Julien Codorniou (Facebook) "Workplace by Facebook va analyser le sentiment des salariés"

La déclinaison de Facebook pour l'entreprise a réussi son décollage. Son vice-président revient sur cette montée en puissance, et lève le voile sur la stratégie et la feuille de route de la plateforme pour 2020.

JDN. Quel bilan faites-vous du développement de Workplace en 2019 ?

Julien Codorniou est le vice-président de Workplace by Facebook. © Facebook

Julien Codorniou. Nous avons annoncé 3 millions d'utilisateurs payants en octobre dernier, contre 2 millions huit mois auparavant.  En 2019, Workplace a démontré sa capacité à connecter toute l'entreprise, du PDG jusqu'aux salariés, sans messagerie, sans PC, sans bureau. Cette population à l'origine non-connectée est très variée. Il peut s'agir de personnel dans les usines, dans les magasins, dans les restaurants, d'infirmières dans les hôpitaux, de sapeur pompiers... Aucun acteur du SaaS ne s'intéresse à ces profils parce qu'ils ne peuvent pas rentrer dans leur grille de tarifs à 200 dollars par mois et par utilisateur. C'est là où nous entrons en piste. Nous sommes les seuls à pouvoir connecter tout le monde, de la PME au grand groupe, grâce à une interface directement calquée sur celle de Facebook. Une interface que 3 milliards de personnes maîtrisent déjà dans le monde.

Prenons l'exemple de Kering, pour qui Workplace est devenu existentiel. Il n'est plus question pour lui de s'en séparer. Pourquoi ? Parce que la plateforme développe une approche top-down, en permettant aux patrons de ses différentes marques de parler à tous leurs salariés, mais aussi bottom-up en donnant la possibilité aux employés des magasins de donner de la voix, de savoir pour qui ils travaillent, et de connaître les valeurs de la société. Enfin, la dynamique est également transverse. Les marques du groupe peuvent se parler entre elles, y compris au niveau international. Le magasin Gucci de Paris pourra partager des bonnes pratiques avec la vitrine Saint Laurent à Rome ou encore avec l'implantation de Balenciaga au Japon. 

On l'a vu avec le retour d'expérience de Danone (lire l'article Dans Facebook Workplace, il y a tout Danone). Workplace tient en effet sa promesse de réseau social d'entreprise universel. Quel est désormais votre principal défi ?

Certes, notre vision de départ est validée par le marché. Désormais, l'enjeu est d'évangéliser. Nous investissons énormément en marketing pour faire connaître et comprendre notre offre. L'une de nos grandes problématiques est d'expliquer que Workplace ne fonctionne que si la plateforme est ouverte à l'ensemble des salariés, tous les départements, le comité de direction, le PDG. C'est ce qui garantit l'adoption et la rétention des utilisateurs. C'est aussi la magie de Facebook. C'est la création de communautés. Dans la même logique, Workplace a pour vocation de devenir la communauté de tous les collaborateurs d'une entreprise. Evidemment, le patron doit être associé au projet. Mais la plupart du temps, le déploiement est porté par les directeurs des ressources humaines, de la communication ou de l'IT. 

Quelles sont les fonctionnalités les plus utilisées dans Workplace ?

C'est avant tout les groupes d’intérêt, mais également la communication vidéo. C'est aussi les intégrations, notamment avec Office 365 et G Suite qui peuvent être utilisées chacun par différentes entités, mais que nous unifions au sein d'une plateforme unique. Au-delà de ces éléments, c'est le concept global de Workplace qui est apprécié. Il offre aux salariés un environnement à travers lequel ils peuvent s'exprimer, partager leur expérience, leurs objectifs. Et à l'encadrement, au comité de direction, voire au PDG, l'opportunité de reconnaître les démarches de chacun via un Like ou un commentaire sur les posts. Du coup, Workplace devient un puissant levier pour motiver et faire progresser l'engagement des collaborateurs qui se sentent visibles et reconnus dans leur organisation. Le résultat est là.  Un seul exemple : six mois après le lancement de Workplace au sein du groupe de cosmétiques Clarins, la rétention des employés a progressé de 2% sachant que dans le retail le taux de turn over est plutôt de l'ordre de 20 à 30% par an.

"Chez Clarins, la rétention des employés a progressé de 2%"

Néanmoins, nous souhaitons rester avant tout une couche de communication. Facebook connecte le monde. Workplace connecte le monde du travail. Nous avons pour but de devenir l'application que tout employé consulte tous les jours. Compte tenu de ce positionnement, Workplace devient l'environnement de la découverte et de la distribution de l'information et du contenu d'entreprise.  Au final, on se retrouve à remplacer les intranets, les mailing lists, les newsletters internes, des solutions de vidéo sur IP...

Qu'en est-il de la feuille de route de Workplace pour 2020 ?

En 2019, nous avons doté Workplace d'une déclinaison de notre casque de réalité virtuelle taillée pour la formation professionnelle : Oculus for Business. Parmi nos clients, Nestlé Purina ou Walmart y ont recours pour former leurs employés de terrain en situation via cet environnement de réalité virtuelle. Walmart par exemple l'utilise pour apprendre aux salariés à bien positionner les produits sur les étalages. Fin 2019, nous avons lancé Workplace sur Portal. Il permet de capitaliser sur la qualité de notre écran connecté et de pouvoir l'utiliser pour appeler ses collègues en vidéo sur Workplace. Beaucoup de nos clients s'y intéressent. Sa valeur ajoutée réside dans sa couche de machine learning qui permet d'élargir l'écran si un nouveau collaborateur entre dans la salle ou encore d'isoler le speaker à l'image.

Pour 2020, nous nous orientons vers le machine learning en vue de faire en sorte qu'un utilisateur ait accès au bon contenu au bon moment. Au sein de l'analytics de Workplace, l'IA va aussi permettre de mesurer le sentiment global d'un groupe ou d'une instance Workplace, et de pouvoir identifier des anomalies ou des opportunités, par exemple en analysant les sentiments d'un groupe qui est moins actif ou d'une équipe qui présente des risques de churn. Nous améliorons par ailleurs notre service communication vidéo. C'est un sujet sur lequel nous avons beaucoup investi sur 2019, notamment pour améliorer nos performances en retransmission. Pour la suite, nous planchons sur des possibilités de traduction et de sous-titrage en temps réel. 

"L'affirmation du Cern selon laquelle ils ont eu le choix de payer ou de perdre leurs droits administratifs et leurs droits sur les données de Workplace n'est pas exacte"

Combien d'applications sont actuellement intégrées à Workplace ?

Nous avons intégré entre 30 à 40 applications. Sur ce plan, nous cherchons moins la quantité que la qualité. Nous privilégions une marketplace d'applications fermée, propre et hyper sécurisée. Pour y être présent, il est nécessaire de passer par des audits de sécurité et de se faire certifier par des tiers. L'idée est de faire en sorte qu'un client installant une application sur Workplace le fasse en toute confiance. Avec à la clé une intégration qui se veut très fine et donne l'impression qu'on reste dans le même environnement. Bref, nous ne voulons pas faire la course aux applis. En revanche, il est important que nous proposions les principales : Atlassian, SAP, ServiceNow, etc. Nos partenaires ou nos clients développent aussi des bots qui viennent se loger dans Work Chat (la messagerie instantanée de Workplace, ndlr). Il en existe dans de nombreux domaines : la réservation de voyages d'affaires, la gestion du yield management dans les compagnies aériennes, le pilotage du shift management dans la restauration... Les bots contribuent à faire passer Workplace de la communication à l'automation.  Pour résumer, Workplace est comparable à un iPhone qui permet de rester en contact avec son entourage. Et comme l'iPhone, elle vise à accueillir des applis.  

Le Cern a décidé de se retirer de Workplace en mettant  en avant la question d'une présumée exploitation que vous pourriez faire de leurs données dans le cadre de votre offre gratuite. Que répondez-vous à cela ?

L'année dernière, nous avons annoncé une mise à jour de nos prix et de notre offre. Dans ce cadre, nous sommes passés de deux offres à deux niveaux (une gratuite, une payante Premium, ndlr) à trois (avec l'ajout d'une offre Enterprise taillée pour les multinationales, ndlr). À l'origine, le Cern bénéficiait de notre offre Premium gratuitement, et nous lui avons proposé deux options : celle de payer pour notre service, ou celle de passer à notre niveau gratuit. Ils ont refusé pour des raisons de coût. En octobre 2019, les nouveaux tarifs sont entrés en vigueur. Dans le cadre de la mise à jour de nos offres, nous avons introduit notre nouveau niveau gratuit, Essential. Dans les trois niveaux actuels, Essential, Advanced et Enterprise, Facebook est le responsable du traitement des données, et nos clients sont les responsables du contrôle des données. Nos clients conservent tous les droits, titres et intérêts, y compris les droits de propriété intellectuelle, sur leurs données. 

L'affirmation du Cern selon laquelle ils ont eu le choix de payer ou de perdre leurs droits administratifs et leurs droits sur les données de Workplace n'est pas exacte. Ils pourraient rejoindre Workplace aujourd'hui sur notre niveau Essential, ce qui leur permettrait d'utiliser Workplace gratuitement et de conserver les mêmes droits d'administration et de données. Chaque offre que nous proposons permet différents accès à notre plateforme et nous tenons à souligner que nous avons toujours respecté toutes les normes en matière de sécurité et de confidentialité.  Chaque jour, nous travaillons avec des milliers d'entreprises hautement réglementées partout dans le monde, tout comme des banques ou des gouvernements, et nous disposons de toutes les certifications de sécurité standard comme SOC2, SOC3, ISO27001 et ISO27018.

En tant que vice-président de Workplace by Facebook, Julien Codorniou a pour mission de gérer le développement commercial et les partenariats de la plateforme du même nom. Il a rejoint Facebook en 2011pour diriger l'activité de jeux vidéos en région EMEA. Il a ensuite pris la tête de l'équipe mondiale pilotant les partenariats du groupe. Avant d'entrer chez Facebook, Julien Codorniou était directeur du développement commercial chez Microsoft, où il a créé et lancé BizSpark, le programme mondial de l'éditeur de soutien aux start-up. Depuis 2012, il est membre du conseil d'administration du Monde. Il est titulaire d'une maîtrise en gestion de la Skema Business School.