Elham Kashefi (NQCC) "Lors de la conception d'un ordinateur quantique, nous pouvons d'emblée intégrer la confiance, la sécurité, la confidentialité et l'intégrité"
La scientifique en chef du Centre National d'Informatique Quantique du Royaume-Uni et directrice de recherche au CNRS revient sur l'enjeu de la confiance sur le terrain de l'informatique quantique.
JDN. Pourquoi est-il si difficile de faire confiance aux résultats d'un ordinateur quantique ? Pourquoi sommes-nous proches de résoudre ce problème ?
Elham Kashefi. La puissance même de l'informatique quantique – c'est-à-dire le fait qu'elle ne soit pas simulable par un supercalculateur classique - est la raison pour laquelle la vérification des données et du bon fonctionnement de l'appareil est très compliquée. C'est paradoxal : nous poussons nos machines à un niveau où elles ne sont plus compatibles avec notre puissance classique. Par conséquent, comment savons-nous qu'elles fonctionnent correctement ? C'est une question fascinante.
La meilleure application de l'informatique quantique pourrait être les découvertes en chimie quantique, comme l'idée de Feynman - vous prenez un système complexe, vous le simulez, vous obtenez des données, mais nous n'avons aucune garantie que ces données soient correctes. C'est pourquoi la vérification de l'informatique quantique est très différente de la vérification de l'informatique classique.
Mais il y a une solution qui vient de la cybersécurité. Dans ce domaine, nous traitons également des scénarios où nous ne savons pas ce que fait l'attaquant. Tout le travail consiste alors à traiter le bruit ou la puissance de l'ordinateur quantique comme une cyberattaque. Nous utilisons des techniques de cryptage et de décryptage quantiques pour détecter si la machine fonctionne correctement ou non. Nous avons déjà démontré notre technique de vérification sur une plateforme commerciale avec une machine de 52 qubits, prouvant qu'elle fonctionne vraiment comme prévu.
Vous avez été pionnière dans le concept de blind quantum computing. Une méthode qui consiste à utiliser un ordinateur quantique sans révéler ses données. Voyez-vous cela comme la pierre angulaire pour les futurs services cloud quantiques de confiance ?
J'y crois totalement. Je travaille sur cette question depuis environ 20 ans. La question de la confiance dans le cloud, de l'intégrité et de l'exactitude est quelque chose qui nous concerne tous, que ce soit dans l'informatique classique ou l'informatique quantique. Historiquement, nous appliquons une couche de confiance, par le biais d'une solution purement logicielle, un système de chiffrement homomorphe par exemple.
Mais dans l'informatique quantique, nous n'avons pas besoin de passer par là. Mon travail a démontré qu'au moment même de la conception de la machine quantique, nous pouvons intégrer la confiance, la sécurité, la confidentialité et l'intégrité. Comment ? Grâce à la communication quantique. Les photons sont très spéciaux. Quand un client prend ses données, les randomise et utilise des photons pour la communication, les informations arrivent déjà chiffrées sur la plateforme au niveau matériel.
"Nous ne savons pas laquelle des technologies d'informatique quantique va gagner. Toutes sont encore dans la course"
Cette couche matérielle en plus de la couche logicielle offre un moyen très efficace de fournir un excellent niveau de sécurité. J'ai démontré dans tous mes travaux, notamment via ma propre entreprise VeriQloud, que nous pouvons mettre ce niveau de confiance en place dès maintenant sur de très petits ordinateurs quantiques.
Le blind quantum computing transforme le photon en une clé matérielle. C'est un chiffrement où la clé secrète est un fil matériel, et ce fil matériel, en plus du logiciel qui se trouve au-dessus, donne un tout nouveau niveau de confiance. Je crois fermement qu'à terme, toutes nos plateformes d'informatique quantique pourront fournir cette sécurité. C'est une vraie valeur ajoutée. Alors que l'IA peine encore à atteindre un bon niveau de confidentialité, l'informatique quantique nous le livre par conception.
Il existe de nombreuses technologies différentes en informatique quantique : circuits supraconducteurs, qubits à base de silicium, atomes neutres, technologies photoniques... Pensez-vous qu'une standardisation technologique sera nécessaire pour faire émerger l'informatique quantique ?
Ce ne sera pas nécessaire. Je pense au contraire que cette diversité est une force. C'est magique que la physique de toutes ces plateformes - supraconductrice, piège à ions, photonique - soit complètement différente. Et pourtant, leur couche d'abstraction permet d'exécuter les mêmes algorithmes.
Ces différentes plateformes activent chacune différentes applications. Pour le calcul analogique, les atomes naturels peuvent être très bons. Pour un traitement rapide, le supraconducteur est pertinent. Pour une architecture hybride à base de photons et d'ions, une troisième voie se dessine avec également ses avantages.
Nous ne savons pas laquelle de ces technologies va gagner - toutes sont encore dans la course. Plus important encore, du point de vue logiciel, chacune a des caractéristiques que nous pouvons exploiter pour des applications particulières. Je suis donc partisan que toutes ces plateformes soient exploitées. Il est beaucoup trop tôt pour essayer de standardiser.
La beauté, c'est que nous pouvons construire une pile logicielle qui, au niveau supérieur, pourra s'adosser à une couche matérielle agnostique. À très haut niveau, vous pouvez écrire dans votre langage de programmation préféré sans avoir besoin de connaître tous les détails des couches basses. Pour nous qui cherchons encore où se trouve l'avantage quantique réel, avoir ces multiples pistes est très important et constitue une force.
Si nous pensons à la confiance non seulement dans les machines mais aussi dans les institutions et la gouvernance, quels cadres éthiques ou garanties faudrait-il déployer pour accompagner la mise en œuvre de la technologie quantique ?
Je crois que cette question de confiance dans l'écosystème quantique est très importante et nous devons nous assurer de ne pas suivre le drame de l'IA. Nous avons vu ce qui s'est passé quand l'IA a évolué entre les mains de grandes entreprises et qu'elle est devenue si sophistiquée qu'elle a fini par pécher en termes de confiance et de recherche responsable.
Le quantique est encore dans la période de l'enfance. C'est un moment où tous les acteurs académiques, les programmes nationaux, l'UE ainsi que les entreprises collaborent encore. Je peux vous donner un exemple de la façon dont nous établissons la confiance : je suis la scientifique en chef du Centre National d'Informatique Quantique au Royaume-Uni (NQCC, ndlr). Le rôle du NQCC est d'être cette autorité qui non seulement stimule la recherche et l'innovation depuis l'idée académique jusqu'à l'exploitation industrielle, mais aussi s'érige en acteur indépendant garant de la confiance dans la technologie.
Une entreprise peut-elle à elle seule garantir cette confiance dans l'informatique quantique ?
Il est très difficile de demander à une entreprise d'agir comme un acteur de confiance - chaque société prétend naturellement que sa plateforme est la meilleure. Vous avez besoin de mobiliser les gouvernements, les laboratoires nationaux et autres institutions de recherche pour garantir cette confiance.
Par exemple, nous avons acheté en tant que client gouvernemental sept matériels quantiques différents et nous effectuons maintenant nos propres validations, tests et vérifications. Des choses similaires se passent aux États-Unis avec l'Initiative de référence quantique, mais aussi au niveau de l'UE avec la création de benchmarking.
Je pense qu'à terme, ces éléments que les organismes nationaux mettent en œuvre assureront un accès sécurisé à ces plateformes. L'écosystème qui réunit les acteurs industriels, les acteurs académiques experts et les laboratoires nationaux et internationaux est le bon modèle pour assurer une confiance pérenne dans l'écosystème quantique.
Elham Kashefi est la scientifique en chef du Centre National d'Informatique Quantique au Royaume-Uni. Elle est aussi directrice de recherche au CNRS et co-fondatrice de la société VeriQloud. En parallèle, elle est également professeur en informatique quantique à l'Ecole de Mathématique à Université d'Édimbourg.