Covid-19 et tracking : une mesure d'exception lors d'une crise sans précédent ?

Alors que les mesures de confinement étaient déjà fortement critiquées, l'annonce de l'application de tracking Stopcovid en a fait réagir au plus d'un. La raison semble évidente : le traçage numérique fait craindre de toucher à notre liberté individuelle, notre liberté d'aller et de venir.

Il faut avoir bien conscience que la sortie du confinement doit s’organiser, pour éviter le rebond post confinement. Jusqu’ici la quarantaine ne repose que sur "une attestation sur l’honneur", c’est-à-dire sur la bonne foi de chacun. Mais, la bonne foi de chacun est-elle suffisante pour éradiquer une pandémie ? Dans un monde utopique peut-être. Dans le nôtre, certainement pas. Et nous l’observons tous les jours : combien de personnes dans les rues au moindre rayon de soleil ? Il suffit de se pencher à sa fenêtre et de les compter ou simplement de noter les 350 000 amendes annoncées depuis le début du confinement. Donc, non, disons-le clairement, le bon vouloir de chacun ne suffit pas et à ce rythme-là, on sera encore confiné d’ici juin. La responsabilité de chacun est une notion bien trop fragile pour se reposer dessus.

Par ailleurs, sans test et sans sérologie efficace, la maîtrise de la sortie va être compliquée.

De facto, l’hypothèse d’un traçage doit être prise en compte et doit être débattue. Ce sont les usages et les technologies qui doivent être étudiées. 

Je ne parle pas de contrôle des confinements individuels ou de permis de sortie (qui de toute façon feraient l’objet de fraudes), je parle de mettre en place une application de contrôle anonyme et volontaire des zones à risques, par la voie du Bluetooth de nos portables.

Tout d’abord, ce traçage aurait deux fonctions. La première est, bien entendu, de suivre l’utilisateur de l’application, de savoir où il est allé et donc, oui de pouvoir contrôler ses déplacements. La seconde fonction découle de la première puisqu’il permettrait de connaître l’itinéraire des personnes atteintes du Covid-19 et donc de contacter les personnes qui auraient été en contact avec celles-ci afin qu’elles se fassent tester. Par conséquent, il serait beaucoup plus rapide d’éradiquer l’épidémie.

Concernant cette mesure, la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) explique qu’un dispositif de traçage doit reposer sur le volontariat, mais également que le tracking doit reposer sur une confiance : consentement des personnes, information sur les finalités et les destinataires de données et absence de conséquence en cas de refus.

Soulignons que le partenariat Orange/Inserm a déjà mis en place le suivi des utilisateurs d’Orange, via de la collecte de données anonymes et agrégées. Pour autant, cela n’avait choqué personne. Alors où est le problème ? En effet, si le fait d’être  "tracé" par un opérateur téléphonique comme Orange ne pose pas de difficulté, ou du moins, ne choque pas au point d’en faire un débat public, pourquoi le traçage pour venir à bout d’une pandémie fait-il polémique ?

Personne non plus n’est choqué par le traçage qu’opèrent Waze ou Google dans leurs applications de contrôle des mouvements et trajets dans les villes.

Evidemment, on ne peut pas nier le fait que cette mesure peut entraver nos libertés individuelles et qu’il est du devoir d’un Etat démocratique de faire respecter les libertés fondamentales. En entendant ce type de mesures, l’on est forcé de penser au fameux "Big brother is watching you" de Georges Orwell ou à un épisode de Black Miror et c’est totalement légitime. Cependant, pendant que nous nous interrogeons sur notre liberté, le virus continue de se propager et des femmes, des hommes continuent de mourir. Alors il serait peut-être temps de poser la question suivante : restreindre sa liberté individuelle pendant un court laps de temps pour protéger la vie des autres, cela ne vaut-il pas le coup ? Sommes-nous attachés à nos libertés individuelles au point qu’elles dépassent le bien commun ? N’est-il pas de notre devoir à tous, de notre responsabilité à tous, de mettre tout en oeuvre pour nous protéger ?

Il faut savoir de quoi on parle quand on utilise le mot "tracking". La vérité est qu’il faut étudier l’application envisagée, ses garanties en terme de sécurité (anonymat, chiffrement des datas, usages, destruction...) et les techniques utilisées (Bluetooth, GPS, données bancaires...).

En outre, si cette question est un débat national, elle l’est beaucoup moins à l’international puisque de nombreux pays ont déjà adopté cette mesure, comme "Trace-Together" à Singapour (application qui permet de repérer les téléphones de citoyens ne respectant pas les distanciations sociales et reposant sur la technologie Bluetooth). Celle-ci, reposant sur le volontariat, permet de savoir si l’on a croisé une personne contaminée et les données sont effacées au bout de 21 jours, sans que les données de géolocalisation soient collectées. Toujours à l’international, une société israélienne a déployé une application (Hamagen) basée sur le volontariat et alertant les utilisateurs s'ils se sont rendus à un endroit en même temps qu'un malade du Covid19. Les données sont enregistrées uniquement sur l'appareil mobile en interne et ne sont pas transmises aux autorités ; cependant les GPS et données collectées sont comparés localement sur l'application au fichier JSON mis à jour par le ministère de la Santé.

Des solutions techniques, déjà envisagées à l’international, sont donc possibles, celles-ci pouvant combiner lutte sanitaire et respect des libertés individuelles. En Europe, un projet, baptisé PEPP-PT (Pan-European Privacy Presserving Proximity Tracing), intègre un outil de traçage numérique anonyme qui préserve la confidentialité. La plateforme utilisera le Bluetooth des téléphones mobiles dans un cadre anonyme et sur la base du volontariat. Elle stockera via un chiffrement renforcé l'historique des connexions entre les appareils dans le smartphone et non sur serveur central pendant une durée de deux semaines. Le projet entend respecter le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données).

Ne serait-il pas envisageable d’accepter une application de traçage dans la mesure où elle respecte l’anonymat et où il nous est garanti que ces données ne seront pas utilisées, seront détruites à l’issue de la pandémie, si cela permet d’éradiquer l’épidémie et de sauver des vies ?

Nous avons la chance de vivre dans un pays où la protection des libertés individuelles est un principe phare depuis 1978 (avec la fameuse loi Informatique et Libertés), dans une Europe très soucieuse également de ces droits essentiels, avec une CNIL qui est très vigilante sur l’équilibre à trouver entre secret médical, protection de la vie privée et sauvegarde des intérêts vitaux.

Aux situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles.