La revanche des SourceForgeurs !

Qui aurait parié il y a quelques années sur ces illuminés, ces geeks qui semblaient plus bidouiller qu’autre chose et dont les choix technologiques semblaient plus être le résultat de choix par défaut que le fruit d’une stratégie !

Le monde de l'open source était, il n'y a pas si longtemps, davantage vu plus comme la solution gratuite de ceux qui n'avaient pas de moyens que comme une approche sérieuse. Cette approche suscitait par ailleurs un certain scepticisme quant à sa viabilité économique.

Je me souviendrais toujours de ma toute première mission en entreprise où j’agissais en tant que freelance pour le compte de la filiale d'un énorme groupe de distribution spécialisée. Il était question de déployer une solution de reporting  pour cette filiale gérée en spinoff dans la mesure où elle avait son propre P&L (compte d'exploitation) et donc pas de DSI en propre et un système d'infirmation assez rudimentaire et peu de moyens de pilotage.

Après une analyse des solutions, j'en ai conclu que la solution la plus conforme au besoin était articulée autour d'un ETL Talend (open source). Donc en toute bonne foi, je me suis présenté devant la DSI du groupe qui bien entendu devait valider le projet à l'aune des technologies, de la stratégie SI, et de l'architecture que je proposais !

Et là ce fut la surprise… probablement réciproque : quoi ? vous voulez déployer un outil open source ? C'est un truc pour les étudiants ! Si les solutions ne sont plus suivies ou maintenues ? N'est-ce pas pour vous une bonne façon de nous enfermer dans une technologie que vous serez le seul à maitriser ? Qu'en est-il de la sécurité ? Vous vous rendez compte que nous traitons des volumes importants et que nous ne pouvons pas nous permettre de bidouiller.

Bref, la DSI n’a pas vraiment adhéré mais je me suis obstiné malgré la résurgence régulière de ce type de réaction. Il faut dire que j'avais déjà au cours de mon stage de fin d'études goûté à cette philosophie, oui car c'est bien une philosophie qui m'a totalement séduit et non la facilité ou la gratuité. J'avais donc largement abordé les technologies LAMP en déployant un CMS OsCommerce (pour un site d'e-commerce dans une PME lilloise).

J'y avais trouvé un mode de fonctionnement et un état d'esprit dans des solutions comme GNU, Apache, Linux, Copyleft, X11, SourceForge… où chacun pouvait profiter des solutions de tous et faire profiter tout le monde de ses avancées. Il était possible de le faire gratuitement ou non ! Et surtout, un code source pouvait évoluer vers quelque chose de complètement différent de ce pourquoi il avait été conçu, il pouvait emprunter une toute autre voie !! On appelle cela un Fork ou un Spork, c'est pratiquement du darwinisme informatique et ça, c'était pour moi quelque chose de fascinant !!

Ce monde de l'open source n'était pas antinomique avec le monde des affaires, il ne présentait pas de véritable dichotomie avec le monde des éditeurs plus classiques, mais l'orthodoxie au sein des services SI le faisait percevoir comme tel !  L'open source était le plus souvent méprisé ou au mieux relégué au rang d'alternative douteuse.

C'est d'abord l'émergence d'Internet focalisé sur le fonctionnel qui a donné sa chance au logiciel libre. En effet, dans la bataille que se sont livrées les différentes fonctions de l'entreprise pour la gouvernance digitale, c'est la fonction marketing qui dans la plupart des cas l'a emporté ! Aujourd'hui, les webmasters sont devenus directeur E-commerce, Chief Digital Officiers ou directeur digital, et sont le plus souvent issus des fonctions marketing ; or les technologies open source offrent une philosophie parfaitement adaptée aux résolutions de besoins fonctionnels !

En effet, les approches open source sont le plus souvent top down, autrement dit, elles partent d'une ou plusieurs fonctionnalités puis traitent les problématiques environnantes (sécurité, SLA, compatibilités, effets de bords... ), dans un second temps et parfois en combinant plusieurs sources.

Les approches bottom up qui, elles, partent de l'existant sont souvent plus sclérosantes.

Outre le développement massif de certaines technologies autour des besoins de fonctions digitales, ce sont des compagnies entières qui ont commencé à exister sur la base de cette philosophie.

Ces entreprises, qui ont compris que la valeur était dans l'utilité et non dans la complexité, sont parties d'un besoin fonctionnel dont elles ont fait émerger des freins technologiques qu'il a fallu résoudre.

Les fondateurs de Google souhaitaient répondre à un besoin, voire à un rêve :  fournir le meilleur moteur de recherche du monde. Et ils savaient qu'ils pouvaient l'offrir aux utilisateurs, car lorsque l'utilité est importante il se trouve toujours quelqu'un pour payer ! Mais pour réaliser leur rêve, il fallait pouvoir analyser une quantité monumentale de données.

Or les fondateurs de Google étaient universitaires, à Stanford en Californie, là où ont émergé certains formats de licence open source comme BSD (Berkeley Software Distribution) ainsi que le modèle MapReduce qui offrait une solution à leurs contraintes.

Ces nouvelles entreprises ont fortement contribué au développement de l'open source, et s’il reste aujourd'hui quelques réfractaires, la tendance semble s'inverser !

Les frontières tendent à disparaitre, Java et MySQL appartiennent à Oracle par l'intermédiaire de Sun Microsystems et restent open source, le framework Eclipse est confié par IBM à la fondation Eclipse. Le SGBD NoSQL Cassandra, développé initialement par Facebook,  est confié à la fondation Apache et devient open source, et même Darwin, le noyau du système d'exploitation d'Apple (proche de Linux), est ouvert puisqu'il est en licence BSD…

Toutefois, beaucoup s'improvisent désormais apôtres de l'open source sans forcément en saisir la philosophie ! Il est en effet de rigueur de parler de Github (le descendant de SourceForge), d'ajouter à son éventail de compétences, Spark, Hadoop, Cassandra, R ou Python, mais cela ne suffit pas à préserver le véritable état d’esprit de l’open source.

Le secret c'est cette mentalité de 'haker' qui consiste à imbriquer du code, à trouver les bonnes idées, à réécrire, à détourner, à être convaincu que la rétention d'information ou de compétence technique n'a aucun intérêt sortie d'un contexte et qu'une idée utile vaut mieux que toutes les innovations inutiles !

Récemment, je discutais avec le Chief Digital  Officer d'un énorme groupe du CAC40, ancien GAFA, et alors que nous parlions d'innovation technique, il me demandait ce qui selon moi était une innovation dans Instagram.

Force est de constater que c'est juste une bonne idée correctement mise en musique. La technique, l'innovation ou la data ne sont que les auxiliaires, les moyens de  faire émerger cette idée.

Ne nous trompons donc pas de débat, le succès que rencontrent aujourd'hui l’uberisation ou plus généralement tout procédé disruptif, résulte d'un état d'esprit qui a germé dans l'esprit de quelques illuminés à la fin des années 70 en Californie et dont l'un des fruits s'appelle open source.