A Paris, un projet smart grid avare en résultats mais riche en leçons
Dans l'éco-quartier Clichy-Batignolles, la ville n'a pas réussi à tenir ses objectifs de consommation énergétique, mais s'est dotée de précieux outils pour ses prochains projets.
Entre les ambitieux objectifs environnementaux d'une ville et leur mise en musique par ses prestataires, il y a un monde. C'est pour tenter de mettre fin à cette situation que Paris s'est lancée pendant trois ans dans le projet smart grids CoRDEES, dont elle tire un premier bilan public ce 4 octobre, avec la publication d'un rapport détaillé sur cette expérimentation. Retour en arrière. En 2017, les premières constructions de l'éco-quartier Clichy-Batignolles (XVIIe arrondissement) sortent de terre. Et avec eux de premières évaluations de leur consommation énergétique, sur laquelle la mairie s'était fixé des objectifs très élevés (50 kWh par mètre carré par an). Déception. "Nous étions bien en-dessous", raconte Sabine Romon, responsable du pôle innovation de la ville de Paris.
La mairie cherche alors les raisons de cette situation et des solutions pour y remédier. Elle décide de lancer un projet de collecte de données de consommation énergétique, épaulée par des chercheurs des Mines ParisTech et Embix, filiale de Bouygues spécialisée dans la performance énergétique, avec le soutien de fonds européens. Première étape : la pose de capteurs, aussi bien sur différents nœuds des réseaux de chaleur et d'électricité pour analyser la consommation globale que dans les logements d'habitants volontaires pour l'affiner au niveau des foyers. Ces données ont ensuite été remontées sur une plateforme analytique, qui permet notamment de fournir aux foyers des informations sur leur propre consommation.
Chauffage détraqué
"Nous nous sommes rapidement rendu compte qu'il y avait un problème au niveau du réseau partagé de chaleur par géothermie. Plusieurs sous-stations installées dans les différents bâtiments du quartier étaient mal réglées", explique Sabine Romon. C'est l'un des problèmes des réseaux d'énergie partagés dans ce genre de quartiers mêlant bureaux, logements sociaux, copropriétés et commerces : les gestionnaires de chaque bâtiment sont responsables d'un nœud du réseau. Mal géré, un seul d'entre eux peut détraquer la consommation de l'ensemble du quartier.
Le dernier objectif du projet a donc été de développer une gouvernance énergétique en réunissant toutes les parties prenantes ayant une influence sur la consommation dans le quartier. Notamment pour s'assurer de la conformité des installations et de leur optimisation. Mais pour l'instant, ces acteurs ont refusé de prendre des engagements chiffrés pour respecter les objectifs initiaux de consommation, arguant qu'ils ne sont pas forcément maîtres de la consommation effective (comportement des habitants ou des clients). Pas facile de mettre d'accord différentes couches du mille-feuille immobilier aux intérêts variés, entre ceux qui construisent, ceux qui vendent, ceux qui gèrent et ceux qui habitent ces logements.
De nouvelles compétences
La ville a toutefois tiré plusieurs enseignements de cette expérimentation, qui seront mis en pratique dans un autre projet d'aménagement à Saint-Vincent-de-Paul (XIVe arrondissement). D'abord, il faut désormais obliger dès le départ, au moment de la rédaction du cahier des charges, les différentes parties prenantes à s'engager sur des niveaux de consommation. Et prévoir dès la conception des bâtiments une batterie de capteurs qui viendront vérifier le respect de ces engagements. Paris s'est aussi dotée de nouvelles compétences de modélisation et de simulation. "En ajoutant des consommations réelles à un modèle alimenté par des données macro comme celles de l'Insee, nous sommes capables avec assez peu de nouvelles données de simuler l'influence de différentes actions (travaux, conseils aux habitants…) sur la consommation énergétique d'un quartier", détaille Sabine Romon.
Alors que le projet CoRDEES s'achève fin octobre, Paris et ses partenaires souhaitent poursuivre l'expérimentation un an de plus. Pour ce faire, ils vont créer une association. Elle devra notamment poursuivre ses analyses sur un plus grand échantillon de données (des bâtiments sortent encore de terre cette année), et sur la production d'électricité photovoltaïque de certains bâtiments, peu étudiée jusqu'ici. Il faudra également mener une réflexion sur le statut juridique et le modèle économique d'un futur facilitateur énergétique, qui devra reprendre les missions de supervision de l'association dans de futurs projets.