Comment Oracle tente de retenir ses clients du Cac 40
Le dialogue semble bel et bien renoué entre Oracle et ses grands clients français. Pourtant, ce n'était pas gagné d'avance. Le torchon brulait depuis l'été dernier. En juillet, le club numérique des grandes entreprises françaises (Cigref) avait pointé une "dégradation" des relations entre le groupe américain et ses entreprises utilisatrices en France. Dans un communiqué, il qualifiait les comportements commerciaux d'Oracle d'"inadmissibles". En décembre, lors de l'Open CIO Summit (un forum de DSI qui se tenait à huis clos), plusieurs décideurs informatiques français sortaient de leur réserve. "Les factures d'Oracle représentent chez nous l'un des postes de coûts les plus importants de la DSI", confiait un directeur IT d'un grand groupe français.
Un autre d'ajouter : "Oracle fait tout pour forcer à la consommation. Plus vous souscrivez de licences, moins vous payez. Et à l'inverse si vous réduisez la voilure, l'éditeur recalera sa facture en quelques mois." Dans ce débat, les regards se focalisent sur l'offre historique du Californien, à savoir sa base de données Oracle Database. Une offre dont a recours l'immense majorité du CAC40.
"La situation n'a rien à voir avec ce que nous avons connu l'année dernière"
Depuis, la situation s'est aplanie. "Elle n'a plus rien à voir avec ce que nous avons connu l'année dernière. Nous dialoguons à nouveau", confirme Henri d'Agrain, délégué général du Cigref. "En septembre dernier, nous avons réorganisé notre façon de travailler avec les grands éditeurs de logiciels avec la mise en place d'un comité de pilotage composé de DSI d'entreprises membres du Cigref. Dans ce cadre, un plan de travail a été défini en vue de répondre aux différentes questions du débat (avec Oracle, ndlr)." Le club dispose aussi d'une "task force" composée de juristes et de directions achats de sociétés membres pour accompagner ce travail. Via ces deux structures, les dossiers sont mis sur la table un à un. "Il est cependant trop tôt pour faire un bilan car beaucoup de questions restent en suspens, notamment autour de la compatibilité des licences Oracle avec la virtualisation et le cloud", pondère Henri d'Agrain.
Nommé l'été dernier à la tête d'Oracle France, Gérald Karsenti (ex-PDG de HP France) a œuvré en coulisses pour restaurer le dialogue. Sa démission qui est intervenue à l'heure de la publication de notre article (et qui vient d'être confirmée) tend à prouver qu'il n'est pas parvenu à transformer l'essai. L'arrivée de Gérald Karsenti chez Oracle avait pourtant été bien accueillie au Cigref. "C'est quelqu'un que nous connaissons bien, et qui a un excellent relationnel", confiait un DSI d'un groupe du CAC40 du secteur financier. "Je n'entends pas mener la politique commerciale d'Oracle demain comme elle a été faite hier. Le monde de demain (celui du cloud, ndlr) implique une autre approche", indiquait-t-il dans les colonnes du MagIT en novembre dernier, n'en défendant pas moins la stratégie globale du groupe californien, y compris en matière d'audit logiciel. Mais s'il comptait faire avancer les choses, il n'en a pas eu le temps.
"Nous regrettons que les moyens qui avaient été promis (à Gérald Karsenti ndlr) n'aient pas été mis à sa disposition pour restaurer un dialogue de confiance avec les clients français de l'éditeur", a réagi le Cigref sur Twitter. Gérald Karsenti est remplacé "pour le moment" par Fabio Spoletini, country leader de l'Italie et vice-président pour la division Technologies de l'éditeur.
Le groupe de Larry Ellison a-t-il le choix ?
Pourtant, il semble bien qu'Oracle ait commencé à faire des concessions ces derniers mois. Une autre entreprise du CAC40 interrogée par le JDN est parvenue à renégocier son contrat avec l'éditeur, et à le faire passer d'une période pluriannuelle à annuelle en vue de gagner en souplesse. En parallèle, elle a lancé un audit interne visant à inventorier toutes les licences Oracle Database souscrites. Objectif : mettre un terme à celles ne correspondant pas à un réel besoin. "Nous sommes actuellement en discussion avec Oracle pour trouver un accord plus équilibré et gagnant-gagnant", indique le CIO d'un autre grand groupe français.
Oracle France lâche du lest. Mais la filiale a-t-elle vraiment le choix ? Dans le sillage de ce débat, plusieurs informations tendent à prouver qu'un nombre significatif de ses grands clients sont en train de quitter le navire. "Plusieurs groupes français utilisant historiquement la base Oracle ont amorcé des migrations vers des serveurs de données open source, y compris pour des systèmes critiques cœur de métier. La plupart d'entre eux s'orientent vers PostgreSQL", constatait un DSI lors de l'Open CIO Summit. Mais l'open source ne serait pas la seule alternative retenue, certains clients pouvant être tentés par des solutions propriétaires en mode cloud d'autres fournisseurs. "L'un des besoins les plus importants exprimés par les clients utilisant notre service de migration DMS concerne la reprise de bases Oracle sur nos offres cloud de bases de données", nous confiait en juin dernier Werner Vogels, CTO d'Amazon.
Force est de constater néanmoins que la tendance ne transparait pas dans les résultats financiers d'Oracle, du moins pour le moment (bien que ces derniers ne détaillent pas le volume précis d'activité liée à Oracle Database).
Une nouvelle offre en vue
"Concernant les grosses bases de données, pour lesquelles les besoins d'administration sont importants, et sur lesquelles nous n'avons pas encore amorcé de chantier de transformation profonds, nous continuerons à avoir recours à Oracle Database. Est-ce qu'une offre open source comme PostgreSQL peut aujourd'hui remplacer chez nous ce type de système ? Non", tranche le directeur des infrastructures informatiques d'un autre groupe du CAC40, avant d'ajouter : "Dans tous les cas, lancer un chantier de migration simplement pour contractualiser avec un autre fournisseur n'a aucun sens."
En attendant, Oracle compte sur sa capacité à innover pour rebondir. Lors de son événement CloudWorld mi-février, le géant a levé le voile sur une offre cloud de base de données auto-administrable (Oracle Autonomous Database). Basée sur la dernière version de son SGBD (Oracle Database 8c), elle fait appel au machine learning pour automatiser les routines de maintenance, les mises à jour, et même les tâches d'optimisation (amélioration de la structure de données, compression). Le tout devant permettre de réduire les phases d'arrêt prévues ou non-prévues, et in fine assurer un taux de disponibilité de 99,995%. "Nous garantissons que le prix de cette offre (…) sera moins de 50% inférieur à celui d'une base de données sur le cloud d'Amazon", affirme Larry Ellison, fondateur d'Oracle.
Pour la suite, la firme de Redwood Shores prévoit de commercialiser toute une série de déclinaisons de son nouveau serveur adaptées à des traitements particuliers : Oracle Autonomous Data Warehouse Cloud Service pour l'analytics, Oracle Autonomous Database OLTP pour les workloads transactionnels, Oracle Autonomous NoSQL Database pour le big data...