Cybersurveillance : pouvoir de contrôle de l'employeur et respect de la vie privée des employés

L'employeur peut-il prendre connaissance des mails émis et reçus par ses employés ? Peut-il avoir accès à leurs fichiers personnels ? Quid des communications téléphoniques ?

L'utilisation grandissante dans l'entreprise des outils modernes de communication et d'échanges a eu pour corollaire l'augmentation du pouvoir de contrôle de l'employeur sur ses employés.

C'est la jurisprudence qui a progressivement dessiné, à raison des conflits dont elle a été saisie, les contours des règles d'utilisation de certains de ces outils.

"Plusieurs décisions rappellent qu'il est interdit à l'employeur de prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par ses employés"

Messagerie. Plusieurs décisions rappellent qu'il est interdit à l'employeur de prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par ses employés. L'arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2001 (arrêt Nikon) précise tout particulièrement que "le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur".

Dans cette affaire, l'employeur avait découvert que son employé entretenait une activité parallèle qu'il développait pendant ses heures de travail et à partir de son poste informatique mis à sa disposition par l'entreprise qui l'employait. Les éléments de preuve collectés dans la messagerie de l'employé ont été obtenus, selon les juges, de façon illicite et, à ce titre, ont été écartés des débats.

Cette règle s'applique même lorsque l'objet du message n'est pas explicite, à charge pour l'employeur de vérifier les éléments susceptibles de conférer audit message un caractère manifestement personnel. Tel serait le cas d'un message dont l'objet concerne les vacances et qui est classé dans un dossier portant la mention " personnel (CA Toulouse, 4ème ch. Soc., 6 février 2003).

Un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 2 avril 2003 a également écarté les messages produits par un employeur pour démontrer que son employé créait une société concurrente car ceux-ci avaient été récupérés sur l'ordinateur portable de l'employé sans satisfaire à la demande préalable de ce dernier de se voir restituer ses fichiers personnels.

Selon la Cnil, "il doit être généralement considéré qu'un message envoyé ou reçu depuis le poste du travail mis à disposition par l'entreprise ou l'administration revêt un caractère professionnel, sauf indication manifeste dans l'objet du message ou dans le nom du répertoire où il pourrait avoir été archivé par son destinataire qui lui conférerait alors le caractère et la nature d'une correspondance privée protégée par le secret des correspondances" (Cnil, Guide pratique pour les employeurs).

"Fichiers personnels : les juges prévoient la faculté d'un contrôle hors la présence du salarié lorsque les circonstances le justifient"

Fichiers personnels. Un arrêt de la Cour de cassation en date du 17 mai 2005 ouvre cependant une possibilité pour l'employeur d'avoir accès aux fichiers personnels d'un salarié.

Dans cette affaire, l'employeur avait découvert des photos érotiques dans le tiroir du bureau de son employé et avait alors décidé d'investiguer le disque dur de l'ordinateur de celui-ci.

Un fichier dénommé "perso" regroupait une série de documents étrangers aux fonctions de l'employé. Selon la Cour, "sauf risque ou évènement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé" (Cass. 17 mai 2005).

Ainsi, si les juges imposent que le salarié soit présent ou tout au moins "dûment appelé", ils prévoient la faculté d'un contrôle hors la présence du salarié lorsque les circonstances le justifient.

"Le 4 octobre dernier, des ex-dirigeants de Hewlett Packard ont été inculpés pour s'être procurés les relevés téléphoniques de certains employés"


Communications téléphoniques. La Cnil considère que l'employeur ne peut pas enregistrer les conversations téléphoniques, ni l'intégralité des numéros de téléphone appelés par ses employés (mais seulement les quatre premiers numéros, pour savoir si l'employé a appelé l'étranger ou la province, etc).

Ces données permettent en effet une identification indirecte. C'est à ce titre que, le 4 octobre dernier, des ex-dirigeants du Groupe Hewlett Packard ont été inculpés pour s'être procurés les relevés téléphoniques de certains employés. Les seules dérogations admises concernent les activités de marketing téléphonique, de vente par correspondance, de standard, afin de permettre à l'employeur de contrôler le travail.

À défaut d'une nécessité reconnue et proportionnée, une solution alternative devra être recherchée, par exemple " plutôt qu'enregistrer toutes les conversations avec la clientèle à des fins de constitution de preuves matérielles pour faire face à un éventuel contentieux, demander une confirmation écrite au client, notamment par voie électronique " (Cnil, Guide pratique pour les employeurs).

Aussi, sauf exceptions très encadrées, l'employeur qui intercepterait une conversation téléphonique privée s'exposerait aux sanctions de l'article 226-15 alinéa 2 du Code pénal qui incrimine le fait, commis de mauvaise foi, d'intercepter, de détourner, d'utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l'installation d'appareils conçus pour réaliser de telles interceptions (un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende).

Est puni des mêmes peines, le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de retourner des correspondances arrivées ou non à destination et d'en prendre connaissance frauduleusement (C. pén., art. 226-15, al. 1).

C'est au travers de ces quelques exemples que l'on peut mesurer à quel point une charte d'utilisation peut permettre, en précisant les conditions d'utilisation, d'anticiper les conflits. Il s'agit somme toute de démontrer que l'employeur a rempli ses obligations de transparence et de proportionnalité du dispositif qu'il a mis en place et de rappeler l'obligation de loyauté de l'employé.