, et donc les plus bankables, à de mystérieuses sociétés. Rien de très surprenant, a priori, étant donné que l'entreprise était au bord du gouffre. Pourtant, dans le milieu SEO, la vente de ces sites interroge : "Ces sites peuvent coûter jusqu'à 150 000 euros alors que les sites poubelles n'ont pas été vendus ", souligne un professionnel.

L'un d'entre eux, breakingnews.fr, vendu quelques jours avant la liquidation, possède à ce jour des mentions légales renvoyant vers Digital Marketing L2 Web SL, une société espagnole basée à Malaga avec un directeur de publication domicilié au Venezuela. Un acheteur qui peut paraître étonnant, sauf si l'on s'appelle Julien Jimenez. En 2021, Korleon'Biz se félicitait d'avoir "monté et vendu" deux autres sites Internet : tekpolis.fr et objeko.com. Le premier d'entre eux appartient désormais lui aussi à Digital Marketing L2 Web SL, avec un autre directeur de publication résident lui aussi du Venezuela et après être passé entre les mains d'une société portugaise propriété de l'actionnaire de Digital Marketing L2 Web SL (vous suivez ?). Objeko.com est de son côté détenu par une autre société espagnole - avec cette fois un directeur de publication situé au Pérou - mais après avoir transité lui aussi par la société portugaise. Un réseau qui se connait donc bien.

Nous sommes parvenus à contacter le propriétaire français de Digital Marketing L2 Web SL. Celui-ci, qui nous a immédiatement menacé de diffamation si son nom apparaissait dans l'article, a assuré que la transaction s'était avérée parfaitement classique (sous-entendu sans aucune ambiguïté). Une confession certainement pas suffisante pour mettre fin à la méfiance de la communauté SEO, dont certains membres estiment que Julien Jimenez, qui cherchait à vendre sa villa avec piscine fin 2023, a "préparé sa sortie". Le fait que ce dernier tente, une semaine après la liquidation, d'acheter un outil destiné à améliorer ses performance sur Google Discover fait jaser un peu plus.

Julien Jimenez tentant de se procurer un outil Discover après la liquidation de Korleon'Biz. © Twitter - Antoon

Sans doute que Julien Jimenez avait une bonne raison d'acheter un tel outil. En effet, le jeune homme de 35 ans n'en a pas fini avec le SEO et continue son activité d'éditeur de sites. Plus par l'intermédiaire de Korleon'Biz. Mais avec une société localisée en Espagne, également à Malaga, qui possède étonnement la même adresse que Digital Marketing L2 Web SL. Cette nouvelle société, baptisée Amanecer Media International SL, a été enregistrée en novembre. Elle est déjà propriétaire d'au moins cinq sites. L'un d'entre eux appartenait  à une ancienne employée de Julien Jimenez quelque jours avant la liquidation. 

Julien Jimenez continue son activité d'éditeur de sites avec une nouvelle société localisée en Espagne. © Bulletin officiel du registre du commerce, province de Malaga

Si la liquidation de Korleon'Biz suscite autant d'interrogations, c'est parce que son fondateur est réputé pour ses extravagances. Pour en savoir davantage sur le personnage, le Journal du Net a contacté directement Julien Jimenez, qui n'a pas répondu. Nous avons interrogé une vingtaine de personnes issues de la communauté SEO, un petit monde où les légendes et les bruits de couloir autour de l'ancien dirigeant de Korleon'Biz ne manquent pas. Une partie du milieu l'idolâtre et se rue aux formations et conférences qu'il délivre en grande pompe. Une autre, plus importante, le craint fortement. Pour preuve, la totalité des personnes interrogées dans le cadre de cet article a souhaité témoigner anonymement. "Julien Jimenez, c'est vraiment le règne de la terreur." "La dernière fois que j'ai critiqué Korleon'Biz sur Twitter, il m'a expliqué dans la foulée qu'il allait détruire mon business", nous a-t-on confié. Une menace rendue crédible par les rumeurs qui entourent le personnage : "Apparemment il a un ami chez Google Ads qui peut nuire à nos activités respectives. Beaucoup ont peur des représailles…"

L'intriguant Jimmy Pochon

Malgré la peur, plusieurs anciens employés de Korleon'Biz ont accepté de témoigner anonymement. L'un d'entre eux s'est dit victime "de harcèlement moral" et de "menace de violence physique" après avoir annoncé à Julien Jimenez son départ de l'entreprise. De peur que les ex-membres de l'agence finissent par dévoiler des pratiques douteuses ? Celles-là même qui ont précipité la chute de Korleon'Biz ?

D'après les confidences des anciens employés, à partir de l'été 2021, la société a envoyé des virements de plusieurs centaines de milliers d'euros à un certain Jimmy Pochon, gérant d'une entreprise spécialisée dans la vente en ligne d'objets et d'équipements du foyer (d'après Societe.com). Des transactions censées correspondre à l'achat de sites Internet destinés à être revendus sur la plateforme NextLevel.link. Mais plusieurs éléments suggèrent que ces virements avaient une toute autre destination. "Aucune personne de l'équipe n'a vu la moindre trace de ces sites", assure un de nos témoins. Certes, Julien Jimenez, avec sa "gestion bordélique", aurait pu réaliser ces achats sans informer le reste de l'équipe. Une hypothèse vite balayée :  "Bizarrement les factures ne mentionnaient aucun nom de site. Surtout, nous n'avons jamais constaté le moindre retour sur investissement". Ni "revenu généré par la revente de ces sites", ni "aucun argent tiré par la vente de liens" qui auraient pu être placés sur ces nouveaux sites.

Pas de retour sur investissement alors que les montants sont loin d'être négligeables. "Korleon'Biz a envoyé plus d'un million d'euros à Jimmy Pochon. Même notre meilleur partenaire ne prenait pas le dixième de ce qu'il a touché". De quoi susciter l'étonnement des anciens employés quand Jimmy Pochon, qui vendait régulièrement sur NextLevel.link des liens placés sur son site de vente d'équipements du foyer, "s'est plaint de 200 euros d'impayés" quand les difficultés financières sont apparues. Leur surprise a été encore plus grande quand certains créanciers de Korleon'Biz, qui se sont également plaint d'impayés, ont été "remboursés par Jimmy Pochon".

Contacté par téléphone, Jimmy Pochon ne nous a jamais répondu. Selon plusieurs personnes interrogées, celui-ci aurait déposé une main courante contre l'ancien dirigeant de Korleon'Biz. Un de ses proches nous a confié que Julien Jimenez l'avait "manipulé psychologiquement pour utiliser son compte bancaire". "Il n'a rien fait de mal, si ce n'est d'avoir été faible et influençable". Une hypothèse plausible selon un ancien membre de Korleon'Biz : "La manipulation, ça ressemble bien à Julien".

Jimmy Pochon n'est pas le seul à avoir voué une confiance aveugle à celui qui se présente comme un autodidacte du SEO. Il faut dire que Julien Jimenez n'est pas le dernier pour vanter ses mérites, que cela soit par le biais de formations, de vidéos YouTube, de conférences ou de tweets à destination de ses 11 000 abonnés. Il n'hésite pas à faire le spectacle, comme la fois où il a recruté un nouvel employé dans un kebab. Ni à faire fi des conventions, comme embaucher un comptable... qui n'a jamais fait de comptabilité. Sa communication l'a propulsé au rang de star du SEO français.

"Même à mes proches je n'aurais pas prêté autant d'argent"

Un statut qui lui a conféré un ascendant psychologique auprès de certains membres de sa communauté. Au point de solliciter ces derniers pour des prêts d'argent, parfois sous forme de cryptomonnaie. L'un d'eux se confie : "Je lui ai prêté l'équivalent de 2 000 euros en bitcoins. En échange, il devait me donner des crédits NextLevel.link". Une promesse qui ne sera jamais tenue. Heureusement pour Julien Jimenez. Car utiliser les ressources de son entreprise pour obtenir un avantage personnel "est une infraction pénale", rappelle Claire Poirson, avocate chez Firsh. "Il a fini par me rembourser en euros après mes innombrables relances. Je lui vouais une confiance aveugle. Même à mes proches je n'aurais pas prêté une telle somme".

Hormis les prêts en cryptomonnaie, Julien Jimenez a sollicité ses admirateurs pour se faire prêter des grosses sommes d'argent, pouvant atteindre des dizaines de milliers d'euros. Ceux qui acceptaient avaient deux options. Soit envoyer l'argent sur le compte bancaire de Korleon'Biz, une pratique qui nécessite l'établissement d'un contrat de prêt. Soit sur un compte Wise localisé en Belgique. Parfois, une place à l'une de ses formations SEO était proposée en guise de remboursement. Julien Jimenez prétextait les difficultés financières de son entreprise pour obtenir ces prêts. Mais une rumeur - une de plus à son égard - fait de lui une personne endettée par les jeux d'argent. D'après un ancien employé de Korleon'Biz, l'entreprise a "envoyé plus de 30 000 euros à deux joueurs de poker allemands, soi-disant pour leur acheter des sites".

Les demandes de prêt se sont multipliées... © JDN

Une combine qui rappelle l'épisode Jimmy Pochon. Et qui montre que Julien Jimenez ose à peu près tout. Dans le groupe Skype de l'entreprise réservé aux hommes, il ne se prive pas pour se moquer d'une de ses employées via des allusions sexuelles. Des commentaires qui ne se limitent pas à la sphère privée. Lors de jeux organisés dans le cadre d'un séminaire, les salariés devaient lever la main s'ils "fantasmaient sur un collègue" ou s'ils "avaient déjà fait un plan à trois". 

Une conversation sur un groupe Skype de l'entreprise. © Skype

Julien Jimenez ne s'interdit rien. Aussi bien avec ses employés qu'avec ses clients. "Je lui ai acheté des liens sur des sites qu'il présentait comme très visibles. Je me suis ensuite rendu compte que les sites venaient d'être créés", témoigne un ancien client de NextLevel.link.

Un de ses anciens employés explique que Julien Jimenez ne s'est pas toujours cru "tout permis". Quand il crée Korleon'Biz en 2009, il n'a que 20 ans. "A l'époque, il avait certes des techniques commerciales agressives mais il ne faisait rien d'illégal à ma connaissance." Son ex-femme, qui a travaillé plusieurs années à l'agence, a longtemps réussi à le contenir. Mais à son départ de l'entreprise, début 2022, il a "vrillé". Un véritable virage… avant la sortie de route.