L'e-commerce et l'IA, futur mariage du siècle
Déjà reine de la donnée, la vente en ligne bénéficie du machine learning à tous les étages : hyperpersonnalisation, performance commerciale, optimisation des campagnes, du support client...
Pour Simon Bachelet, "l'association de l'e-commerce et de l'IA sera le futur mariage du siècle." Rien de moins. Pourquoi ? "Parce que l'e-commerce est l'une des activités les plus data-driven", explique l'innovation lead pour la digital customer experience chez Capgemini. Traffic, taux de conversion, taux de rebond, analyse des parcours, des tunnels de conversion, mais aussi SEO, SEA, gestion de tags, de logs, connexions au CRM, à la DMP... Par construction, l'e-commerce est une usine à data. "L'intelligence artificielle va porter l'exploitation de ces données à un niveau jamais atteint, de l'anticipation des ventes à la robotisation de la chaîne logistique en passant par le marketing prédictif", promet Simon Bachelet.
Historiquement, la recommandation de produits est le premier domaine où le machine learning est utilisé dans l'e-commerce. "Les premières initiatives remontent à 2010", se souvient Justin Ziegler, associé chez Saas Partners, et ex-CTO de Rakuten Europe. Depuis, la pratique s'est démocratisée au sein des acteurs de l'e-commerce. C'est notamment le cas chez Carrefour.fr, mais aussi chez Oui.sncf. "Nous avons mis au point des algorithmes de recommandation de destinations basés sur les historiques de consultations, ainsi qu'un moteur de calcul et d'optimisation d'itinéraire tenant compte des différents modes de transport que nous proposons (train, car, avion..., ndlr)", détaille Béatrice Tourvieille, directrice marketing de Oui.sncf.
Par construction, l'e-commerce est une usine à data
Ces derniers mois, les assistants conversationnels ont envahi les sites marchands. Après la recommandation de produits, "c'est l'un des sujets d'IA sur lequel les e-commerçants se sont lancés le plus rapidement. Il suffisait d'ajouter une surcouche d'automatisation aux chats qu'ils avaient pour la plupart déjà déployés", note Simon Bachelet chez Capgemini. "Contre toute attente, la tendance ne s'est pas essoufflée. L'assistant conversationnel représente une alternative à la recherche par catégorisations ou par formulaire, qui se veut plus naturelle, fluide et rapide." En fonction de son niveau de complexité, un chabot sera à même de fournir des réponses en fonction du contexte de la discussion. Exemple : un client demande un jean pour enfant, puis un t-shirt sans en dire plus, l'assistant lui proposera alors des t-shirts pour enfant sans reposer de questions.
Parmi les tous premiers e-marchands à se lancer, Oui.sncf s'oriente dès 2016 vers un bot transactionnel donnant accès aux horaires et tarifs des trains et capable d'aller jusqu'à gérer les réservations. Disponible sur Messenger, Alexa, Google Home et Siri, le robot, baptisé OuiBot, s'adosse à une infrastructure de NLP (Natural Language processing) pour traduire les requêtes vocales en code ingérable par la machine. A ce jour, 10 000 visiteurs y transitent quotidiennement, dont plus de la moitié via sa version web intégrée Oui.sncf. Tous canaux conversationnels confondus, 1 000 options de billets sont posées chaque mois via OuiBot (lire l'article : Comment Oui.sncf propulse son bot).
Personnalisation de l'UX
"On attend d'un bot qu'il soit un facilitateur de l'expérience, qu'il accélère le parcours clients. Ce qui impose de bien connaître l'utilisateur et bien régler les modèles de learning pour dénicher la bonne réponse", insiste Béatrice Tourvieille. Justin Ziegler précise : "Il sera relativement aisé de mettre au point un assistant capable de répondre aux 30% des questions les plus standards, issues d'un FAQ ou liées à des informations produit factuelles. C'est-à-dire celles qui n'ont pas besoin de prendre en compte l'historique du client et de la discussion. Pour aller au-delà et parvenir à une réponse contextualisée et personnalisée, un data set nettement plus important est nécessaire, ainsi qu'un système d'automatisation beaucoup plus complexe."
Quelle que soit l'option choisie, mieux vaudra prévoir de basculer vers un humain quand le bot atteindra ses limites. "Mais même une fois cette étape franchie, l'IA peut encore se révéler utile. Une offre comme Allo-Media par exemple analyse les conversations du centre d'appels pour en tirer des signaux faibles intéressants commercialement", enchaîne Simon Bachelet. "Par exemple, dans le cas d'une plateforme de voyages, Allo-Media pourra comprendre que le sujet principal de la conversation téléphonique concerne une visite à Lisbonne. Mais au détour d'une phrase, si l'interlocuteur évoque un projet de voyage en Italie, l'application captera ce signal et recommandera alors une action commerciale pour transformer cette opportunité en lead dans son rapport d'appel."
"On reproduit ni plus ni moins la logique d'un vendeur en magasin"
Plus poussée : la personnalisation de l'expérience utilisateur (UX) du site. Une démarche dont Cdiscount s'est emparé pour individualiser ses campagnes promotionnelles. Au regard de l'intention d'achat et du degré d'hésitation des visiteurs, le site envoie des bons de réduction plus ou moins importants, voire aucun si le comportement détecté révèle un utilisateur sur le point de passer à la caisse. "On reproduit ni plus ni moins la logique d'un vendeur en magasin", commente François Marical, directeur data chez Cdiscount. Dans les coulisses, l'application du français Kameleoon orchestre des algorithmes statistiques, notamment de clustering, pour segmenter les visiteurs sur la base d'attitudes similaires. Des profils auxquels sont adressés ensuite ce que la machine considère comme les meilleurs coupons au fur et à mesure de l'enrichissement du modèle d'apprentissage. Et François Marical d'insister : "avec ce dispositif, nous enregistrons un ROI trois fois supérieur comparé aux bons de réduction classiques."
Mais certaines techniques de profiling vont encore plus loin. "C'est le cas avec la solution d'Heuritech que nous avons déployée pour l'un de nos clients retailer dans le secteur du textile", précise Simon Bachelet. Cette brique glane sur les réseaux sociaux les dernières tendances en matière de mode. Des informations ensuite injectées dans les modèles d'apprentissage du site d'habillement aux côtés des données de session et d'historique d'achat. Objectif : aboutir à des propositions de produits en fonction de l'appétence du visiteur en termes de style à un instant T. "Toujours en fonction de l'activité du visiteur sur un site, une offre comme Dotaki tente, elle, de recréer l'achat par impulsion en déterminant la personnalité plus ou moins émotive ou rationnelle du visiteur. Elle pousse ensuite les messages, produits, prix en conséquence", explique Simon Bachelet.
Qu'attendre de la personnalisation ? "D'abord une augmentation du taux de clics", insiste François Marical chez Cdiscount. In fine, c'est évidemment l'augmentation du taux de transformation qui est recherché.
Prévoir pour optimiser les taux transformation
En matière d'IA appliquée à l'e-commerce, reste les campagnes promotionnelles. "Sur ce terrain, la start-up Tinyclues applique des recettes de segmentation équivalentes à celles de Kameleoon, mais au service de la personnalisation des e-mails et autres messages publicitaires", pointent de concert Simon Bachelet et Justin Ziegler. Chez Oui.sncf, on a mis au point un modèle de machine learning pour rationaliser l'achat d'adwords : un data set combine les données de trafic adwords fournies par Google aux sessions des visiteurs. "L'idée étant de maximiser l'achat de mots clés en termes de potentiel de transformation à un instant T", complète Béatrice Tourvieille. Chez Cdiscount, même logique : en fonction d'un mixte de data entre adwords et données de parcours, le site calcule son propre score de lead en allant jusqu'à anticiper les dépenses que l'internaute réalisera. Du côté de Rakuten, l'IA entre dans la danse pour adapter les publicités (notamment en retargeting). "Elles sont personnalisées en fonction de multiples signaux : fréquence des visites, nombre de pages vues, produits consultés…", détaille Edouard Lauwick, vice-président opérations de Rakuten Marketing.
"Nous mettons l'IA au service de la stratégie produit"
Au-delà de ces grands axes, l'IA est un levier pour l'e-commerce dans de multiples autres domaines. "Compte-tenu de la volumétrie de notre offre, avec 40 millions de produits au total sur notre marketplace, nous ne pouvons pas nous permettre de gérer nos données manuellement. Nous capitalisons donc sur le machine learning pour automatiser la catégorisation des produits", confie François Marical. "Dans une approche plus stratégique, nous recourons aussi à l'apprentissage machine pour analyser les requêtes de notre moteur de recherche afin de dénicher les produits qui font l'objet d'une demande des visiteurs, mais que nous ne commercialisons pas ou pas encore." Et Béatrice Tourvieille d'ajouter : "Chez Oui.sncf, nous envisageons beaucoup d'autres applications de l'IA, telles l'analyse prédictive des pannes de serveurs ou encore l'automatisation de certaines tâches liées à la création graphique du site."
Enfin, le machine learning est érigé par les e-marchands, à l'instar des banques et autres acteurs de la finance, comme un levier pour lutter contre la fraude. "Les algorithmes de la start-up lilloise Skapánê, par exemple, détectent les comportements inhabituels sur les sites d'e-commerce et permettent ainsi d'anticiper les achats litigieux. Les sessions identifiées douteuses sont bloquées en amont des transactions", souligne Simon Bachelet. Chez Cdiscount, un modèle de learning a été développé pour calculer les risques d'impayé sur les paiements en quatre fois. IA et e-commerce ne sont pas prêts de divorcer.