Gilles Charest (Sociogest) "L'entreprise numérique implique un nouveau mode de gouvernance"

Lors de la prochaine conférence de l'itSMF France, le consultant décryptera l'apport de la gouvernance sociocratique dans la transformation informatique. Il nous fait part de sa réflexion.

JDN Solutions. En tant que consultant en management, vous avez conceptualisé la notion de gouvernance sociocratique. Quelle est cette démarche ?

GIlles Charest. C'est un mode de gouvernance qui favorise la coopération en changeant les règles du jeu des organisations. Il part du constat que la structure hiérarchique traditionnelle, qui repose sur un rapport dominant-dominé, est adaptée à l'application des décisions, mais pas à la prise de décision. La gouvernance sociocratique prône la mise en place d'un second mode d'organisation à travers lequel toutes les personnes concernées par une décision ont la possibilité d'émettre un avis. L'idée est de faire le point sur l'ensemble des objections des parties prenantes, et en fonction de cela d'affiner la proposition avec pour objectif de dépasser tous les obstacles éventuels à sa mise en application.

Cette démarche présente pour avantage de glaner tous les points de vue. L'idée n'est pas d'aboutir à un consensus et un accord de tous, mais plutôt de définir une solution consentie qui au final n'engendre plus aucune objection. Pour la mettre en place, nous recommandons la création de cercles de personnes avec des objectifs communs, et qui seront impliquées dans l'application de la décision finale. La dimension humaine est ainsi remise au centre de l'organisation. Cette implication permet en effet à tout individu de se sentir appartenir au système, ce qui est aussi une valeur importante y compris pour la santé des personnes. De ce point de vue, la sociocratie a aussi une dimension politique puisqu'elle propose une nouvelle manière de travailler ensemble. Elle pourrait d'ailleurs inspirer de nouveaux modes démocratiques, plus directs, dans nos sociétés où le citoyen se sent parfois de plus en plus départi du pouvoir.
 

Le revers de la médaille, c'est qu'une telle démarche prend du temps. Mais, une fois une décision arrêté, la mise en œuvre est beaucoup plus rapide, puisque les problèmes ont été en grande partie anticipés. Il y a un temps pour décider et un temps pour agir. Cette seconde étape doit donc être appliquée quant à elle en s'adossant au système hiérarchique pyramidale qui, lui, reste naturellement bien adapté à la définition et l'exécution d'un plan d'action. Nous estimons au total le gain d'efficacité entre 20% et 30%.

"Comme la sociocratie, les méthodes agiles mettent en valeur l'intelligence des utilisateurs"


Ce mode de gouvernance est-il adapté aux projets de transformation informatique, et plus globalement à l'accompagnement de l'émergence de l'entreprise numérique ?

Il l'est notamment dans la mesure où les chantiers de transformation informatique impliquent souvent des modifications profondes dans les processus métier.
 

Sur le terrain informatique, force est de constater aussi que l'esprit des méthodes agiles est assez proche de la logique de la gouvernance sociocratique. Elles sont en effet basées sur une coopération entre les équipes de développement et les clients finaux, dans un rapport rapide et direct. L'agilité donne donc aussi du pouvoir au client final, et mise sur son intelligence pour trouver les bonnes solutions. Cette logique est donc très comparable.

Les réseaux sociaux d'entreprise ne sont-ils pas finalement des solutions idéales pour outiller une telle gouvernance ?

Les réseaux sociaux d'entreprise permettent en effet de créer des espaces à travers lesquels on peut prendre des décisions dans une logique horizontale, et qui cassent les frontières entre les différents départements d'une organisation. Mais, on note que beaucoup de processus métier reposant sur le système d'information sont également horizontaux, et transverses à plusieurs services de l'entreprise.
 

Sur ce plan, il faut faire bien attention, et ne pas négliger la structure verticale de l'organisation qui demeure pertinente pour exécuter les décisions prises. Dans le système pyramidal, les responsables doivent faire preuve de qualité de leader. En amont, dans notre dispositif de prise de décision par cercles, ils doivent être capables d'animer et de prendre en compte les objections dans la formalisation de la décision. Il est par conséquent important de réconcilier les deux structures. La méthode que nous avons évoquée, et les cercles de décision, peuvent permettre justement d'œuvrer à cette réconciliation.

Gilles Charest est canadien et travaille comme conseiller en entreprise depuis 1971. Il est président de Sociogest, un bureau de conseillers en développement des organisations. Il occupe le poste de directeur de l'éducation au Centre mondial de sociocratie. Depuis 2003, il dirige l'École Internationale des chefs qui fait la promotion de la sociocratie dans le monde.