Cyberguerre : comment la France se prépare

Cyberguerre : comment la France se prépare Alors qu'un conflit numérique mondial est possible, l'Hexagone aligne plus de 3 000 cybersoldats aux côtés de l'ANSSI et d'acteurs privés regroupés autour de deux cybers pôles.

La France, combien de cyberdivisions ? Alors que la Russie se fait menaçante, l'Hexagone est-il prêt à répondre à une offensive numérique de grande ampleur ? Une questions loin d'être illégitime. Selon Le Figaro, le réseau satellitaire ViaSat, couvrant notamment l'Europe, et assurant la connexion Internet pour des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, a été victime d'une cyberattaque, impactant notamment des milliers d'abonnés français. Face à la possibilité d'une cyberguerre, l'Etat français ne cesse depuis 10 ans de renforcer son arsenal cyber, qui est désormais conséquent.

Objectif : 5 000 cybersoldats pour le Comcyber

La politique de cyberdéfense remonte à la loi de Programmation militaire de 2013 qui encadre la protection et la sécurité des opérateurs d'importance vitale. Un premier commandement de la cyberdéfense (Comcyber) est ensuite lancé à l'initiative de Jean-Yves le Drian en 2017. Sous l'autorité du chef d'Etat-Major des armées, il rassemble les forces de cyberdéfense des armées françaises sous une même autorité opérationnelle, permanente et interarmées. Le Comcyber est responsable de la protection des systèmes d'information des armées, de la conduite de la défense des systèmes d'information du ministère (à l'exclusion de ceux de la DGSE et DRSD) et de la conception, de la planification et de la conduite des opérations militaires de cyberdéfense.

Le Comcyber est intégré à la loi de programmation militaire de 2018. L'objectif est à alors de passer de moins de 1 000 cybersoldats à 4000 d'ici 2025. Le cap des 3 000 est passé en 2019. En octobre 2021, nouveau coup d'accélérateur. Alors que les cyberattaques connaissent une explosion avec la crise sanitaire, l'armée française annonce le recrutement de 800 cybercombattants supplémentaires. L'objectif est désormais de passer la barre des 5 000 en 2025. Et cet objectif risque d'être une nouvelle fois dépassé compte tenu du risque de cyberguerre mondiale.

Le gros des troupes cyber est basé à Rennes. Il est fédéré autour du très stratégique commandement des systèmes d'information et de communication (Com Sic) de la Défense. C'est notamment là qu'est historiquement basée la 807e compagnie de transmissions, l'unique unité de cyberdéfense de l'Armée de terre, forte de plus d'une centaine d'hommes. "La 807e compagnie de transmissions est une unité de cyberdéfense projetable partout où les armées françaises sont engagées en opération", indique le lieutenant-colonel Pierre-Arnaud Borrelly, officier supérieur membre du Comcyber dans les colonnes de Ouest France en 2018. Ses missions ? L'anticipation et l'analyse de la menace cyber, la supervision de sécurité des systèmes d'information et des systèmes d'armes, le contrôle du spectre électromagnétique et la mise en œuvre de la lutte informatique défense. Elle déménage de Rennes en juillet 2019 pour Saint-Jacques-de-la-Lande en Ille-et-Vilaine, auprès de la 785e compagnie de guerre électronique. Une compagnie très secrète, chargée d'assurer une veille technologique dans les télécommunications, qui recrute des techniciens de très haut niveau.

Une cyber-vallée européenne à Rennes

Fin 2019, l'armée inaugure le siège de son commandement de cyberdéfense. Comcyber s'installe à Rennes dans un bâtiment de 11 000 m² qui accueille 400 cybercombattants. Il est baptisé Commandant Roger Baudouin, en hommage à ce lieutenant expert en cryptographie qui a rejoint le général de Gaulle à Londres en juin 1940, connu pour avoir collaboré avec Alan Turing sur le décryptage de messages nazis. "Ce premier bâtiment conçu et dédié à la cyberdéfense représente la concrétisation de la nécessité d'interaction entre les métiers et les compétences cyber pour répondre, de manière collective, aux enjeux de la cyberdéfense. Au vu des évolutions qualitatives et quantitatives des risques et des menaces, nous devons maintenant passer à l'échelle, en intégrant les nouvelles ressources données par la Loi de programmation militaire", explique alors Didier Tisseyre, général de division patron du Comcyber, dans la revue du ministère des Armées.

Au-delà de la présence du Com Sic, le choix de la ville bretonne s'explique par la présence du pôle d'excellence en cyberdéfense créé en partenariat avec la région en 2014. Près de 70 entreprises du secteur de la cybersécurité y sont installées. "C'est à Rennes qu'est ancré le centre d'expertise de maîtrise de l'information de la direction générale de l'armement, référent en matière de cyber depuis plusieurs décennies", précise la ministre de la Défense Florence Parly, lors de l'inauguration du bâtiment, en ajoutant que la Bretagne a vocation à devenir une "cyber-vallée européenne".

C'est à Rennes qu'est basé la Cyberdéfense Factory, antenne bretonne de l'Innovation Défense Lab

C'est aussi à Rennes qu'est basé la Cyberdéfense Factory, antenne bretonne de l'Innovation Défense Lab. Cet incubateur public fédère des start-up et PME dans le domaine de la cybersécurité. Sur le modèle américain, il travaille en étroite collaboration avec la direction générale de l'armement. Pour recruter ses troupes, il est doté d'un fonds de 80 millions d'euros qui lui a permis de lancer un premier appel à projet en 2021. La Cyberdéfense Factory ne part pas de rien. Alors que la majorité des start-up expertes en cybersécurité sont basées en région parisienne (60%), Rennes représente le deuxième pôle français en la matière. Il fédérait environ 10% des jeunes pousses cyber en 2021, selon le dernier radar des start-up Cybersécurité de Bpifrance Le Hub et Wavestone.

Les 80 millions d'euros dédiés à la Cyberdéfense Factory s'inscrivent dans un plan de 1 milliard d'euros dédié à la cybersécurité. Annoncé par le gouvernement en février 2021, il vise à tripler le chiffre d'affaires de la filière de 7,3 milliards à 25 milliards d'euros d'ici 2025, et doubler dans le même temps les emplois du secteur (de 37 000 à 75 000).

Le Campus Cyber à La Défense

Second pôle cyber aux côtés de la Cyberdéfense Factory, le Campus Cyber, inauguré fin février à La Défense, regroupe plusieurs grands groupes tels qu'Atos, Capgemini, Orange ou Thalès, ainsi que des start-ups de l'écosystème. Il est installé au sein de la tour Eria. Un bâtiment de treize étages comptant 26 000 mètres carrés. "Ce sera un lieu de concentration, de programmes et de projets partenariaux très opérationnels, notamment sur la dimension de la veille. Il s'agira aussi d'un espace de montée en compétences professionnelles et d'élaboration des éléments de sensibilisation et de pédagogie en direction du grand public", indique l'Elysée. Société par actions simplifiée (SAS), le Campus Cyber est détenu à 56% par des actionnaires privés, la part restante étant entre les mains de l'Etat qui entend bien participer à la dynamique du projet. Y seront installés des membres du ministère des Armées et du ministère de l'Education, notamment.

600 salariés à l'ANSSI 

Dépendant également du ministère de la Défense, l'ANSSI compte quant à elle 600 salariés, avec à la clé un budget annuel de 100 millions d'euros. Sa mission ? S'assurer du bon niveau de sécurité des systèmes d'informations relevant des opérateurs publiques et privés d'importance vital (OIV) ou de services essentiels (OSE). Des acteurs qui constituent le socle du fonctionnement du pays : infrastructures militaires, d'eau, d'électricité, télécoms, systèmes bancaires…. Aux côtés des cybersoldats de la Défense, elle est aussi chargée de la lutte informatique défensive (LID) relatives aux OIV et OSE. Les troupes françaises sont en ordre de marche .