Le Conseil du commerce et des technologies : vers un renouveau de la coopération transatlantique en matière économique, digitale, et géostratégique

Le contexte de la création du Conseil , les ambitieuses feuilles de route des précédentes éditions et les enjeux de concrétisation de ces objectifs stratégiques lors de cette 3ème édition.

Le 5 décembre 2022 se tient la 3ème édition du Conseil du commerce et des technologies, le "CTT". Une occasion parfaite pour revenir sur cet organe politique de coopération transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis, ainsi que sur les enjeux de cette nouvelle édition.

 Le Conseil du commerce et des technologies

L’idée de la création du Conseil du commerce et des technologies (Trade and Technology Council en anglais) remonte à l’été 2020, lorsque le Commissaire européen au Commerce, Phil Hogan, a communiqué au gouvernement de Donald Trump la volonté européenne de renouveler les relations entre les États-Unis et l’Europe en instaurant un organe politique de coopération transatlantique voué à coordonner les agendas commerciaux, réglementaires et de régulation des technologies émergentes.

Une proposition ignorée par l’administration américaine jusqu’à la victoire des démocrates en novembre 2020 et la volonté américaine affichée de renouer ses liens diplomatiques, politiques et commerciaux avec l’Europe, notamment sur le sujet des nouvelles technologies. Une volonté concrétisée par l’annonce du 02 décembre 2020, “A New Transatlantic Agenda for Global Change”, plaçant au centre de l’implémentation de son programme de coopération renforcée le Conseil du commerce et des technologies.

De manière générale, l’objectif du CCT est, selon la Commission européenne, “d’améliorer le commerce et l’investissement, de renforcer le leadership technologique et industriel, de stimuler l’innovation, de promouvoir les technologies et les infrastructures émergentes et d’encourager des normes et des réglementations compatibles fondées sur des valeurs démocratiques partagées”. Pour ce faire, le CCT a notamment défini un certain nombre de sujets prioritaires, tels que l’intelligence artificielle, la promotion d’un Internet ouvert et sécurisé, ainsi que la lutte contre la désinformation.

Une feuille de route ambitieuse : les deux premières éditions du CCT

Le Conseil du commerce et des technologies s'est préalablement réuni à deux reprises : en septembre 2021 à Pittsburgh, puis en mai 2022 à Paris.

  • Lors de la première réunion du CCT, les dix groupes de travail distincts le composant se sont réunis pour la première fois afin de définir leurs objectifs ainsi que leur organisation. Ces dix groupes se concentrent chacun sur une facette cruciale de la coopération transatlantique :

> Normes technologiques.

> Climat et technologies propres.

> Chaînes d’approvisionnement sécurisées.

> Sécurité et compétitivité des technologies de l’information et de la communication.

> Gouvernance des données et des plateformes.

> Utilisation abusive des technologies menaçant les droits humains ou la sécurité.

> Contrôle des exportations.

> Planification des investissements.

> Promotion de l’accès aux technologies digitales par les petites et moyennes entreprises.

> Enjeux liés au commerce international.

La première édition du Conseil du commerce et des technologies a ainsi abouti à une déclaration commune de 17 pages posant les bases du champ d’action du TTC au travers du travail des dix groupes le composant. L’ambition affichée par cette déclaration a été perçue par un bon nombre d’observateurs comme excédant les attentes associées à ce nouvel organe politique international. Au-delà de l’inauguration du CCT, cette première édition a également permis de définir des accords portant notamment sur la régulation des technologies à double usage (civil et militaire), la résilience aux tentatives de prise de contrôle d’investisseurs étrangers sur des actifs stratégiques, ou encore la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs.

  • La seconde édition du Conseil du commerce et des technologies, en mai 2022, a été fortement impactée par l’actualité géopolitique de l'agression russe de l’Ukraine. Ainsi, le soutien affiché de l’Union européenne et des États-Unis à l’Ukraine transparaît dans une grande partie des thématiques abordées, ainsi que dans le communiqué de presse portant sur la seconde réunion du CCT. Aussi, la première mesure clé adoptée dans ce cadre est intitulée “Soutien à l’Ukraine”, elle est formulée de la façon suivante :

“Les coprésidents du CCT ont exprimé leur ferme engagement à soutenir l'Ukraine contre l'agression militaire russe et se sont mis d'accord sur des mesures concrètes déjà mises en œuvre et à poursuivre dans le cadre du CCT. Ils se sont également engagés à travailler conjointement avec l'Ukraine pour reconstruire son économie et faciliter le commerce et les investissements”.

La thématique du soutien à l’Ukraine et à la lutte contre l’expansion russe a également irrigué l’ensemble des réflexions des groupes de travail. La déclaration commune issue de cette seconde édition est disponible ici.

Les enjeux de la troisième édition : vers une concrétisation des objectifs affichés ?

 La troisième édition du Conseil du commerce et des technologies commence le 05 décembre 2022. Après les deux premières éditions assez largement perçues comme des succès, du fait de l’ambition affichée par la feuille de route du CCT ainsi que l’étroite coopération sur la question de l’Ukraine, cette troisième édition vise à poursuivre l’implémentation des objectifs définis par les différents groupes de travail, et à démontrer l’impact concret et réel des mesures proposées par le CCT.

Plusieurs thématiques cruciales ont été identifiées pour cette troisième édition. Ainsi, l’Europe et les États-Unis entendent progresser sur la question des infrastructures digitales au sein de pays tiers, en commençant par la signature d’une initiative portant sur ce sujet avec la Jamaïque et le Kenya (deux pays ayant maintenu une position internationale pro-occidentale constante face aux influences russe et chinoise).

La coopération transatlantique a également vocation à se renforcer sur la question de l’intelligence artificielle, en définissant une feuille de route conjointe visant à décrire les outils et méthodologies de gestion des risques liés à l’IA, première étape afin d’atteindre le standard d’une intelligence artificielle “digne de confiance”.

Parmi les autres points d’attention soulignés par la troisième édition du Conseil du commerce et des technologies, la question des câbles sous-marins (permettant la connexion Internet intercontinentale) a également été abordée par le groupe de travail concerné. Ainsi, des discussions seraient en cours concernant des projets d'implémentation de routes alternatives afin de relier l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. Cette formulation fait notamment référence à un projet mis en avant par l’Europe depuis décembre 2021, visant à connecter l’Europe au Japon (et donc plus globalement à l’Asie) par le biais de câbles sous-marins passant par l’Alaska. Au-delà d’un temps de latence plus faible en raison de la distance plus courte de cette route par rapport aux câbles existants, le passage par l’Alaska représenterait un atout géostratégique de poids pour l’Europe. En effet, une telle route alternative serait la première permettant de relier l’Europe à l’Asie sans passer par le Canal de Suez, représentant actuellement un point de défaillance unique particulièrement dangereux au vu de l’influence russe exercée sur cette zone.

Si l’Europe pousse actuellement pour le financement de ce projet pour les raisons que nous venons d’exposer, le soutien américain n’est pas encore explicitement acquis compte tenu des ressources importantes nécessaires à son implémentation (avec un coût total estimé à 1.15 milliards d’euros). D’où une formulation encore assez vague sur cette question pour la troisième édition du CCT, témoignant de l’hésitation américaine, que les représentants européens devront tenter de dépasser en vue de la concrétisation de ce projet d’importance stratégique pour l’Europe.

Pour conclure

Le Conseil du commerce et des technologies illustre aujourd’hui le renforcement dynamique de la coopération entre l’Europe et les États-Unis dans les sphères économiques, digitales, et géostratégiques. L'ambition affichée par la première édition du CCT, les actions coordonnées en faveur de l’Ukraine proposées lors de la seconde, et la volonté de mise en œuvre concrète de la feuille de route démontrée par la troisième illustrent le renouvellement des liens politiques et réglementaires entre l’Europe et les États-Unis, après des relations plus distantes entretenues avec l’administration de Donald Trump. Bien que subsistent nécessairement certaines divergences sur les priorités stratégiques des deux puissances occidentales comme les discussions entourant les câbles sous-marins, la direction générale reste celle d’un rapprochement et d’une collaboration renforcée entre l’Europe et les États-Unis. Une orientation bienvenue à l’heure où les enjeux digitaux appellent plus que jamais à des réponses globales qui ne sauraient être uniquement nationales ou régionales.