Métavers : les défis d'une adoption massive

Cet article souligne les défis de l'adoption du métavers, mais met en avant son potentiel dans les domaines du divertissement, du travail et de la culture.

Les contraintes et difficultés qui s’appliquent aujourd’hui au métavers vont vraisemblablement conduire à une adoption lente de cette technologie.

Les modèles d’adoption des technologies nous rappellent l’importance des critères relevant de la facilité d’utilisation ainsi que de l’utilité perçue. À ce jour, les deux critères ne sont pas réellement remplis. Pour assurer une adoption massive, le métavers devra convaincre de son intérêt à la fois dans le cadre d’un usage personnel et professionnel.

L’usage personnel du métavers peut être motivé par le besoin de divertissement et d’évasion. L’intérêt pour le football a permis le succès des plateformes comme Sorare et Socios, le jeune public en quête de jeu et de relations sociales a très vite adopté Roblox et The Sandbox. Les acteurs de l’art se sont orientés vers les NFTs et les galeries virtuelles comme Spatial, et les fans de musique et de mode se sont parfois retrouvés dans les quartiers virtuels de Decentraland.

Les entreprises en quête d’une meilleure productivité pourraient être également un levier d’adoption majeur. Un grand nombre d’acteurs pensent que le métavers est sur le point de révolutionner le travail à distance en apportant une qualité aux interactions sociales dans l’espace numérique. Les lieux de travail virtuels permettent aux collaborateurs de disposer de ressources supplémentaires : des bureaux spacieux et lumineux, des tableaux sur mesure, des écrans virtuels pour la bureautique, des espaces d’échange et des sites de travail dont les volumes et quantités pourraient être quasi illimités.

La crise sanitaire a largement contribué à l’accélération de l’adoption de ce type de format (très en vogue pour le recrutement et la formation). Selon un rapport de Forrester, au moins trois des quatre solutions suivantes : Zoom, Slack, Webex et Google Apps ajouteront en 2023 des fonctionnalités de type métavers. Une enquête récente de PwC a révélé que 51 % des entreprises sont en train d’intégrer la réalité virtuelle dans leur stratégie ou ont déjà intégré la réalité virtuelle dans au moins un secteur d’activité. Le Directeur de la stratégie et de la technologie chez Nokia, Nishant Batra a déclaré au Forum économique mondial que le métavers aura certainement un plus grand impact immédiat sur les industries que sur le marché de consommation. L’adoption massive du métavers pourrait donc se déclencher via le vecteur professionnel.

Notons que la France croit également à la possibilité d’une adoption du métavers via le vecteur culturel. En effet, le patrimoine français est d’une grande richesse, il attire chaque année un très grand nombre de visiteurs du monde entier. Cet attrait pourrait être converti en de nouvelles opportunités. Ainsi, les auteurs du rapport de la mission sur le développement des métavers ont proposé une expérience de pensée nommée La Joconde métaversique pour illustrer la teneur des possibles. Ils envisagent que la visite de La Joconde puisse s’accompagner d’une projection en réalité augmentée permettant au public de modifier la toile et d’interagir avec. Le public pourrait alors littéralement taguer l’œuvre. Les auteurs envisagent également la possibilité d’un voyage dans les différentes épaisseurs de la toile via la réalité virtuelle. Il permettrait par exemple de visualiser le dessin caché qui avait été découvert en 2020 par caméra multispectrale. Nous avons déjà évoqué le studio de production Vroom, qui offre la possibilité de créer des spectacles immersifs, à la fois en direct et en différé. Pour célébrer l’arrivée de l’année 2021, un évènement exceptionnel a pu être produit, mettant en scène Jean-Michel Jarre à Notre-Dame de Paris (en réalité virtuelle). Si ce spectacle avait eu lieu dans la réalité, les vitraux de la cathédrale auraient été endommagés et l’accueil d’une foule aurait été impossible. Une fois de plus, le métavers rend l’impossible réalisable.

Enfin, la chaine de blocs et le web 3 permettraient de collectionner des versions digitales de l’œuvre, mais également de construire une communauté des amateurs sous la forme d’une organisation autonome décentralisée. Ces initiatives permettraient à la fois de contribuer à la préservation des œuvres, mais également à la modernisation de l’expérience culturelle.

Le Centre National d’Art et de Culture Georges-Pompidou (CNAC) a lancé deux initiatives innovantes en relation avec le métavers et le web 3. Depuis 2023, des QR codes ont été installés devant le centre, permettant aux visiteurs d’accéder à une expérience de réalité augmentée. En utilisant la caméra de leur téléphone portable pour visualiser la façade du centre, les visiteurs peuvent transformer le bâtiment en un instrument de musique géant avec lequel ils peuvent interagir en temps réel. Cette expérience de réalité augmentée a été rendue possible grâce à un partenariat avec Snap AR Studio.

De plus, le Centre Pompidou a récemment acquis 18 NFTs (jetons non fongibles) provenant de cryptoartistes de renom, tels que les CryptoPunks. Le centre prévoit de consacrer une exposition entière à ces œuvres. Philippe Bettinelli, conservateur du patrimoine et responsable du service des nouveaux médias, explique : « Pour cette exposition, nous prévoyons de replacer ces œuvres dans leur contexte en présentant certains objets qui témoignent de l’histoire de la dématérialisation de l’art, tels que des certificats, des protocoles ou des documents qui ont accompagné les démarches immatérielles dans l’art moderne et contemporain depuis la seconde moitié du XXe siècle ».

Ces initiatives témoignent de l’engagement du Centre Pompidou à explorer les possibilités offertes par les nouvelles technologies pour offrir des expériences aux visiteurs et aux amateurs d’art. En exploitant les avantages du métavers et du web 3, le centre peut offrir un contenu interactif qui ajoute une nouvelle dimension à l’expérience artistique. L’acquisition de NFTs et la création d’une exposition dédiée témoignent de l’engagement du Centre Pompidou à promouvoir et soutenir les nouveaux courants artistiques et les artistes émergents.

L’une des expériences les plus populaires de réalité virtuelle est celle du cinéma à la maison. L’application Bigscreenvr offre cette possibilité tout en gardant la dimension sociale et familiale du cinéma. Il est possible de choisir son environnement favori parmi une vaste liste, dont un cinéma des années 80 ou un cinéma très moderne (et même dans l’espace), puis de rejoindre ses amis dans une salle de projection. La projection permet de se retrouver face à un écran de près de 30 mètres et même de profiter de popcorn virtuel que l’on ne peut malheureusement pas déguster.

Les collectionneurs peuvent se retrouver sur La collection. Il s’agit d’une plateforme NFT certifiée par les plus grands musées du monde où chacun peut commencer et partager sa collection de chefs-d’œuvre. À chaque nouveau partenariat, des œuvres sont distribuées gratuitement aux collectionneurs les plus rapides.

L’effort pour entrer dans le métavers ne sera plus un frein lorsque nos motivations seront suffisantes. Pour ceux ayant déjà franchi le pas du métavers, Capgemini indique que les trois quarts l’utilisent toujours et vont continuer à le faire.

En dépit du niveau record de 400 millions d’utilisateurs actifs mensuels en 2022 (l’équivalent du nombre d’internautes au passage à l’an 2000), l’adoption massive est encore lointaine. Une étude de Gartner indique que 25 % des personnes passeront une heure par jour dans le métavers en 2026. Sa méthodologie hype cycle (courbe décrivant l’évolution d’une nouvelle technologie) a toutefois placé le métavers comme technologie émergente. Elle estime que son plateau de productivité sera atteint dans plus de dix ans. Les nouvelles technologies voient souvent arriver les cas d’usages les plus fondamentaux entre cinq à dix ans après leur invention. Bill Gates a toujours défendu que l’on surestime le changement à venir dans les deux ans, tout en sous-estimant le changement des dix prochaines années. Récemment encore, lors du DealBook Summit, Mark Zuckerberg a laissé entendre que le métavers ne serait pas rentable avant 2030 au plus tôt.

En 2023, certains médias ont annoncé la mort du métavers. Les raisons évoquées incluent la concurrence de l’intelligence artificielle, un marché peu favorable pour les cryptomonnaies et les difficultés des géants du secteur à générer des revenus suffisants. Le ralentissement observé est souvent appelé metaverse winter. Selon GlobalData, cela est principalement dû à l’immaturité des technologies telles que la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle, ainsi qu’au manque d’intérêt des consommateurs. Cette période de ralentissement ne remet pas en cause le potentiel à long terme du métavers en termes d’expériences immersives, de nouveaux modèles économiques et de collaborations. De nombreuses innovations sont attendues dans les années à venir pour répondre aux défis actuels. Au début des années 2000, le Daily Mail publiait un titre provocateur suggérant que l’Internet pourrait n’être qu’une simple mode passagère.

Article du Daily Mail annonçant la mort possible d’Internet le 5 décembre 2000 © Daily Mail

Dans l’article, les auteurs présentaient des arguments prédisant le déclin de l’Internet, alors même qu’il s’agissait d’une technologie émergente à cette époque. Ils soutenaient que les jeunes avaient exploré l’Internet et en avaient fait le tour, y trouvant seulement un divertissement temporaire sans vouloir substituer leur vie réelle par des technologies virtuelles. L’argument « rien ne vaut la vie réelle » était au cœur de l’article. Il est intéressant de constater que ces mêmes arguments sont fréquemment repris au sujet du métavers.

La polarité des opinions concernant le métavers témoigne d’un intérêt croissant, ce qui est un indicateur fort de son importance et de son potentiel d’influence sur notre société. Malgré un contexte difficile, le métavers reste porté par un écosystème riche d’acteurs de tous niveaux et de nombreux secteurs. Les investissements continuent d’affluer dans le métavers, ce qui suggère que les cas d’utilisation offerts par cette technologie sont suffisamment convaincants pour attirer de plus en plus d’entreprises et de particuliers. L’intelligence artificielle perçue à tort comme une concurrence au métavers peut en réalité contribuer à le rendre plus accessible au grand public.

Le séisme de l’intelligence artificielle via la démocratisation et l’adoption extrêmement rapide de ChatGPT 4 en 2023 aura certainement un effet accélérateur dans le développement du métavers. ChatGPT est déjà en cours d’intégration dans de nombreux outils de création virtuels. Par exemple, l’outil Oncyber propose un Magic Composer qui permet au créateur d’exprimer ses souhaits quant à l’espace virtuel qu’il est en train de créer. Il peut changer la couleur des éléments, ajuster l’intégration de NFTs dans l’espace. Les solutions proposées par OpusAI Inc visent à faciliter la conversion de texte en espaces virtuels tridimensionnels de manière fluide et simple.

Bien que certains défis restent à relever, le métavers continue d’attirer de nombreux innovateurs et entrepreneurs, qui cherchent à explorer les possibilités offertes par cette technologie. Au fil du temps, nous continuerons à créer de nouvelles expériences et à trouver de nouveaux cas d’utilisation. Les progrès technologiques sont en cours et les acteurs de l’industrie travaillent sans relâche pour enrichir les possibilités. Cela signifie que nous ne pouvons pas prédire avec certitude comment le métavers évoluera dans le futur, mais nous pouvons être surs que les innovations et les améliorations continueront à émerger. Il est trop tôt pour dire si le métavers sera en mesure de répondre aux attentes de l’industrie et des consommateurs. Cependant, il est clair que cette technologie offre de nombreuses opportunités pour ceux qui sont prêts à investir du temps et des ressources pour l’explorer. Si le métavers parvient à surmonter les défis actuels, il pourrait bien devenir l’un des secteurs les plus dynamiques de l’industrie des technologies de l’information dans les années à venir.

Il est essentiel de garder à l’esprit que l’avenir du métavers dépendra de plusieurs facteurs. La résolution des défis juridiques, de confidentialité et de sécurité sera cruciale pour établir la confiance des utilisateurs et favoriser une adoption plus large. De plus, l’amélioration continue des technologies immersives, telles que la réalité virtuelle et augmentée, ainsi que l’intégration de l’intelligence artificielle, ouvrira de nouvelles possibilités d’interactions et d’expériences dans le métavers.

Les industries du divertissement, de l’éducation, du commerce, de la santé et bien d’autres sont déjà en train d’explorer les opportunités offertes par le métavers. Les marques cherchent à se connecter avec les consommateurs de manière plus immersive et personnalisée, les éducateurs utilisent des environnements virtuels pour créer des expériences d’apprentissage interactives, et les professionnels de la santé explorent les applications de la réalité virtuelle dans le traitement et la réadaptation.

La clé du succès du métavers réside dans la collaboration entre les différents acteurs de l’industrie, qu’il s’agisse des développeurs de technologies, des créateurs de contenu, des entreprises et des utilisateurs. Ensemble, ils peuvent façonner un métavers inclusif, éthique et évolutif qui répond aux besoins et aux aspirations des individus et de la société dans son ensemble.

Alors que nous continuons à explorer les possibilités du métavers, il est conseillé de garder un esprit ouvert, de rester à l’écoute des avancées technologiques et des retours des utilisateurs, et d’adopter une approche itérative dans le développement et l’application de cette technologie. En travaillant ensemble, nous pouvons façonner un avenir où le métavers devient une réalité enrichissante et bénéfique pour tous.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter Le manuel du métavers.