SAFe, le Merise des temps modernes

De nombreuses organisations souhaitent tirer profit des bénéfices de l’agilité à une large échelle. En revanche, elles ignorent toujours comment étendre l’agilité à un département ou à une organisation entière. Ce dernier point révèle à lui seul l’enjeu des frameworks comme SAFe ou PUMA.

La dernière évolution de SAFe (Scaled Agile Framework for Lean software and Systems engineering) tente de formaliser exhaustivement (et en la généralisant), la description du système d’information des grandes organisations.  Cette vision véhicule depuis longtemps une image de rigidité incompatible avec les valeurs « Agiles » mais se présente comme une solution scalable et guide de la transformation globalement Agile des entreprises. Pour être plus précis, SAFe vous explique ce que vous devriez mettre en place comme infrastructure organisationnelle mais ne vous dit pas comment le faire – ni ne vous propose d’outils pour le faire.

De nombreuses organisations souhaitent actuellement tirer profit des bénéfices de l’agilité à une plus large échelle. Par contre,  elles ignorent toujours comment dépasser le cadre d’une équipe ou d’un projet  et surtout comment étendre l’agilité à un département ou à une organisation entière. De plus, cette préoccupation se situe généralement dans un contexte où ces structures ne sont jamais complètement isolées, et où interdépendances comme interactions de chaque entité conditionnent la performance des autres. Ce dernier point révèle à lui seul la taille de l’enjeu ciblé par SAFe.

Autant au niveau d’une équipe, les frameworks Scrum et XP proposent des réponses pratiques, autant lorsqu’il s’agit d’une organisation entière, Agile manque de solutions concrètes. Plusieurs concepts ont été proposés pour combler ce vide organisationnel, parmi lesquels on trouve le « Scrum de Scrums », le « Large Scale Scrum » ou « Disciplined Agile Delivery », mais aucun d’entre eux ne propose de réponse exhaustive et cohérente au-delà du simple regroupement de ressources humaines. Répondant lui aussi à ce besoin mais sous un angle de solutions pratiques plus que descriptives, PUMA Essentiel par exemple, est extrêmement simple et pratique, mais se limite aux aspects organisationnels de la communication et aux techniques de la formulation des exigences d’un projet de SI. En résumé, dans le meilleur des mondes, il faudrait coupler plusieurs solutions pour couvrir complètement la problématique du développement des systèmes d’informations sophistiqués.

Les outils de SAFE

A travers son fameux poster (Big Picture),  SAFe présente une vision structurée des divers outils (relativement connus) d’une boite de transformation  organisationnelle tentant l’aventure prédictive de l’exhaustivité. Son scope est large car il s’annonce basé sur le Lean Thinking, le manifeste Agile, quatre « core values », 9 principes et sur une démarche de conduite du changement.  Pour être en mesure de bien comprendre et surtout appliquer ce cadre,  il est impératif d’avoir une vision et une compréhension étendue des méthodes et techniques de l’approche Agile actuelle. Il faut aussi avoir vécu les tentatives précédentes d’amélioration des concepts et formes de management appliquées aux projets de transformations organisationnelles et / ou technologiques : Scrum, Lean, Kanban, Kaizen, Alignement métier, Transparence, organisationnelle, Implication des ressources humaines,  Amélioration du cycle complet de production, Réduction des gaspillages à tous les niveaux de l’entreprise, Vision économique du flux de développement, Qualité Totale, XP, Intégration continue, etc.

Les raisons amenant à envisager SAFe sont généralement liées au souhait de lancer une transformation Agile au niveau de l’organisation ainsi que de disposer d’une vision globale des projets, des programmes et des équipes. SAFe vous propose alors un cadre cohérent d’options en matière de méthodes ou de techniques se présentant comme Agiles ou Lean. Néanmoins, je ne vois pas comment en deux jours de formation il serait possible d’acquérir une connaissance fonctionnelle de cet ensemble de connaissances. Il me parait évident que cela va encore finir mal pour les crédules de la facilité, surtout si le formé est sans réelle expérience et qu’il se lance immédiatement lui-même dans de la formation - certification pyramidale.

Fondements de la transformation organisationnelle

Comme une transformation organisationnelle réussie nécessite d’adapter un modèle à son propre contexte. Dans un contexte sophistiqué, le chemin à parcourir est rarement prédictif. Garantir de la visibilité devient essentiel pour rassurer l’organisation et faire partager une vision en démontrant des progrès à chaque étape. SAFe prétend proposer une  mise en œuvre itérative, incrémentale et s’adaptant par feedback. Mais qu'en est-il de la première et plus importante des quatre valeurs Agiles « Les interactions entre individus plutôt que les processus et les outils » ? N’oublions pas que son concepteur (Dean Leffingwell) vient de chez Rational (Rational Unified Process, RUP), la moins Agiles des approches de gestion de projet basée sur des outils qu’il soit possible d’imaginer de nos jours. Comme dirait Ken Schwaber (l’initiateur de Scrum) « En bref, il y a encore de la vie dans les vieux dinosaures. » Je ne doute pas un seul instant que les vendeurs de logiciels, les formateurs, les certificateurs  et les consultants, n’en soient pas ravis. Comme lu sur un blog titrant : « outil + certification = le duo maléfique » ou encore « SAFe : à qui profite le crime ? »

Utiliser comme prisme d’analyse de l’organisation, SAFe permet pourtant de se poser des questions « essentielles ». Malheureusement les transformations vraiment agiles ne s’appuient pas sur le déploiement d’un framework composé de nombreuses solutions plus ou moins récentes. Elles reposent généralement sur une démarche "constructiviste" de création et de consolidation d’une culture favorisant la confiance, le sens d’appartenance, la responsabilisation, l’autonomie et au final, le goût de l’excellence.   Il n’y a pas de « voie royale » en ce domaine.  N’attendez pas une solution « clé en main », car SAFe est un simple framework de pratiques indépendantes. Quelles techniques seraient nécessaires dans votre contexte ? Comment les adapter ? Comment les implémenter ? Par où commencer ? SAFe ne vous aidera pas sur ces aspects du changement (pas plus qu’une carte routière ne choisira pour vous la destination et le parcours).

Parmi les principales critiques faite à SAFe, on trouve le nombre  important de rôles, de templates  et de documents. De plus, avec ses quatre niveaux de scalabilité, ses trois niveaux principaux de préoccupations   (équipe, programme, portefeuille), sa grille de lecture l’apparente à un Merise des temps moderne. SAFe est donc un outil complexe très loin d’une solution Agile magique.