Shadow IT : quand les collaborateurs redéfinissent les usages technologiques en entreprise
Qu'il s'agisse de communiquer en interne ou en externe, de gérer des projets, de vendre ou de réaliser des actions de marketing, les entreprises ont mis en place un ensemble de ressources technologiques de plus en plus important.
Aujourd'hui, les logiciels sont omniprésents dans notre travail au quotidien. Qu'il s'agisse de communiquer en interne ou en externe, de gérer des projets, de vendre ou de réaliser des actions de marketing, les entreprises ont mis en place un ensemble de ressources technologiques de plus en plus important, complexe et, in fine, coûteux. Le but est ainsi d'optimiser les processus, d'accroître l'efficacité et de renforcer la croissance.
Pourtant, combien d'entre nous ont déjà utilisé au travail des applications qui ne sont pas proposées officiellement par l’employeur ? Certainement beaucoup d’entre nous. Dans le cas contraire, il est probable que de nombreux collaborateurs soient réticents à admettre publiquement qu'ils utilisent des outils annexes. C’est donc un fait, le Shadow IT est existant dans la plupart des organisations, malgré les sommes considérables engagées par les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs dans des logiciels, et bien qu’ils soient de plus en plus complets et sophistiqués.
Les applications de l’ombre
Le Shadow IT consiste en l’utilisation par des collaborateurs ou des équipes d’outils numériques de leur propre initiative, au-delà d’outils qui font déjà partie des ressources technologiques mises à disposition par l'entreprise. De nombreux exemples se présentent dans le cadre professionnel (logiciel de traduction utilisé par un collaborateur pour traduire rapidement un email en anglais, ou encore de l’IA générative qui vient aider un spécialiste du marketing dans la rédaction d’un contenu). D’ailleurs, selon le cabinet d'étude Gartner, 41% des collaborateurs se procurent, construisent ou modifient des outils technologiques en dehors des solutions technologiques officielles fournies par leur entreprise. Et ce phénomène n'a fait que s’amplifier avec l’accélération de la digitalisation lors de la pandémie de coronavirus et avec l'essor du travail à domicile. D’ailleurs, le Shadow IT a augmenté de 59% depuis que le télétravail est encouragé (CORE Research).
Mais ce n’est que le début. En effet, l'essor de l'intelligence artificielle a une nouvelle fois accéléré le rythme de l'innovation pour les logiciels d'entreprise. Des premiers retours et cas d’étude positifs sur les applications de l'IA ont fait naître de grands espoirs en matière d'assistants intelligents, d'économies et de gains d'efficacité. De ce fait, les plus avancés dans le milieu professionnel prennent les choses en main et intègrent les premiers outils d'IA à leur travail quotidien.
La tentation du Shadow IT
Le Shadow IT est un indicateur de l'état de santé de la suite IT d'une entreprise. Plus les collaborateurs utilisent des outils « non autorisés », plus cela en dit long sur la non agilité d'une suite IT, sa capacité à innover ou non, son retard en matière d'innovation et l’insatisfaction des salariés.
Cela s'explique en partie par le fait que des individus ou des équipes sont plus agiles lorsqu'il s'agit d'adapter des logiciels, au contraire d’entreprises entières qui doivent passer par des processus établis, des étapes de prise de décision et des stratégies coordonnées en matière d'innovation et d'achat de logiciels. Les individus et les petits groupes peuvent, en termes familiers, « se contenter de le faire ». C’est le cas par exemple d’un collaborateur qui essaye un nouvel outil, découvre son impact positif sur son travail quotidien et transmet cette expérience à ses collègues. Les solutions « plug-and-play » ou « freemium » faciles d’accès, telles que les outils de traduction ou de gestion de projet, trouvent rapidement leur place dans le monde du travail. Le contraste est saisissant avec l'entreprise, qui doit souvent passer par des phases plus ou moins longues de sélection, de test et de mise en œuvre lors de l'achat d'un nouveau logiciel. Avant qu’un nouvel outil officiel n’arrive entre les mains du collaborateur, le chemin peut être encore long.
Innovation et satisfaction : pourquoi les salariés se tournent vers le Shadow IT
Le fait que de nombreux collaborateurs soient tentés d'utiliser leurs propres outils au détriment de ceux officiellement proposés s’explique tout d’abord par un manque d'innovation. Lorsque l'actualisation des logiciels internes d'une entreprise n'est pas en phase avec les dernières évolutions du marché, elle constitue un obstacle à la productivité, à l'efficacité et à la croissance. Pour ne pas se laisser distancer par la concurrence, ou simplement pour améliorer leur propre vie professionnelle et leur productivité, ils se tournent alors vers ces outils pour compenser ce manque. La prolifération du Shadow IT n'est toutefois pas uniquement dû à un manque d'innovation. Il peut également résulter d'une insatisfaction générale à l'égard des outils fournis. Par exemple, si les outils ne répondent pas aux besoins des collaborateurs.
Des études ont d’ailleurs démontré qu'il existait une corrélation directe entre l'insatisfaction des collaborateurs à l'égard des logiciels fournis par une organisation et l'essor du Shadow IT. Selon un rapport de la plateforme RH Beezy, près de deux tiers (61%) des salariés ne sont pas vraiment satisfaits des solutions logicielles mises à leur disposition. Par conséquent, 40 % d'entre eux utilisent des outils non autorisés.
La lumière comporte toujours sa part d’ombre
La plupart des collaborateurs souhaitent rendre leur travail quotidien plus efficace et plus productif à l'aide d'outils non approuvés au préalable. Dans une enquête menée par l'éditeur de logiciels LeanIX, 97% des professionnels de l’IT ont déclaré être plus productifs lorsqu'ils sont autorisés à utiliser les applications et les solutions logicielles qu'ils préfèrent.
Cependant, il est également vrai que démocratiser le Shadow IT ne peut pas être une solution pérenne. Cette pratique est révélatrice de lacunes en matière d'innovation et de satisfaction des collaborateurs, mais peut surtout constituer un risque pour les organisations.
Tôt ou tard, elle peut engendrer des pertes financières, notamment lorsque des outils coûteux ne sont pas pleinement exploités au profit d’outils alternatifs. Le Shadow IT, notamment lorsqu’il n’est pas structuré, peut avoir également un impact sur l'efficacité opérationnelle d'une organisation. En effet, ces outils sont majoritairement choisis et utilisés en fonction des préférences individuelles de chaque collaborateur ou de groupes plus ou moins importants, sans pour autant correspondre aux besoins de l'entreprise dans son ensemble. Le Shadow IT parasite les flux de travail et les processus établis puisqu’il ne peut pas y être intégré de manière fluide. Des silos sont ainsi créés avec des données qui sont collectées dans des piles logicielles individuelles plus petites, mais qui ne sont pas accessibles aux autres tiers. Il en résulte des processus inefficaces et sujets aux erreurs, un manque de collaboration et une communication rompue.
Un angle mort dans votre cybersécurité ?
Les outils non autorisés constituent également des failles de sécurité potentielles. Si un outil existe en dehors des structures établies et donc en dehors de l'architecture de cybersécurité d'une organisation, il peut devenir une véritable faiblesse.
Il en va de même pour les potentielles failles en matière de protection des données et de conformité. Lorsqu’ils sont approuvés par les équipes IT, les nouveaux outils sont au préalable testés pour s’assurer qu’ils comportent aucun risque en termes de conformité et de protection des données. Mais nombreux sont les fournisseurs de logiciels qui stockent les données sur leurs propres serveurs, voire les confient à des tiers. Certaines entreprises d'IA vont même jusqu’à utiliser les données de leurs clients pour entraîner leur algorithme. Qui plus est, le fait que l'éditeur de logiciels soit basé dans l'Union Européenne ou aux États-Unis est également une variable importante. En effet, les entreprises américaines appliquent souvent des normes de protection et de traitement des données différentes de celles de leurs homologues européennes. Un individu traitant des données confidentielles et sensibles peut-elle, au travers d’outils non autorisés, les transférer à un fournisseur de logiciels extérieur à sa propre entreprise ? Et ce, sans que ce flux de données n'ait été vérifié en interne ? Les experts en conformité auraient tendance à répondre que non.
Comment gérer le Shadow IT ?
Les entreprises doivent trouver le juste équilibre entre l’anticipation et un cadre restrictif. Le Shadow IT est un symptôme, pas une cause. Sa présence révèle un manque d’innovation et de satisfaction, mais surtout des potentielles améliorations.
Les organisations doivent surtout se demander comment un outil de Shadow IT peut être intégré de manière rentable dans la suite IT officielle (pour les employés comme pour l'organisation), en tenant compte à la fois des processus existants, des politiques de confidentialité et de sécurité, mais également des budgets IT.
En fin de compte, les organisations augmentent leur propre agilité et le potentiel d'innovation interne en adoptant des outils alternatifs Le Shadow IT n'est pas seulement un indicateur de failles dans le cadre logiciel, mais aussi, d'une certaine manière, un laboratoire d'essai précoce. De fait, certains d'entre eux sont déjà intégrés dans le travail quotidien de certains employés, qui testent les outils informatiques possibles, bien que non conventionnés et en conditions réelles. De cette manière, cela aide voire accélère les phases de planification et de mise en œuvre, en particulier pour les nouveaux types de logiciels où de nombreuses entreprises ont encore peu d'expérience, comme l'intelligence artificielle.
Par ailleurs, les outils de Shadow IT régularisés sont plus facilement intégrés par les employés, les rendant plus efficaces. En réagissant rapidement et en adéquation avec les besoins émis par leurs collaborateurs, les entreprises peuvent sortir les outils de Shadow IT de l’ombre pour en tirer pleinement parti. La technologie sera alors mise en phase avec les attentes des employés, les coûts des logiciels seront optimisés et ces derniers seront à la fois plus agiles, plus innovants et surtout plus efficaces de par leur taux d’adoption accru.